Le terme mythologie fait résonner en nous celle de la Grèce antique, la mythologie Égyptienne ou encore Nordique pour certains, mais la mythologie assyro-babylonienne (également appelée mythologie mésopotamienne) reste marginale. DC a su bien tirer profit de la mythologie Grecque liée à Wonder Woman. Mais étrangement, les divinités Sumériennes ne sont que des inspirations, ou des noms donnés, et ne sont que très rarement des représentations directes de ces divinités, là où Arès, Zeus et bien d’autres deviennent des lieux d’expérimentations pour les artistes. Tout comme dans notre rapport direct à la mythologie, la présence de la mythologie assyro-babylonienne se fait particulièrement discrète dans l’univers DC et se dissémine par diverses petites touches à travers son histoire.
Petit topo rapide sur le contexte : la Mésopotamie a connu plusieurs peuples. On ne retiendra que les plus connus – les akkadiens et les sumériens – pour la bonne raison qu’il s’agit des peuples ayant donné naissance à cette mythologie, appelée mythologie sumérienne, car la plupart venait des peuples sumériens. Je vais ici essayer de retracer l’histoire et les inspirations des mythes utilisés chez DC Comics. De la première évocation à la création de personnages issus de cette mythologie, tout comme cela peut être le cas pour Atlas chez DC ou Hercules chez Marvel. Je vais essayer de rendre le tout le plus compréhensible possible avec une présentation rapide du mythe évoqué et des concepts qui l’entourent.
Première apparition d’une civilisation fraîchement retrouvée
Babylone fait sa première apparition chez DC dès le Golden Age ! Publié avant l’arrivée officielle du Silver Age, ce numéro reste très similaire à ce qui se fera encore les années suivantes avec tout ce que le Silver Age a de fantasque et amusant. Il s’agit de Batman #102 avec l’aventure The Batman from Babylon, écrite par Bill Finger et dessinée par Dick Sprang. Un scientifique demande l’aide de Bruce Wayne et Dick Grayson car il est bloqué dans ses recherches à propos d’un « Roi n’ayant jamais existé« . Il les envoie alors 3000 ans avant notre ère, où Batman et Robin tenteront de résoudre ce mystère. Arrivé soudainement face à l’unique temple de Babylone, ils trouveront une divinité créée pour l’occasion ressemblant à Batman pour le bien de l’intrigue entre quelques éléments assez drôle comme la « Babylonian Batcave ! » ou la « Babylonian Batmobile !« . Cette divinité crée est appelée Zorn et n’est qu’une pâle copie du costume de Batman. Ce qui nous intéresse à travers ce numéro, est bien le contexte.
Nous sommes au tout début des années 60’s et les fouilles en Mésopotamie perdent en intensité. Cependant, l’étude des objets donnent des résultats. Et c’est une série de découvertes concernant une civilisation étonnement riche (dont la plupart des ouvrages concernant cette civilisation sont américains) ! La première chose surprenante est la représentation de Babylone. Le tout est vulgarisé, mais la forme du temple ressemble fortement à leur système de construction des temples. Il ne faut cependant pas prendre les informations de ce numéro comme vérité. Le roi est vu comme un tyran, on trouve de très nombreux éléments difficiles à associer aux peuples Mésopotamiens, comme le roi se détournant des divinités où il dit que Zorn n’est rien de plus qu’une statue. Pour le bien de l’histoire bien entendu, et cette vulgarisation extrême fait tout le charme de la folie du Silver Age. Toujours est-il que dès ces années là, Babylone était un sujet digne d’intérêt auprès des créateurs de comics, et personne ne se doutait que se trouvait par les découvertes en cours, une source d’inspiration pour les années à venir.
Culture en marge pour des titres marginaux ?
Le principe devient rapidement celui d’user d’une mythologie redécouverte, ce qui se fera de manière très secondaire. De la même manière que la mythologie grecque, la mythologie sumérienne va apparaître de temps à autre. My Greatest Adventure #84 voit apparaître Sumu-Abu, souverain de Babylon à au début du 19ème siècle avant J-C. Il s’agit d’une personnalité réelle. Mais, dans la culture sumérienne, un souverain remarquable, peut atteindre le rang de dieu – selon ses richesses et ses offrandes lors de son voyage vers le monde d’En-bas. Sumu-Abu tient plus de la référence que d’un personnage au sein de cette aventure de la Doom Patrol, mais témoigne d’une inspiration et d’une certaine recherche concernant cette dite mythologie pour alimenter le titre.
