Substack, Webtoon, et les enjeux de nouveaux modèles pour DC

Substack. Webtoon. Si vous suivez l’actualité comics, ces mots doivent vous dire quelque chose. En effet, ces dernières semaines, plusieurs nouvelles tonitruantes sont tombées dans l’actualité comics. Il y a quelques semaines, nous apprenions par exemple que James Tynion IV quittait Batman au profit de nouvelles activités via la plateforme Substack, comme bon nombre d’autres créateurs de comics. Avant-hier, c’était l’annonce d’un partenariat entre DC et la plateforme de webcomics Webtoon. Pas mal de choses intéressantes pour le business des comics, qui montrent la poursuite de changements profonds, que nous pouvions déjà observer. Je vous propose aujourd’hui de décrypter cela ensemble, premièrement avec le dossier Substack, puis avec celui concernant Webtoon. Je vous préviens, ce sera probablement un peu long.

Substack, qu’est-ce que c’est ?

Substack DC

La plateforme Substack a été créée en 2017, par l’entrepreneur Chris Best (co-fondateur de Kik Messenger), le développeur Jairaj Sethi et le journaliste tech Hamish McKenzie. Le principe est assez simple : il s’agit d’un service de newsletter, ce bon vieux médium qui était censé être dépassé par l’avènement des réseaux sociaux ou de la vidéo en ligne. Sur Substack, des créateurs peuvent publier des newsletter, qui arrivent directement dans la boite aux lettres électronique de leurs abonnés. Les créateurs peuvent choisir de publier certains contenus gratuitement et de faire payer pour d’autres, avec une somme minimale de 5$/mois ou 30$/an. Si Substack a toujours bénéficié d’un succès certain, c’est surtout la pandémie du Covid-19 qui a profité à l’entreprise, au moins que certains n’hésitent pas à affirmer : « La newsletter est le nouveau podcast ».

La pandémie a profondément heurté le monde du journalisme, bien sûr financièrement, mais aussi sur tout le reste, notamment sur la confiance accordé au médias généralistes qui était déjà écornée. Durant cette période, beaucoup de journalistes, essayistes, analystes ou chroniqueurs ont vu en Substack une opportunité nouvelle pour prendre plus d’indépendance. Chez Substack, pas d’éditeurs, pas de financeurs, pas de revenus publicitaires, pas de mesure d’audience : juste la liberté d’écrire ce qu’on veut, sur ce qu’on veut.

À côté de la liberté, Substack permet également un lien direct à ses abonnés, sans passer par des intermédiaires, afin de tisser une relation de confiance en étant pleinement maître de la modération. Cela permet également de forger un lien personnel aux abonnés moins policé que sur les réseaux sociaux, et bien sûr, de gagner de l’argent en étant financés directement par un public intéressé par le contenu que nous avons à partager.

Sur les revenus, Substack prend 10%, et l’infrastructure de paiement en ligne Stripe prend 3%. Tout le reste va aux créateurs. Pour le dire clairement pour les trois du fond qui sont nuls en maths (comme moi) : Sur un abonnement à 30$, Substack touche 3$, Stripe touche 0,9$, et le créateur touche 26,10$. En 2020, Substack comptait 100.000 abonnés payants, et revendique 500.000 aujourd’hui. En mars dernier, l’entreprise annonçait que les 10 plus grosses newsletters engrangeaient plus de 15 millions de dollars de revenus par an. Une sacrée manne financière potentielle.

Substack et les créateurs de comics

Dans le monde des comics, voilà quelques temps que James Tynion IV tient sa colonne sur Substack, The Empire of the Tiny Onion, où il informe régulièrement ses lecteurs de son actualité depuis novembre 2019, alors que DC annonçait la reprise de Batman par le scénariste. En mai dernier, son mentor Scott Snyder annonçait lui aussi qu’il réfléchissait à laisser les réseaux sociaux de côté pour se lancer dans l’aventure de la newsletter, qui est devenu en juillet Our Best Jacket.

Néanmoins, toute la stratégie que Substack va encore plus loin. C’est Chris Best, le fondateur de la plateforme, qui en est à l’origine. Durant la pandémie, ce dernier a remarqué qu’il devenait difficile pour les créateurs de comics de partager leur travail avec leurs fans. Cela lui a donné l’idée de disrupter aussi le monde des comics, comme il était en train de le faire avec celui des médias. Il est donc allé voir plusieurs scénaristes importants, à commencer par Nick Spencer, pour leur proposer un deal avec Substack afin de leur offrir ce nouveau moyen de connecter avec leurs lecteurs. En quoi consiste le deal entre Substack et les créateurs de comics ? Plusieurs choses.

Imaginons une scénariste fameuse, qu’on va appeler Sarah Woodman. Derrière ce nom, vous pouvez mettre n’importe qui. Premièrement, Substack l’approche pour l’un de ces fameux partenariat. Sarah Woodman commence donc par créer sa propre newsletter sur Substack, afin de transformer ses fans en abonnés. En échange, Substack lui offre une somme de départ, qui fonctionne un peu comme une bourse pour démarrer son activité, à partir du programme Substack Pro. Elle est libre de choisir ce qui sera payant ou gratuit dans ses publications, et de fixer le montant de sa newsletter. Pendant un an, Substack garde la majorité de ses revenus et après cette première année initiale, ne gardera que le ratio de 10%. En échange, Sarah Woodman garde la propriété intellectuelle de son travail, à la fois ses newsletter et les futurs comics qu’elle publiera.

