Review VF – Batman Cité Brisée

« Quel genre d’homme est assez cruel pour tuer les parents d’un enfant… Et le laisser en vie ? » – Bruce Wayne


Au chapitre des volumes séparés, les récits hors-temps que l’on peut cataloguer dans des trades sans se demander où les situer vis à vis de tel grand rebondissement de continuité, on retrouve une catégorie finalement assez restreinte d’auteurs à avoir livré plus de deux grands récits au mythe du Chevalier Noir. Si on peut appuyer le fait que Miller en soit à son troisième (ou quatrième, selon qu’on accroche ou pas à DKSA), on peut noter que la pierre moderne qu’il est en train de poser avec Kubert et Janson s’accompagne surtout d’un autre scénariste, Brian Azzarello. Hors, grands runs mis de côté, ce dernier a dans sa manche quelques jolis immanquables, et je n’évoque pas dès le début de cette critique sa collaboration avec Frank Miller par hasard. A bien des égards, comme Snyder, ce scénariste là peut se revendiquer d’un héritage certain, et avec ce volume, on pourrait même parler de descendant direct. Parce que ce que regroupe l’édition française de Cité Brisée par Urban Comics tient autant du diptyque d’alpha vers l’omega que peut recouvrir un duo Year One/Dark Knight Returns.

Ce volume n’est en effet pas que la seule traduction en hardcover de Broken City, un arc survenu entre Batman #620 et Batman #625. L’éditeur français aura en effet fait le choix de réunir les différentes collaborations d’Azzarello avec son pote de 100 Bullets et Spaceman Eduardo Risso en un seul tome, ce qui donne pas mal de poids à l’ouvrage et de texte à cette critique. On y retrouve donc Broken City, le numéro réalisé par le duo sur Gotham Knights #8, leur participation à l’initiative Wednesday Comics et surtout, le tie-in Knight of Vengeance publié en parallèle de l’événement Flashpoint, une histoire alternative du Batman de cette réalité relativement peu connue compte tenue de sa qualité remarquable. Il y a donc du grain à moudre, et on commence par l’histoire qui donne au bouquin son titre, Cité Brisée.

A travers une Gotham dépourvue de repères moraux, Batman enquête. Il enquête comme un privé de film noir, où s’entrechoquent tous les codes prêtés à ce genre cinématographique et littéraire : un monde sale, un héros cynique et désabusé, violent, des femmes fatales et des meurtres mystérieux entre parrains du crimes aussi détestés par le héros que bons informateurs et rouages d’une immense machine criminelle où le justicier n’apparaît qu’à peine comme une solution. Cette embrassade de matériaux propres aux romans détectives et aux films associés est poussée jusqu’au bout par Azzarello, qui choisit de forcer le trait pour rentrer son Batman dans ce monde qui évoque un Sin City au même traits boursouflés. Tout est exécuté d’une main de maître par Azzarello, depuis l’amorce jusqu’au rebondissement de fin, comme une de ses aventures hors continuité qui servent autant à remettre les pièces à leur place qu’à l’exercice de style d’un auteur qui doit constamment chercher à réinventer le mythe.

On peut attacher ce morceau là à toute une continuité de grandes oeuvres. La folie de Batman très prononcée, son ultra-violence – qui aura de quoi choquer les puristes d’une chauve-souris plus lumineuse – sa relation au Joker et la peinture des criminels de la ville : on oscille entre plusieurs visions, quoi que l’héritage du style et de la vision sans concessions de Miller soit palpable chez ce Bruce généreux du marron et de la phrase bien sentie. On retrouve chez Azzarello le même goût pour les récits de vieux flic bourru, ou fourbu, dans une cité sombre sans espoir percée de monologues intérieurs et de voyous à la gueule cassée. Le rythme est là pour donner à l’ensemble un aspect magique, presque auto-contenu dans une noirceur qui semble tout englober. Comme si, tout à coup, Gotham n’avait plus ni espoir, ni vie civile, et n’était qu’un immense rade de pouilleux, de tueurs et de prostituées. Superbe utilisation du Ventriloque et de Killer Croc, dont, décidément, entre son utilisation dans cette histoire et dans son Joker avec BermejoAzzarello semble décidément assez fan.

Le choix de publier ce récit dans l’ongoing classique de Batman interroge, d’ailleurs, tant le tout a une tête d’OGN avec quelques cliffs’ de fin de numéro. On peut aisément prendre Cité Brisée et le placer çà ou là aux alentours de Long Halloween, avant ou après Killing Joke selon les envies. Le Batman y semble encore obnubilé par ses origines, et fou comme celui d’Ego, entre haine et passion pour le crime, qui est autant au vu de la ville un des éléments du problème. L’ensemble peut cependant parfaitement se lire comme un exercice de style, un hommage du scénariste à son maître, une version parodique qui reprend un peu des codes de 100 Bullets ou d’un genre particulier de détective-story, ce qui aide à faire passer deux trois pilules. Le style super expéditif des dialogues, par exemple, qui n’est pas toujours excellemment retranscrit par la traduction, ou à nouveau, une caractérisation hyper tranchée.