En 1981, Steve Englehart écrit « Dance of Two Demons » pour le Madame Xanadu Special #1, aux côtés Marshall Rogers aux dessins. L’histoire est assez risible. Sensibilisant à la débauche et aux substances illicites, cette histoire voit un couple toxicomane voler le livre des sorts et libérer deux démons. Ces démons ne sont autres que Ereshkigale, déesse de la mort, et Tammuz, dieu de l’abondance, une figure remarquée des Enfers. Tammuz s’est sacrifié pour faire sortir sa femme du monde d’En-Bas et l’y remplacer. Steve Englehart ne fait pas mention de ce récit, ni de cette spécificité. Il s’agit d’une histoire limitant les figures sumériennes rattachée aux Enfers à la fonction de démons à enfermer.
Quelques années plus tard, le personnage de Babylon est créé, puis, introduit dans la série Captain Atom (1987). Il s’agit du fils d’un couple de scientifiques morts dans un accident lors d’une expérience menée par le Dr. Megala. Ce dernier, protégé de l’explosion par le corps de l’un des scientifiques, subit de grands dommages. Babylon grandit et suit les traces de ses parents, pour devenir le garde du corps et le servant du Dr.Megala. Il apparaîtra tout le long du titre, et trouvera la mort lors du crossover Janus Contract (Les Archives de la Suicide Squad Volume 2). Il n’a concrètement aucun lien avec le peuple Mésopotamien et seul son nom soutient une référence à la citée. D’autant plus que sa peau rougeâtre l’affilie plus à un peuple natif américain qu’à un Mésopotamien.
Gilgamesh, une épopée transversale
En 1985, Roy Thomas cherche à relancer Arak. Le périple du guerrier natif américain peine à relancer les ventes, et l’idée d’origine d’une odyssée se trouve être bien trop long. Dans Arak #42-43, Arak va lutter dans le monde d’En-Bas (les enfers) contre les dieux de la guerre (Nergal) et de la Mort (Ereshkigal) après avoir rencontré Siduri, un personnage secondaire de L’Épopée de Gilgamesh. Personnages à part entière, ces divinités trouvent facilement la fonction d’antagoniste en rapport aux notions auxquelles ils sont rapportés, mais témoignent d’un lourd travail de la part des scénaristes, Roy et Dann Thomas, en terme de recherches, mais également de la part de Tony DeZuniga qui fait preuve d’une représentation singulière de ces divinités. La référence à la culture sumérienne ne s’arrête pas là, puisque Arak est aidé de Gilgamesh. Malheureusement réduit à sa simple fonctionnalité de puissant guerrier, Roy Thomas peine à faire sortir du personnage la dimension réflexive de son épopée légendaire.
Cependant, cette dite épopée va alimenter une mini-série unique écrite et dessinée par le créateur de Thanos (entre autres), Jim Starlin, à la fin des années 80 : Gilgamesh II. Il y livre une réécriture de Gilgamesh, au même titre qu’une réécriture de Superman. Gilgamesh II reprend l’épopée dans ses grandes lignes, remaniée par Jim Starlin et sa vision toujours aussi proche du cosmique. Ce Gilgamesh a de Superman son statut de héros adulé de tous, que les deux personnages partagent. Individu d’une force telle qu’il ne peut être humain. Il mènera un parcours initiatique à travers une quête vers l’impossible : l’immortalité. Cette œuvre courte (4 numéros) est pourtant immense sur bien des points. Pour cela, je vous invite à vous tourner vers cet article consacré uniquement à ce récit.
Une exploitation générale extrêmement variée
Après avoir tenté le coup, et échoué, avec Xenobrood #0 en 1994, où une équipe de personnages clichés acquièrent des pouvoirs de par des génies sumériens inventés pour l’occasion, l’univers Vertigo s’empare de figures sombres de la mythologie sumérienne, tout d’abord dans Swamp Thing #96-100. Nergal est réduit au statut de démon, antagoniste à la recherche d’un enfant protégé par notre héros verdâtre. Enfermé dans son rôle de démon, Nergal devient par la suite un personnage récurrent du comics Hellblazer dès ses premiers chapitres (#1-12). Laissé de côté, il sera un antagoniste réutilisé par Garth Ennis dans le numéro 60.