Deuxièmement, Sarah Woodman peut commencer à publier des newsletters, qui racontent à peu près ce qu’elle veut : son travail créatif, ses doutes, ses craintes, ses soucis, son quotidien. En parallèle, elle peut commencer à travailler à ses comics avec son ami dessinateur et toute son équipe créative, qui seront publiés en exclusivité dans sa newsletter Substack au format numérique à ses abonnés payants. Puisqu’elle possède la propriété intellectuelle de ses créations, elle est libre d’en faire ce qu’il veut après coup, comme aller voir Boom ou Image Comics, afin de publier ces comics au format papier ou numérique chez eux. Si elle le désire, elle peut même reprendre tout son travail et aller voir ailleurs que chez Substack. Mais surtout : Sarah Woodman est libre de publier ce qu’elle veut, de maîtriser son image, son contenu, son travail, et de tisser une relation directe et presque intime avec ses lecteurs.

Du côté de Substack, le contenu a peu d’importance. La propriété intellectuelle publiée par les auteurs de comics importe peu. Pour le dire clairement, Substack s’en fout des comics, comme il s’en fout du contenu des articles des journalistes ou analystes : ce qui importe, ce sont les créateurs et leur communauté d’abonnés potentiels.

Pour les créateurs, cela leur permet de renforcer leur image et se vendre eux-mêmes comme des auteurs, comme une marque source de propriété intellectuelle au même titre que DC ou Marvel. Pour notre Sarah Woodman fictionnelle, tout comme pour James Tynion IV, Scott Snyder, Chip Zdarsky, Molly Ostertag, Saladin Ahmed, Skottie Young, Nick Spencer, Substack est l’occasion de mettre en avant leur travail via leur personne. Pour Jonathan Hickman, c’est l’occasion de fonctionner en auteur-éditeur avec un pool de scénaristes comme Ram V ou Tini Howard pour fonctionner en collectif. Les auteurs jouissent de la liberté, de la reconnaissance, de la propriété intellectuelle, de la maîtrise du contenu, et des revenus. Substack profite des créateurs et de leur communauté pour faire grandir leur base d’abonnés (et leurs revenus). Tout le monde y gagne.

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Voilà 30 à 40 ans que les auteurs se vendent comme des « marques ». Certains disent que le succès de la British Invasion et d’auteurs tels qu’Alan Moore, Grant Morrison ou Neil Gaiman, tient également au fait d’avoir su se vendre comme des auteurs, comme des « marques ». Il en va de même pour le pool de dessinateurs-stars qui sont partis fonder Image Comics. Substack montre simplement une nouvelle manière pour les scénaristes et les dessinateurs de gagner en indépendance et en liberté.

Dans l’immédiat, cela signifie pour DC la perte d’un de leur gros auteurs sur ses titres super-héroïques : James Tynion IV, qui a gagné en stature et en popularité ces dernières années, notamment grâce à son travail en indépendant. Actuellement, Substack bénéficie surtout aux auteurs ou autrices comme lui, qui ont déjà un statut important, une communauté forte.

Cela renforce le statut de Marvel ou DC comme tremplin de lancement vers l’univers indépendant, où une créatrice ou un créateur peut se faire ses armes et son expérience avant de se lancer vers son propre univers, où il aura plus de maîtrise, de gains et de possibilités. Alors, ce sera son choix à lui ou à elle de continuer de faire des comics chez DC pour le plaisir ou pour le sport, à côté de ses titres en indépendant, sur lesquels il ou elle gagne un revenu via Substack avant publication papier chez un éditeur classique. C’est simplement une possibilité nouvelle (et un revenu supplémentaire), qui offre encore plus d’indépendance aux artistes, un approfondissement d’une réalité déjà présente. Ça n’annonce pas la mort de DC, simplement la continuation de sa marginalisation potentielle au profit des formats indépendants.

Et maintenant, parlons de Webtoon !

Substack, Webtoon, et les enjeux de nouveaux modèles pour DC 18

Avant-hier, nous apprenions une autre nouvelle, qui concerne plus directement DC, à savoir le partenariat annoncé avec la plate-forme Webtoon. D’abord, éclaircissons les concepts : qu’est-ce que c’est, Webtoon ? Si vous êtes un daron dans mon genre, il y a des chances que le concept vous soit plutôt éloigné (comme le dirait Claygan : un nouveau monde s’ouvre à vous… et à moi !).

Le concept du Webtoon est originaire de Corée du Sud, et représente une forme d’art séquentiel numérique qui se lit de manière verticale, notamment très pratique pour lire sur Smartphone. Originellement, ces derniers visaient essentiellement à publier du Manwha, c’est-à-dire de la bande-dessinée sud-coréenne. Les premiers Webtoons étaient destinés à mettre en ligne les Manwhas classiques. Progressivement, le médium s’est étendu à d’autres forme de bande dessinées du monde, s’émancipant des Manwhas pour devenir une manière de lire à part entière.

