Review VF – Les Gardiens de Terre-4

Vous connaissez les comics Charlton ? Ça m’étonnerait grandement. En règle général, on parle des comics Charlton lorsqu’on s’intéresse de plus près aux personnages de Watchmen. Et j’en vexerai certains, mais c’est bien dommage de limiter l’univers Charlton à la matière première des Watchmen. Alan Moore y a trouvé sa base, mais il réside une large différence entre les travaux de Steve Ditko et Alan Moore. Si Urban Comics joue en quelque sorte sur cet aspect pour attirer les curieux (ce qui n’est pas un mal), cet album témoigne de lui-même de la diversité des sujets abordés par Steve Ditko, ainsi que son esthétique singulière.

Who Watched Charlton Comics ?

Pour bien commencer il faut brièvement présenter l’éditeur et l’auteur principal. Les comics Charlton étaient des concurrents de DC Comics. Dans les années 60, alors que Steve Ditko travaille chez Marvel, il voit son travail modifié, ses demandes refusées, en plus d’une certaine susceptibilité du créateur évoquée par des employés de chez Marvel, ce qui entraîne sa démission. Steve Ditko avait donné toute sa profondeur au personnage de Spider-man, et Stan Lee ne tenait à y faire qu’un élève model qui réussit à se sortir de ses problèmes. Steve Ditko réalise quelques projets ci et là (ci et là, incluant DC Comics et la création du duo Hawk and Dove) pour tomber chez Charlton Comics. Une maison d’édition de second plan qui tente de faire concurrence. L’arrivée de Steve Ditko permettra à l’artiste de créer ses personnages et développer librement ses idées. Pour cela Ditko va créer le Captain Atom et The Question, mais aussi remettre au goût du jour Blue Beetle avec le personnage de Ted Kord. Arrivé dans les années 80, Charlton est racheté par DC Comics qui intégrera ces personnages au cours de la célèbre Crisis on Infinite Earths.

Trois personnages présents dans cet album qui présente l’évolution apportée par Steve Ditko au personnage du Captain Atom, les back-up puis la première série de Blue Beetle (Ted Kord), et de même pour The Question qui n’avait eu que de gros back-ups, et n’aura sa série que bien plus tard chez DC sous le crayon de Dennis O’Neil. Chaque personnage est intéressant. On ne peut parler d’attachement, mais sont sujets à une étude de la justice que soutien le héros. Le héros est avant tout humain. Steve Ditko maintient ce mal être chez le héros et les difficultés qu’il doit surmonter aventure après aventure. Ces numéros des années 60 sont bien loin de ce qu’on peut voir comme des histoires « classiques ». Le héros n’est pas super-héros, il n’a pas cet aspect boy-scout et n’a jamais la victoire facile. Sans compter le soutien d’une population remettant sans cesse en question le pouvoir donné au héros et le sentiment d’insécurité. Vous remarquerez que le monde reste le même, pas de place pour le doute, le jugement avant tout.

Les héros sont noirs dans leur écriture. Et cela va en s’accentuant. Le Captain Atom est coloré, joyeux, Steve Ditko se l’approprie et le met face à une imposante menace. Le personnage change du tout au tout et son caractère avec. Ensuite vient Blue Beetle. Le changement de personnage est instauré dès le premier numéro, mais le problème identitaire du Blue Beetle et le rapport au mentor disparu sera traité par la suite. On y trouve quelques caractéristiques du Peter Parker de Ditko. Dans sa croyance à la justice, Ted Kord se donne du mal pour être celui qu’il veut être. Enfin, The Question qui soulèvera tout le thème de l’identité et de justice.

Are You Experienced ?

Toutes ces thématiques et personnages se retrouvent dans un milieu très coloré, des aventures assez étranges notamment pour Captain Atom. Si le ton s’assombrit, les récits gagnent au fur et à mesure en sérieux. Il ne faut pas se fier aux apparences. L’univers coloré est représentatif du comic-book, et la partie divertissement, la lecture première de la chose. Il suffit de gratter très légèrement pour s’apercevoir que Ditko a donné de sa personne et a partagé sa vision du monde. Un album regroupant une importante partie de l’oeuvre de Steve Ditko, à mettre en lien avec l’objectivisme, mouvement philosophique de Ayn Rand. Steve Ditko y est énormément impliqué, une philosophie que l’on retrouve dans cet album, mais également dans l’ensemble de son oeuvre, chaque personnage créé apportant un nouvel angle sur la pensée de l’auteur.

Steve Ditko n’est pas l’unique artiste présent, puisqu’il sera aidé d’Alex Toth entre autres, mais est bien la tête pensante de l’ensemble de l’album et le dessinateur d’une grande majorité des numéros. Le dessin de Steve Ditko est reconnaissable entre tous. De sa manie de présenter en première page une sorte de préface ou d’introduction témoignant de sa mise en page psychédélique. Le papier et de cette édition a cette qualité de mettre en valeur les couleurs des planches et de donner à ces dessins une nouvelle vie.

Les plans sont toujours d’une incroyable beauté. L’action est des plus dynamique, et les effets de mouvements sont très fluides. L’artiste réussit à faire ressentir l’effet de lourdeur du corps, comme lorsque Question est sonné ou lorsque Captain Atom est épuisé, tout comme la légèreté dans les mouvements de Blue Beetle. Sans revenir sur les sublimes pages d’introduction et couvertures, l’expression faciale est un des grands talents de Steve Ditko. L’artiste excelle dans les plans rapprochés. Il trouve les traits justes pour ne pas tomber dans la surcharge et toucher le lecteur de cette expression pour transmettre le sentiment voulu. Qu’il s’agisse de la représentation ou de l’effet même, Steve Ditko vise juste.

Lost in Translation

Est-ce pour autant un achat indispensable ? Touchons-nous à un chef d’oeuvre ? Je dirais « Absolument ! » si seulement l’édition ne faisait pas défaut au contenu. Nous nous trouvons dans les années 60, et Urban Comics a depuis toujours mis l’accent sur l’aspect cliché et kitsch des récits du Silver Age. Il n’y a qu’à voir les Anthologies pour se rendre compte de l’approche utilisée. Les Gardiens de Terre 4 n’y échappent pas. Et c’est bien à leur dépens. Expressions ridicules, et vocabulaire passé, tout est bon pour resituer l’oeuvre dans son époque. Est-ce un bien pour autant ? On ne demandera pas un vocabulaire normal et pour avoir vu l’album VO, rien ne forçait à cette traduction créatrice de gêne lors de certaines cases.

Il ne s’agit pas uniquement de la traduction, mais aussi de l’édition. Ce pavé compte pas moins de 390 pages. L’album est lourd, et s’il ne s’agit que de références, la répartition des épisodes aurait, elle aussi, pu être améliorée pour une meilleure lecture et éviter de passer sans arrêt d’un personnage à un autre.

Les Gardiens de Terre-4 ont cette chance d’arriver en France, chose inespérée, et mérite toute votre attention. Cependant, gardez bien à l’esprit que la traduction peut vous dérouter. Si vous êtes un habitué des travaux d’Urban Comics sur les comics anciens, elle peut ne pas vous paraître gênante. Une réserve est à placer. C’est bien dommage pour un album qui avait tout d’un chef d’oeuvre.