Mike Carey en fera un personnage secondaire et un antagoniste de taille pour John durant son run en 2005. Après avoir sombré de nouveau dans l’oubli, c’est Peter Milligan qui le fera revenir le temps d’un arc, et y fera même apparaître Alu, un démon sumérien (Hellblazer #256). Nergal trouve sa place dans les adaptations, dont le film animé Constantine : City of Demons – adaptation directe d’un arc de Mike Carey. Avec un inspiration similaire, Nergal est également présent dans la série Constantine de NBC, interprété par Joey Philipps.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’utilisation de cette fameuse mythologie par Neil Gaiman est des plus originales et intéressantes. L’auteur d’American Gods initie son concept dans Sandman #45 avec Ishtar. Déesse de l’amour et de la guerre suite à une confusion entre Ishtar et la déesse Inanna, elle est ici une strip-teaseuse qu’on découvre au fil du numéro et qui, dans son dénouement, révèle sa personnalité et son insinue son origine en tant que déesse en laquelle plus personne ne croit, ni ne se souvient. Dream la retrouve et l’appelle Belili, nom à l’origine de la désormais répandu Lilith qui trouve son origine avec Ishtar. En quelques échanges, Gaiman sous-entend tout l’héritage mésopotamien de la mythologie et son point d’origine sur notre culture entière. Il entraine avec lui une lourde réflexion sur ce souvenir des divinités qui n’ont fait que changer de forme lorsque, suite au départ de Dream, Ishtar dansera jusqu’à réduire son humble temple moderne en ruines avant de s’évaporer.
Dans la mini-série El Diablo (2006), Jai Nitz utilise la mythologie mésopotamienne pour fournir au nouveau El Diablo un antagoniste. Dans son aventure fleurant bon la réécriture et de Ghost Rider et de Spawn, le scénariste fait de la déesse Ninhursag une sorte de Mephisto. L’histoire ne se targue pas d’originalité, au contraire. Elle explique puiser dans les récits antiques pour se nourrir des thèmes premiers : la vengeance, le sacrifice et la chasse aux démons. Alors que Ninhursag est une déesse de la fertilité associée à la montagne, elle est ici représentée comme une image féminine de Satan. Pour expliquer cette modification, Nitz expose une légende où Ninhursag serait une divinité envieuse, jalouse de ne pouvoir vivre avec son aimé, Enkidu. Le souci est que, si certaines légendes racontent effectivement quelques tumultes amoureux avec Enkidu, Ninhursag finit toujours par tenir un rôle de guérisseuse. Et en cela, si cette version de Ninhursag tente d’expliciter l’origine de son personnage à travers sa mythologie, elle n’en garde qu’une inspiration mineure pour en faire un énième personnage malveillant de nature.
En 2007, Douglas Rushkoff écrit Testament chez Vertigo aux côtés de Liam Sharp. Académicien et essayiste, Douglas Rushkoff s’attaque ici à une modernisation des récits principaux de la Bible dans une triple narration amorcée dès le premier numéro. Il présente dans un premier temps le récit auquel il se réfère et fait progresser en parallèle son intrigue dans une sorte de réécriture du premier récit. Son objectif, révéler la répétition des drames connus dans un futur dystopique teinté de cyberpunk. Au fur et à mesure, Rushkoff va agrémenter son univers d’apports issus de légendes et cultures différentes, toutes liées à la création du monde et au désir de création de l’homme. Ainsi, la mythologie mésopotamienne est représentée par Marduk, la divinité ayant créé la terre et la ciel à partir de la divinité du chaos, Tiamat. Dans l’arc intitulé Babel, ces avatars bibliques doivent arrêter la construction de la tour de Babel, protégée par Marduk. Outre les nombreuses libertés que s’octroie cette réécriture, la représentation de Marduk se veut fidèle à l’allure bestiale et colossale. Malgré sa narration complexe, Testament est une série particulièrement intéressante dans l’idée d’utiliser à nouveaux ces divinités qu’on pourrait qualifier de classique, où Marduk retrouve son statut de divinité phare de toute une civilisation.
Dans Larfleeze #7-12, l’agent orange s’oppose au conseil des dix, dont Errata, la déesse du chaos. Sous ce nom se cache Erra, un avatar de Nergal. Déesse de la peste et de la destruction, Keith Giffen et J. M. Dematteis ne semblent pas s’être véritablement plus préoccupés de son origine mythologique. Il s’agit néanmoins de l’utilisation la plus récente de la mythologie mésopotamienne dans les comics DC.