Si plusieurs entreprises se sont lancées dans l’exercice pour offrir du contenu adapté à ce médium, c’est essentiellement la plate-forme Webtoon du portail web coréen Naver qui a remporté le plus de suffrages, et c’est avec eux que DC a choisi de se lancer dans l’aventure du webcomics. Pour l’instant, on ne sait pas exactement ce qui va sortir de cet accord, sinon de nouveaux comics exclusifs sur les héros DC, qui, comme annoncé, seront accessibles à tout le monde, sans pré-requis de connaissance sur l’histoire de l’éditeur et de ses personnages. A priori, il ne s’agirait pas d’adapter les histoires existantes, mais vraiment de développer un nouveau contenu qui corresponde pleinement au cadre des webcomics habituels, probablement par less équipes de Webtoon eux-mêmes. Le recrutement d’un nouvel éditeur californien chez Webtoon à Los Angeles en juillet dernier n’y est peut-être pas pour rien.

Néanmoins, une question se pose : pourquoi ? La réponse est simple : pour DC, il s’agit clairement de s’orienter vers un nouveau lectorat. Webtoon revendique actuellement plus de 72 millions de lecteurs dans le monde, dont 10 millions aux Etats-Unis, où le site s’est lancé en 2014. En France, Webtoon est n°12 des applications les plus téléchargées sur iOS dans la catégorie divertissement. En Europe, elle est systématiquement dans le top 5 des téléchargements dans la catégorie Comics du Google Play Store, et n°1 aux États-Unis (DC Universe Infinite est à la 24e place…). Et surtout, atout de poids : la majorité des lecteurs de Webtoon se situe dans la cible des 16-25 ans, tranche d’âge que DC peine actuellement à trouver dans son lectorat.

Pour DC, cela montre une persévérance dans sa stratégie éditoriale, avec une évolution marquée depuis quelques années, déjà avant le départ de Dan Didio : non pas attirer les lecteurs vers ses contenus, mais à aller vers le lecteur là où il est, s’adaptant à son public et à ses aspirations. On voyait déjà cela avec les comics dans les supermarchés Walmart, pour rejoindre le lecteur dans son environnement. On le retrouve dans le deal avec le géant de la distribution Penguin Random House, pour placer les volumes reliés estampillés DC Comics dans toutes les librairies, ou supermarchés. On reste dans la maxime : « The idea is that DC has to get bigger« . Continuer de changer, de s’adapter, de rejoindre, pour faire des paris

DC Comics cherche à rejoindre le plus de publics, sur tous les média possibles. Pour les enfants, des graphic novels spécifiquement dédiés à leur âge et leurs habitudes, un peu pompés sur les volumes de chez Scholastic si appréciés par le jeune public. Pour les adultes, des séries Black Label avec des gros mots (mais pas de zizis), et des comics à l’ancienne, en numérique ou en version papier. Désormais, via Webtoon, c’est aussi le public des 16-25 ans qui est visé, habitué à la lecture de webcomics.

Notons néanmoins deux choses.

Premièrement, DC n’est pas le premier éditeur à réaliser un partenariat avec Webtoon. Marvel l’a déjà fait, il y a quelques semaines, mais pour un partenariat orienté vers le public asiatique, avec un webcomics sur Black Widow. Archie Comics a annoncé un partenariat il y a déjà quelques temps aussi. Image ou POW! également. Deuxièmement, le deal avec Webtoon n’est pas une réaction à Substack et la perte de créateurs : c’est une stratégie de fond, menée depuis plusieurs années par d’anciens de chez DC, notamment Katie Kubert (revenue chez DC en 2017, donc il y a déjà quelques temps).

Néanmoins, que ce soit avec le dossier Substack ou celui de Webtoon, nous pouvons voir que l’industrie des comics continue lentement mais sûrement sa mutation vers le numérique, alors que DC s’adapte petit à petit à cette nouvelle donne. Nous serons les témoins de cette transition progressive.

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myplasticbus

myplasticbus

Depuis son enfance, cet énergumène passionné se sent insatisfait de l’état du monde. Alors il s’est mis à écrire et dessiner ses propres univers, à raconter des histoires et à s’immerger dans des mondes parallèles. Un beau jour, il a découvert une bande-dessinée qui parlait d’un univers bizarre avec une particularité bien chelou : aucun super-héros, sinon dans les bandes-dessinées. Éternel curieux, il a voulu visiter cette terre inaccessible et étrange. Il s’est mis à chercher à maîtriser les lois des univers multiples, en découvrant qu’elles reposaient dans un bus en plastique caché au plus secret de son imagination. Désormais coincé dans cet univers bizarre, il prend toujours beaucoup de plaisir à explorer sa terre d’origine à travers des cases, des bulles et des dessins plus grands que la vie. Sinon, une fois, en 2003, il est resté coincé dans l’Hypertime.
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