Review VF – Mister Miracle

La légende raconte que la genèse de Mister Miracle a commencé après Sheriff of BabylonTom King et Mitch Gerads sont allés voir Dan DiDio avec un projet : The war of jokes and riddles. Une maxi-série en 12 épisodes centrée sur le crime, un The Wire à la sauce DC. Mais l’éditeur a préféré transformer cette idée en arc pour la série principale Batman, avec Janin aux dessins. Tom King est alors venu plaider la cause de Gerads, qui n’avait du coup plus rien à dessiner. Après une soirée arrosée comme DC sait bien les faire, DiDio finit par proposer au scénariste : Atomic Knights ou Mister Miracle ? Le tandem choisit le second. Aujourd’hui, nous voici donc pour la review de Mister Miracle, qui vient d’être publié dans nos contrées par Urban Comics.

Review VF - Mister Miracle 18

Mister Miracle : un récit personnel

En 2016, quelques mois avant de poser les bases du projet Mister Miracle, Tom King traverse une petite tragédie personnelle. Alors que sa femme fête son anniversaire, subitement : angoisse, panique profonde, anxiété. L’auteur se sent à l’approche de la mort, fragile, probablement atteint d’une crise cardiaque. Les médecins sont pourtant formels : il n’y a rien qui cloche chez lui. Et pourtant, rien ne va. Quelques mois plus tard, alors qu’il est en plein développement de l’oeuvre, le washingtonien passe à côté de l’investiture de Trump, avec son chien. Moment clé où il réalise de plein fouet l’absurdité, la tension et la colère de notre époque (anecdote à lire par ici). En parallèle, Mitch Gerards traverse aussi les étapes qui le mènent doucement à la paternité, avec son premier enfant. La conjonction de tout ces éléments inspirent complètement Mister Miracle.

Les deux compères ne s’amusent pas à jouer à l’épique kirbyen. Ils utilisent l’héritage des New Gods légué par Jack Kirby pour parler de notre temps d’une manière personnelle. Ce n’est pas une oeuvre sur la dépression, la politique contemporaine ou la paternité. C’est un regard personnel au croisement de ces questions, et bien d’autres encore. C’est peut-être la première grande force de Mister Miracle : savoir exprimer mieux que nul autre ce sentiment intérieur d’être à l’étroit dans son époque. Comme pour chacune de ses oeuvres, Tom King y déverse une grande part de lui-même. Le but n’étant pas de tomber dans un miroir psychanalytique et nombriliste, mais de donner chair aux sentiments d’une époque. Et c’est une grande réussite.

Mitch Gerads, Clayton Cowles & Nick Derington

La deuxième grande force de l’oeuvre vient de sa partie artistique. D’abord, son dessinateur : Mitch Gerads. Sous les ordres du scénariste en chef, il utilise abondamment le gaufrier rendu célèbre par Dave Gibbons et Watchmen. Plus qu’aucun autre, il parvient à mettre en valeur le silence et le rythme si particulier de King, en jouant sur les constructions visuelles et le suivi entre cases. Il offre un travail fin et expressif sur les regards, les visages et les attitudes corporelles. Que ce soit pour représenter l’épique d’un combat sur Apokolips ou l’intimité d’un homme et une femme sur leur canapé, Gerads excelle. Par son dessin, il attendrit, affole, il fait rire et pleurer. Sa colorisation entre tons pastels et couleurs vives participe au sentiment de léger malaise claustrophobique que laisse transparaître l’oeuvre. Un sentiment renforcé par l’utilisation des glitchs sur certaines cases, qui provoque volontairement un inconfort chez le lecteur.

Mister Miracle glitch Mitch Gerads

Un autre héros de l’ombre est Clayton Cowles, qui mérite lui aussi ses louanges. S’effaçant souvent derrière le scénariste et le dessinateur, la personne chargée de lettrer l’ouvrage est tout aussi importante. Sur Mister Miracle, Cowles s’amuse à varier les polices, toujours avec beaucoup de finesse. Selon la nécessité, il utilise des polices kitsch très vintage, et parfois d’autres plus modernes, en dosant toujours dans l’intérêt de l’histoire racontée. Il ose même parfois une approche légèrement expérimentale, notamment sur les onomatopées, qui rafraîchit un petit peu des habitudes du genre. Son lettrage participe vraiment à la qualité de l’ensemble et rentre en cohérence avec le travail de Gerads. Mention spéciale aussi à Nick Derington, qui apporte tout au long de l’ouvrage sa pierre à l’édifice à travers les couvertures pour la série.

Trauma, PTSD, dépression : échapper à la réalité

Les aficionados de Tom King (dont je fais partie) distinguent deux périodes dans sa courte carrière. La première touche à la guerre elle-même, avec les ouvrages Omega Men, Sheriff of Babylon chez Vertigo et Vision chez Marvel. Les trois séries abordent cette thématique sous l’angle de la tragédie et de la violence. Malgré toutes les bonnes intentions du héros principal, pour reprendre le personnage d’Adam Driver dans The dead don’t die : ça ne finit pas bien. La seconde partie de son oeuvre, à laquelle beaucoup sont plus habitués, s’ouvre avec son run sur Batman et pose davantage la question de l’après. Ça ne s’est pas bien fini… mais comment vivre avec l’échec, l’abandon, le traumatisme et la dépression ? C’est dans ce cadre que se pose Mister Miracle (mais aussi Heroes in Crisis, qui vient de se terminer outre-Atlantique).

