Review VO – Bug ! The Adventures of Forager #1

Un modèle est en train de se mettre en place chez Young Animal. Si on avait pu penser que l’originalité, souvent volontairement confuse, des premières séries était surtout le produit du style de l’imitateur Gerard Way, fana’ de la complexité trippy des premiers boulots de Grant Morrison chez Vertigo, force est de le constater aujourd’hui : en tant qu’éditeur, Way réclame le bizarre. Il le commande, et là où on peut applaudir cette exigence éditoriale à l’opposée quasi diamétrale de celle d’un Didio à l’étage du dessus, cette recherche du psychédélique jusqu’au bout commence à trouver ses limites. Bug en devient un exemple : on peut isoler des qualités, des défauts, mais dans le foutoir d’un premier  numéro qui ne se propose manifestement pas de prendre le lecteur par la main, on tombe devant comme face à un exercice de style qui devient une habitude sous l’enseigne : le comics de super-héros abstrait.

Pour détailler l’approche et donner deux trois clés de lecture aux nouveaux, le numéro s’ouvre sur une intro’ sommaire qui rappelle le parcours de son héros. En détails, Forager est un « insecte » de New Genesis, un genre de sous-race d’humano-insectoïdes habitant le coeur de la planète des New Gods et considérés par les habitants de la surface comme des êtres inférieurs. Sauf que, à l’image d’Orion, Forager serait en fait un New God élevé parmi les insectes par abandon ou par erreur, et aurait gagné ses lettres de noblesses aux côtés du fils de Darkseid dans Cosmic Odyssey de Stalin et Mignola (lisez ça, c’est bien), quand il sauve Batman de l’équation d’anti-vie en se sacrifiant. Son acte d’héroïsme vaudra à son peuple d’être connu par le Highfather comme d’authentiques New Gods, et c’est à peu près là que l’histoire reprend.

Si vous vous sentez déjà perdus par ce pitch éclair, qui n’est pas résumé de manière explicite dans le comics, ce n’est pas par hasard : ce numéro est volontairement opaque, et risque de rebuter les lecteurs qui n’ont pas une connaissance relativement solide des créations de Kirby. Cela étant dit, tout se complexifie un niveau plus loin, puisque l’écriture continue de s’épaissir : Bug est-il mort ou est il dans un rêve ? Est-il dans sa vie d’après, dans les limbes ou dans un genre de paradis artificiel destiné aux New Gods ? Encore un peu tôt pour répondre à la question, le scénario emprunte aux codes du voyage de l’inconscient pour expliquer sa narration décousue. Ca, et l’hommage direct au style narratif de Kirby.

On retrouve en effet tout un tas de codes (y compris dans le découpage et la composition des cases) empruntés au King et à l’écriture de l’âge d’argent : un héros qui parle tout seul, ne s’étonne jamais de la bizarrerie de son environnement, accepte avec grande facilité des concepts abstraits, et évolue avec une certaine naïveté au travers de l’histoire. Comme sur Solo, Allred rend ici hommage aux comics de sa jeunesse, avec son style habituel. On retrouve certaines postures de héros et un dynamisme dans les mouvements fidèle au style de l’auteur original.

Mais le scénario empile par dessus tout ça les influences Morrison de Way, avec tout un tas de trucs difficiles à situer : une fillette-fantôme, un ours en peluche philosophe, un schéma de Mother Box réalisé en dominos, un propos sur le véritable esprit de révolte et deux trois apports mythologiques à la création du 4ème Monde (en plus d’une superbe référence à Minus & Cortex, oui, je vous assure). Si l’ensemble reste plaisant à lire, on se heurte vite à savoir où tout ça veut en venir, un peu comme sur d’autres séries Young Animal où la recherche de l’abstrait paraît forcée et où tout ça aurait pu être fait plus simplement, avec plus de justesse.

Graphiquement, c’est évidemment très beau pour les amoureux du style du dessinateur, qui utilise comme d’habitude sa palette très stylisée (nul doute vu la relative rareté des intérieurs d’Allred que ses fans se doivent de posséder le bouquin, qui reste un joli travail du dessinateur et de son épouse, toujours joliment associés dans le duo dessin et couleurs). Du reste, un regret plus anecdotique : il est dommage que les New Gods évoluent en parallèle du DCU traditionnel, qui n’a décidément récupéré de l’esprit initial que Darkseid et sa panoplie de lieutenants. Quoi que ce récit ait plus une tronche de voyage mystique ou initiatique, l’absence de lien proposé de fait par l’imprint compartimentent davantage les héros de New Genesis, même si on s’explique naturellement que seul un fou comme Way se propose en 2017 de publier une série sur un héros aussi mineur, qui n’aurait pas vu le jour sous la bannière du DC traditionnel.

Il est toujours un peu complexe d’entrer dans une série Young Animal, tout simplement parce que personne n’a promis que ce serait facile à palper dès les premières pages. Si on peut naturellement faire confiance à Mike Allred et Gerard Way (qui mène une jolie barque sur ses autres séries, une fois le propos décanté sur les numéros suivants), cette première lecture est à déconseiller à un certain lectorat. On la recommandera plus aisément aux amoureux naturels de Kirby et de la part cosmique de DC, à ceux qui aiment l’esprit Morrison et les aventures trippy où l’auteur assume d’écrire d’abord pour lui et ensuite pour le lecteur, et aux fans du dessinateur qui reste, de ce côté là, clair avec ses capacités artistiques. Ce genre de lectures a l’avantage de proposer un « DC Comics autrement », et à défaut d’être véritablement l’héritier spirituel du Vertigo de l’époque, on aurait du mal à dire que Gerard Way n’a pas un minimum de cohérence dans l’application de sa ligne édito’.