De la mythologie à l’univers DC : intégration des divinités à l’univers canonique
La divinité la plus présente dans l’univers DC s’appelle Tiamat. Elle est à l’origine un personnage de l’univers d’Aquaman, de par son statut de déesse de l’océan. Elle est tout d’abord mentionnée dans Atlantis Chronicles #3, puis dans War of the Gods #2, mais prend un rôle plus important dans le run de Peter David sur Aquaman. Le terme Annunaki est reprit et transformé en Annunake. Dans la mythologie mésopotamienne, les Annunaki sont les dieux issus du dieu An, dieu de la création. Les Annunake sont ici une race de dragons des mers polymorphes, dont le principal est Tiamat. Anecdotique dans Atlantis Chronicles, cette version sera abandonnée, avant d’être relancée en 2000 par un artiste convaincu par la potentiel de cette mythologie.
Cette nouvelle version se trouve être particulièrement inspirée par la divinité mésopotamienne. Publié en 2000, Green Lantern Annual #9 se présente comme une réécriture du célèbre récit de la descente aux enfers d’Ishtar. Écrite par Timothy Truman, cette histoire ne s’encombre pas des divers rituels et épreuves surmontées par la déesse de le fertilité. Elle descend pour des raisons diverses selon les versions du récit, simplifiée ici pour sauver une âme qui lui est chère. Le scénariste en fait un personnage à part entière dans l’univers DC en lui conférant l’identité de Sala Nisaba, réincarnation d’Ishtar, puis un costume et une arme singulière, le Ringstaff. Aidée par Green Lantern, cette Ishtar moderne retrouve rapidement sa sœur, Ereshkigal, épouse d’Ishtar.
Ce numéro spécial est intéressant en plusieurs points. Il révèle l’intention d’introduire une réécriture d’un personnage mythologique dans l’univers DC, dans un mélange étrange entre Wonder Woman et Red Sonja. Mais plus encore, il joue de cette culture pour lier étroitement l’histoire des Green Lantern à celle de Babylon. Ainsi, le premier Green Lantern de la Terre aurait porté le nom de Ninurta, ayant repoussé diverses menaces aux côtés d’Ishtar, confondant le statut de super-héros et de divinités. C’est sans doute là tous les défauts de l’exploitation de cette mythologie.
Timothy Truman aborde de nombreux concepts forts intéressants sans jamais appuyer ses idées alors qu’il fait état de parfaites connaissances de la mythologie à laquelle il se rapporte. Et tout cela, alors qu’il projette d’étendre son concept avec une mini-série. Car cette descente aux enfers dramatique et fait office d’introduction à la mini-série publiée en 2001, JLA : Gatekeeper, écrite par ce même Timothy Truman.
Kyle Rayner appelle la JLA à l’aide pour sauver Sala, alors que Tyamat et Nergal complotent afin de récupérer le Ringstaff et envahir la surface. La mini-série explore avec une fidélité plaisante un éventail des divinités mésopotamiennes. On y trouve Enlil, Meslamta-Ea, Anunnaki ou encore des personnages créés de toute pièce, mais inspirés de divinités comme Enkum et Ninkum, des dérivés de Enkidu dont ils forment la garde rapprochée. La JLA est plongée dans un monde d’héroic-fantasy dans lequel Sala Nisama survie tant bien que mal. Truman tire pleinement profit de la situation pour révéler certaines faiblesses et éviter un rapport de force bien trop évident. Le soleil jaune disparu, Superman se retrouve affaibli.
Fruit de lourdes recherches sur cet univers mythologique, Timothy Truman développe ici un univers à part très riche, fort d’un potentiel incroyable. Mais cette mini-série connait quelques défauts majeurs. Son statut de mini-série présente l’action en dehors de la continuité, malgré la bonne intention de l’éditeur à mettre en avant un récit écrit et illustré par un même artiste dans un format plus prestigieux qu’une ongoing. L’incrustation de Sala dans l’univers DC est donc partiel et le personnage ne fera qu’une seule apparition par la suite, dans Infinite Crisis Special : Day of Vengeance #1.
Ensuite, la mini-série manque cruellement de clarté. Dans son souci de fidélité, Timothy Truman fait évoluer Sala dans un univers inconnu et fait défiler de très nombreux personnages inconnus manquant d’exposition. Ce qui est d’autant plus dommage que le plus difficile, à savoir la transformation de cette mythologie en univers d’heroic-fantasy, est particulièrement réussie. Ainsi, JLA : Gatekeeper est le manifeste le plus probant dans l’idée d’une représentation de cette mythologie discrète, mais a souffert d’une mauvaise réception, (trop) rapidement placé dans la case des récits anecdotiques. Une fatalité qui touche malheureusement la plupart des initiatives cherchant à mettre en avant une culture oubliée ou méconnue.