L’humeur du lundi #32 – Between the Buttons

Humeur du Lundi

Les classiques ne meurent jamais. Les comics ont ceci de commun avec la philosophie bouddhiste et l’écologie urbaine : tout n’est que recyclage de concepts pré-existants. Quand Moore écrit The Killing Joke, il récupère un plot de février 1951, The Man Behind the Red Hood, qu’il va charger d’une symbolique nouvelle, sur les facettes supposées d’un grand vilain de BD. Même constat pour Ed Brubaker avec son Man Who Laughs, ou dans une perspective moins grandiloquente, avec le Forever Evil de Johns qui récupère L’Autre Terre de Morrison, lui même ne faisant que réadapter le fameux concept du Crime Syndicate, plus vieux encore que le Flash of Two Worlds. Dans les New 52, comme dans Rebirth, on a plusieurs fois observé cette tendance à redonder. Rappeler, réécrire, réadapter de vieux trucs avec des styles nouveaux, parfois pour le meilleur (genre, Animal Man), d’autres, pour le pire (Zero Year, et ne me dites pas que je suis partial).

Quand The Button commence, la question à se poser est : le peut-on ? Peut-on réellement truander une nouvelle fois avec l’héritage du jésus hippie de la BD Américaine, celui qui du haut de sa montagne commençait ses phrases par « en vérité je vous le dis » avant de se lancer dans les diatribes de renversements épistémologiques, de drogues, de philosophies, et d’un leg à ce point conséquent qu’on ne peut pas s’empêcher de retoucher périodiquement à ses idées comme à celles de Miller, avec respect et irrespect à la fois. Il y a eu Watchmen, et quand la publication s’est achevée, le monde des comics portait son Citizen Kane, son Cuirassée Potemkine, son Odyssée et son White Album : c’était de la frappe, c’était complet, il n’y avait rien à ajouter. Quelques décennies plus tard, Before Watchmen le confirmait à demi-mots, malgré un effort conséquent sur certains héros (à défaut d’être utiles, ils étaient sympatoches), et quoi que personne n’en aurait eu envie, il se trouve que les débuts de réintronisation dans le DC Proper semblent fonctionner. Pourquoi ? Parce que c’est pas mal.

Alors, si le débat du oui ou non, faut il violer le statut d’auteur en le dépossédant de son oeuvre pour l’intégrer au forcing à la machine éditoriale plus tentaculaire que la création d’Ozymandias vous gène, vous avez le droit de vous demander ce qu’en penseraient Siegel Shuster. Mais, pour mettre ce bazar là de côté, on va aller vite : être contre le principe, oui, mais à la lecture, le Batman #21, ça dépote, et voici pourquoi. Quand le DC Rebirth s’achève, quiconque aura compris. Manhattan est là, la montre est là, et si les détails de sa présence seront l’objet de mois futurs, le fait de prendre un temps monstre pour laisser l’idée se décanter était la meilleure des choses : pas de cliff’ obtus, un numéro de 80 pages plus centré sur la retrouvaille Barry/Wally et où la présence du Docteur ne serait qu’une jolie toile de fond. La récupération d’un process de construction à la Crisis, qui prend son temps pour accumuler des intrigues éparses à reconcentrer sur le long terme. On peut se demander pourquoi Batman n’a pas commencé directement à enquêter sur les trois Jokers ou le badge au lieu de batifoler avec son copain luchador, mais l’implication du masque de Psycho-Pirate dans le jeu scénaristique est bien trouvé. Le méchant qui se souvient des continuités, le seul capable de communiquer avec les récits oubliés (bref, le vilain le plus utile pour démonter le quatrième mur), tandis que de son côté le Flash aura passé quelques années sous différentes plumes à ignorer son passif Flashpoint.

