Le surplus de parutions autour de l’homme chauve-souris se comprend amplement. Entre un événement Metal et ses répercutions à travers des titres secondaires, et l’annonce encore une fois de futurs événements et elseworlds. Tout cela sans tenir compte des rééditions. Parmi cette mélasse, certaines curiosités sont à considérer. Batman : Ghosts est un album accueillant deux récits signés Sam Kieth, un artiste aux antipodes du comics mainstream.
Une enquête les yeux fermés
Le premier, et le plus long, donne son titre à l’album. Ghosts est une enquête mêlant meurtres en série et paranormal, publié dans Batman Confidential en 2010. Ce mélange des genres n’a rien d’original pour Batman. Le concept rappelle certains récits comme Batman & Monsters et Mad Monk de Matt Wagner, ou encore Batman Wereworlf publié dans Legends of the Dark Knight. En revanche, le concept du fantôme dans une représentation aussi particulière est assez rare.
L’idée d’enquête resitue Batman dans son élément commun. On retrouve les topos habituels : Batman en pleine discussion avec Gordon, Batman à la Batcave, échanges avec Alfred. La particularité vient par la suite, avec la progression de l’enquête. Sam Kieth fait de cette enquête une introspection de Batman, à travers un chemin de déduction très différent : les sens. Batman change. De cette représentation initiale avec le background classique, Batman va rencontrer un nouveau personnage qui va l’aider dans cette enquête. Il évolue au fil de l’enquête, devient plus sensible.
Sam Kieth est un artiste dans un perpétuel exercice de style. Batman : Ghosts est une oeuvre très particulière. Loin d’être graphiquement sa plus grande réussite, il fait preuve d’une écriture déstabilisante et efficace, joignant à la fois le Batman connu de tous et le chemin nouveau qu’il veut lui faire traverser. Néanmoins, son récit souffre d’une écriture très lourde. Les dialogues prolifèrent sans prendre de réel sens. Si bien que l’enquête ne semble être qu’un prétexte à l’hallucination, et à la recherche intérieure. Ce qui en soi n’est pas un mal, mais a déjà été vu, et plus approfondi, avec Batman : Ego.
Que du trash
Le second est le récit le plus connu de Sam Kieth chez DC : Batman / Lobo. L’histoire se réduit à une rencontre, pour une chasse à l’homme. L’exagération extrême et libérée, Sam Keith se donne à cœur joie pour réaliser ses idées les plus folles dans cette idée de crossover déjanté. Bien plus léger et très décomplexé, ce second récit est en totale opposition avec le premier. Batman / Lobo est trash pour être trash, dans cette même vibe qu’un Heavy Metal, dont on ressent une sacrée influence dans la conceptualisation des engins et vaisseaux.
Sam Keith fait sortir ses personnages de leur zone de confort, et le lecteur avec. Il ne faut donc pas s’étonner d’être constamment déstabilisé. Sam Kieth possède un style brouillon, poussant la caricature au delà de ce que peut réaliser un artiste comme Kelley Jones. Ses traits fins et répétés, dépassant des contours des formes, perturbe. S’il peut révéler un style particulièrement minimaliste, et simplifié, il peut également soigner une planche en lui faisant gagner en précision. Plus qu’une question de traits tracés, Sam Keith accorde sa colorisation à sa recherche de précision.
En rupture totale, avec Batman : Ghosts, Sam Kieth gagne en rigueur lors des hallucinations, et lors des manifestations du fantastique, et minimise son trait dans les scènes liées au réel. Ces deux parties qui forment un tout, créent une hétérogénéité dérangeante. La qualité de l’illustration varie énormément d’une case à l’autre, pouvant aller de la simple esquisse géométrique à un gros plan précis.
Batman : Ghosts regroupe deux travaux très différents d’un même artiste, peu connu en France. Son style divise pleinement, et à raison. L’effet est bien recherché par l’artiste. Il ne divise pas un lectorat, mais le lecteur. On trouve alors deux facettes de Sam Keith. Celle de l’artiste adepte du paranormal, profitant de sa capacité à illustrer un récit onirique comme il a pu le faire sur Sandman. Et une facette d’un style pleinement trash et décomplexé avec Lobo. Peu importe vos goûts, Sam Keith ne laisse pas indifférent.