Tom King place son héros entre deux mondes : la vie calme et tranquille de Scott Free à Los Angeles avec Barda d’un côté et les impératifs de la vie politico-militaire de New Genesis et Apokolips de l’autre. Le couple suit cette agitation de loin, avec leur mother box, un peu comme nous suivons les nouvelles du monde depuis un smartphone. Mais Scott est également tiraillé de l’intérieur par rapport à sa place dans le monde, par rapport à ses pères, Highfather et Darkseid, par rapport à la réalité dans laquelle il vit. Tom King dépeint un héros incertain, qui se cherche lui-même et aimerait échapper à la réalité qu’il ne parvient pas à fuir. Constamment, comme un leitmotiv, sa condition d’homme traumatisé se rappelle à lui. Les glitchs de Gerads ou les cases noires qui nous rappellent que « Darkseid est » illustrent magnifiquement cette fonction.

Darkseid est

Hommage à Kirby

Mister Miracle n’est pas une série qui vient de nulle part. Comme je le disais, elle se place dans l’héritage du King of comics, Jack Kirby. Sortie aux Etats-Unis pendant l’année anniversaire du maître, l’un de ses objectifs est également de rendre hommage à l’oeuvre du dessinateur. Et là encore, cet objectif est parfaitement atteint. L’équipe créative reprend les personnages phares du Quatrième Monde, son univers et ses fondations. Ils respectent également l’esprit de l’oeuvre de Kirby, notamment son discours sur la liberté. Mais en même temps, ils  ne singent pas le maître. Ils s’approprient la source pour l’emmener plus loin, vers de nouvelles interprétations. Ils ancrent notamment profondément le récit dans le réel plutôt que partir sur la pente épique et grandiloquente.

Reste un hommage omniprésent au créateur du Fourth World. Visuellement, Gerads inonde l’oeuvre de Kirby Crackles, ces petits points d’énergie typiques du grand Jack. Les scènes en lien avec New Genesis en sont remplies. Funky Flashman, l’avatar parodique exubérant et bavard de Stan Lee créé par Kirby se fait ici narrateur kitsch et manager-babysitter. King appuie ainsi l’hommage acide au premier architecte éditorial de Marvel. Mais l’hommage le plus fort se trouve dans le chapitre 5. Scott et Barda sont devant le théâtre chinois de Grauman à Hollywood. Ils sont face à la plaque de Jack Kirby. Mister Miracle se retrouve nez-à-nez avec l’existence de son créateur, et place ses mains dans les siennes. Mais ses mains sont trop petites : il ne parvient pas à l’égaliser. Car qui peut rivaliser avec Jack Kirby ? Ni Scott, ni Tom, qui l’appuie à travers ce petit clin d’oeil rempli d’hommage.

Mister Miracle hommage

A travers un récit de super-héros, Tom King et Mitch Gerads nous offrent un merveilleux regard sur le sentiment qui émane de notre temps. Espérons que DC leur laissera encore et toujours toute la liberté créative pour nous pondre de telles oeuvres. Mister Miracle, peut-être allez-vous l’adorer ou le détester, mais une chose est sûre : contrairement à la devise de Scott Free, il ne faut surtout pas y échapper. 

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myplasticbus

myplasticbus

Depuis son enfance, cet énergumène passionné se sent insatisfait de l’état du monde. Alors il s’est mis à écrire et dessiner ses propres univers, à raconter des histoires et à s’immerger dans des mondes parallèles. Un beau jour, il a découvert une bande-dessinée qui parlait d’un univers bizarre avec une particularité bien chelou : aucun super-héros, sinon dans les bandes-dessinées. Éternel curieux, il a voulu visiter cette terre inaccessible et étrange. Il s’est mis à chercher à maîtriser les lois des univers multiples, en découvrant qu’elles reposaient dans un bus en plastique caché au plus secret de son imagination. Désormais coincé dans cet univers bizarre, il prend toujours beaucoup de plaisir à explorer sa terre d’origine à travers des cases, des bulles et des dessins plus grands que la vie. Sinon, une fois, en 2003, il est resté coincé dans l’Hypertime.
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6 Commentaires
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Yozuke
Yozuke
4 années il y a

Achat à l’instant ^^

The Obsessive
4 années il y a

Merci pour cette chronique, j’ai eu l’impression de lire la préface du bouquin, c’était instructif, pertinent, et très intéressant. Je me tâtais, mais maintenant c’est une certitude, ce sera mon prochain achat.

Yannou
Yannou
4 années il y a

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Reptile
Reptile
4 années il y a

Je n’ai jamais lu d’histoire sur les News Gods mais ce livre m’intrigue, c’est une bonne idée de se laisser tenter?

Reptile
Reptile
4 années il y a

Bon, et bien je me suis laissé tenter, je viens de le finir, c’était un plaisir incroyable à lire, merci beaucoup, sans cette review je ne m’y serai pas attardé mais je suis très heureux d’avoir ce livre dans ma bibliothèque, c’est effectivement un chef d’œuvre.

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