Mais surtout : The Button commence comme Watchmen. Regardez mieux : le Comédien, devant son écran de télé, qui regarde le monde se désagréger avant de recevoir la victime d’un meurtrier mystérieux. Celui-ci l’envoie à travers une vitre, qui se brise comme les écrans de Batman, et l’intrigue est lancée sur une mort inexplicable. A une différence près, ici c’est l’assaillant mystérieux qui y reste après avoir laissé un « I saw god » aussi énigmatique que le « it’s a joke » du clown moustachu au barreau de chaise intemporel. L’exécution ne déconne pas, le style de Fabok vend le truc, l’amour de King pour l’exercice de style glisse joliment son gaufrier enchaîné, et là où le numéro ne donne aucune réponse  de fond, il confirme en tout cas qu’à son rythme, Rebirth ne sera pas qu’un cross estival moisi.

C’est ensuite un peu plus terne quand le Flash reprend la tête de l’intrigue, et là dessus on n’a aucun mal à imaginer que rien d’autre que de l’indice ne sera balancé aux personnages (à moins que Morrison n’arrête de bouder et revienne signer un Multiversity 2 où les héros DC comprennent qu’ils sont des personnages de BD, ce qui serait grave cool et complémentaire de Pax Americana par dessus le marché). De son côté, l’univers partagé se remet en mouvements, et d’autres séries réalisent peu à peu la supercherie d’un reboot qui semble presque auto-justifier son aspect précipité : comme si, à travers Superman ou Wonder Woman, l’éditorial de DC transformait un processus chaotique de reconstruction d’univers par touches en grande fresque énigmatique qui s’animait à différents endroits. Et ne me dites pas que je suis un fan : depuis quand a-t-on vraiment eu envie de savoir comment les implications cosmiques du bordel fonctionnaient ? Final Crisis ? Quand les New 52 sont apparus, on a giclé Pandora au visage du lecteur avant de lui rappeler que tout le monde s’en foutait et que le but n’était que de fourguer des numéros #1. Quant à Convergence, tape dans tes mains si tu as brûlé tes singles pour te chauffer cet hiver.

Parce que DC marche ainsi : les Crises n’existent que pour transformer d’impures décisions éditoriales (en général, décidées pour relancer l’intérêt et la vie des kiosques) en coup de génie scénaristique. On peut être placide, se dire que Supergirl meurt dans Crisis parce que le film n’avait pas marché et qu’on pouvait se débarrasser d’elle. Se dire que Flashpoint n’est arrivé que parce que Brightest Day changeait à ce point l’équilibre des puissances qu’aucun auteur n’avait envie de bosser dans un monde de White Lantern et de Créatures du Marais. Ou bien on peut admirer le délire : que tout ça, tous ces grands chambardements cosmiques soient un reflet justifié de décisions d’éditeurs, où la moindre relancée commandée par l’intérêt financier ou l’envie de remettre un coup dans la fourmilière pour attirer l’attention donne lieu à ces rares moments de lectures où les auteurs se sortent les doigts jusqu’à à nouveau faire vibrer un lectorat éparpillé.

Et ce, qu’on soit comme moi réticent à l’idée de piller le cadavre barbu d’un Moore qui aurait vraiment du engager un bon avocat avant de signer avec DC ou qu’on ait juste envie de voir toutes ces séries comme un véritable univers partagé en proie à ces superbes transformations cosmiques qui effraient les lecteurs ordinaires, c’est réussi. Le premier numéro du Button, à l’image de la conclusion sur le Joker de Darkseid War ou la reformation de la montre du grand type bleu dans Rebirth, ce sont ces touches de géant qui font qu’on aime lire les BD et attendre les crossovers : les points de mire où tout change et où on s’implique dans quelque chose qui dure, qui accompagne le lectorat, justifie la continuité (qu’on avait crue sacrifiée à un moment) et récompense le public fidèle, celui qui ne lit pas qu’Harley Quinn et se passionne pour les intrications bizarres des réalités parallèles perverses. Bref, en 2017, après l’ère des reboots et des tentatives de renouvellement, on recommence à caresser le lecteur assidu dans le sens du poil, et c’est peut-être, au delà de la qualité, le meilleur constat à tirer de ce début de crossover, qui tient la promesse d’un relaunch enfin accomplie : celle de retrouver l’ADN de DC, avec des badges, des montres, et du bleu. A la prochaine, où on vous dira si ça s’est bien passé.

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Corentin

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