Dans l’ensemble, cette histoire tient cependant d’un quasi-sans faute dans son genre et son point de vue, et l’une des grands réussites de l’auteur sur la Chauve Souris. La seconde sur laquelle il convient de s’attarder s’appelle Knight of VengeanceChevalier Vengeur en Français, et quoi que plus courte, a tout aussi long à développer. Pour ceux qui n’auraient pas lu Flashpoint (il me paraît compliqué de vous en parler sans en dévoiler un peu), ici est un monde où le porteur du costume ne s’appelle pas Bruce mais Thomas Wayne, père d’un fils assassiné dans une ruelle sombre de Crime Alley. Inversement de perspective : traumatisé par la mort de son fils, c’est ici le père qui se déguise en chauve-souris pour assainir la ville. Une idée pas forcément nouvelle, mais assez géniale tant le scénario choisit ici de la prendre au sérieux.

On aurait encore une fois ici du mal à ne pas faire de lien avec le Dark Knight Returns – un vieux Batman en deuil de son fils qui grommelle et n’hésite pas à user de méthodes plutôt radicales. Mais c’est plutôt la tenue du point de vue que le duo va adopter pour raconter cette histoire qui la rend véritablement brillante : les Elseworlds ont toujours ce côté ludique d’imaginer un monde autrement, avec ce que seraient devenus tels ou tels figures bien connues dans telles ou telles configurations. Ici, le côté découverte s’efface rapidement devant la morosité noire de cette version des faits. Si le scénario s’applique à faire vrai, à rendre crédible cette idée d’un Bat-Papa en fonction, en transposant les codes du mythe que chacun connaît avec efficacité, c’est surtout vers la fin que le récit décolle, quand l’auteur arrive à en dire long avec peu de mots, et au lieu de prendre son lecteur par la main, joue sur le décalage en laissant imaginer un monde différent avec une économie louable de moyens.

C’est là que la double-publication fonctionne et s’explique presque logiquement. Les deux versions d’un même mythe, qui revient aux origines, à Crime Alley. Une aventure de Batman hors contexte, qui se charge de restaurer toute la force et les grande symboliques du héros (de sa folie à sa croisade presque maudite dans la cité sombre), pour la transposer avec cette autre version qui s’attaque au même sujet, mais avec l’idée du crépuscule du héros. Un dyptique formidable, et honnêtement je manque de place pour vous dire le bien que j’en pense vu la taille que fait déjà cette critique, surtout que nous n’avons pas encore parlé du dessin.

En l’occurrence, quelques adjectifs suffisent : c’est proprement magnifique. Avec un trait qui se place entre Mignola et Tim Sale sur l’échelle d’un trait qui, derrière des atours simplistes, cherche un fourmillement d’idées de mise en scène, de changement d’ambiances, de couleurs et de perspectives constants, la Gotham d’Eduardo Risso a une gueule unique et un cachet qui ne cesse de s’accorder aux tonalité du récit. Si, comme d’hab avec l’art graphique, tout ça relève évidemment d’une subjectivité qui m’est propre (oui), on peut difficilement critiquer la symbiose du dessinateur avec son scénariste, qui illustre à la perfection les intentions de l’histoire et devient indissociable de la qualité double du volume. C’est du travail de maître. Disons le. C’est dit, hop.

J’oublie presque volontairement de vous mentionner les deux petites histoires qui encerclent tout ça (histoire de vous laisser savourer), mais toutes deux sont aussi très bonnes et l’exercice comic strip du passage Wednesday ajoute un troisième exercice de style à un tome qui de toutes façons est à posséder. J’vous ai peut-être dit un peu trop de bien d’Urban récemment, et loin de moi l’envie de jouer les VRP, mais Azzarello étant un génie et Risso un artiste extraordinaire, j’aime à penser que vous me pardonnerez aisément à la lecture de ce tome qui compile un boulot assez exceptionnel dans la nuit de Gotham. Personnel, tranché, original et inventif, Citée Brisée et Chevalier Vengeur sont deux histoires à lire, pour enrichir votre vision du justicier ou découvrir le taff d’un auteur et d’un dessinateur qui sont publiés dans d’autres trucs (en VF comme en VO) tout aussi excellents. Et si vous trouvez aussi un peu de Miller dans tout ça, faites moi signe, histoire de savoir si ce n’est pas moi qui suis juste trop fan ou trop parano’.

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Corentin

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The Bat
6 années il y a

J’avais adoré ce récit quand je l’avais lu en VO. Il me reste à le redécouvrir en VF (même si j’appréhende la traduction qui fera perdre l’impact des dialogues d’Azzarello) en plus des autres histoires de ce duo dont la symbiose n’est plus à démontrer. Ce qui m’avait sauté aux yeux c’est le côté très millerien de l’œuvre. La Gotham sale et poisseuse de Risso ne fait que renforcer ce sentiment. On pourrait presque considérer Broken City et The Dark Knight Returns comme faisant partie du même univers. Bref je reviendrai donner mon avis une fois ce chef d’œuvre relu.

Porter
6 années il y a

Je vais peut être me laisser tenter , la review donne envie.

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