DC Spotlight #7 – Green Arrow : Hunter’s Moon

Quand on y réfléchit deux secondes, les récits considérés comme définitifs sur les personnages DC, qui ne sont pas des Batmen, des Supermen ou des Wonder Women ne sont pas si nombreux. Si on ne prend en compte que ceux tournant autour d’un certain archer vert, forcément, la liste est encore plus petite. Cependant, The Longbow Hunter de Mike Grell fait indéniablement partie de cette liste, tant ce récit de l’artiste sur ce personnage a fait date au point que les éléments qu’il a mis en place dans cette mini-série « prestige » sont encore d’actualité aujourd’hui.

Après le succès critique et commercial rencontré par ce titre, la présence de Mike Grell sur le lancement de la nouvelle ongoing Green Arrow à la fin des années 80 n’est pas une surprise. Arrivé chez DC Comics au début des années 70 en tant qu’artiste sur Superboy & The Legion of Super-Heroes, Grell se fera définitivement un nom dans la profession du côté de la Distinguée Concurrence pour son travail sur The Warlord. Continuant ensuite sa carrière chez DC sur la plupart des gros noms super-héroïque (Batman, Aquaman…), l’artiste travaillera finalement avec Denny O’Neil sur Green Lantern / Green Arrow à la fin des années 70. Après ça, il quittera le navire pour suivre sa voie chez d’autres éditeurs et reviendra finalement chez DC Comics près d’une décennie plus tard pour signer son chef d’oeuvre : The Longbow Hunter. L’histoire aurait pu s’arrêter là que Grell n’aurait pas eu à rougir de son oeuvre. Seulement voilà si elle s’était arrêter là, l’histoire, l’auteur n’aurait pas sa place dans cette chronique car si son run sur Green Arrow n’est pas passé inaperçu à l’époque, il est aujourd’hui un peu trop éclipsé par la mini-série qui le précédait.


Le run débutera en 1988, avec les premiers récits qui nous intéressent aujourd’hui, et 80 numéros durant, Grell continuera de redéfinir le personnage, évitant tous les éléments fantastiques et purement super-héroïque de l’univers DC. Il ira même jusqu’à éviter de faire référence au nom « Green Arrow » qu’il juge stupide. Pendant six ans, il fera du personnage un vigilante urbain, dans un univers sombre et sans compromis, en tout cas pour du comics mainstream, en empruntant fortement aux codes du polar hard boiled. Un réalisme qui se retrouve dans le choix de placer l’action dans la ville bien réelle de Seattle plutôt qu’à Star City. Hunter’s Moon, dans son format TPB, collecte les six premiers numéros (trois arcs en deux parties) de l’auteur. L’occasion de suivre Oliver Queen et Black Canary dans des aventures les opposant à un tueur d’enfant qui vient de sortir de prison, à un mercenaire qui cherche à retrouver une arme biologique sur fond de conflit international et à un gang s’en prenant aux jeunes issus des quartiers défavorisés et à la communauté LGBT. Des thèmes forts, difficiles à aborder et bien dans l’air du temps dans l’Amérique urbaine de la fin des années 80.

Suite directe du chef d’oeuvre The Longbow Hunter donc, Grell attaque Hunter’s Moon avec la même ambiance crépusculaire et la même vision chaotique de la condition humaine. Cette approche réaliste lui permet plusieurs choses. D’abord de vraiment confronter ses personnages à leurs traumas et à leurs actions, là où la plupart des comics projettent leurs héros d’aventures en aventures sans que jamais (ou alors très rarement), ils n’aient à se poser et à faire face à leurs choix. Ainsi, c’est une Black Canary troublée, qui doit faire face à l’expérience traumatisante qu’elle a vécu dans The Longbow Hunter que l’on retrouve ici. Même chose pour le personnage principal, lui, confronté à ses choix moraux et notamment au fait d’avoir dû tuer un homme. Ainsi, l’auteur évite de mettre en place des histoires trop manichéennes puisque ses personnages centraux ont aussi des failles, des doutes et des zones d’ombres dans leurs caractérisations. Dans toutes ces histoires, Grell va donc poser des thèmes encore assez rares dans les comics de l’époque et créera une oeuvre qui doit beaucoup à la révolution lancée par des auteurs comme Alan Moore ou encore Frank Miller. Tout ça en questionnant la moralité de ses héros et par conséquent la notion d’héroïsme, ainsi que la condition humaine dans des récits bien en phase avec son époque. Sans forcément parvenir au même niveau que le futur auteur de Sin City, le Green Arrow de Grell est finalement à mettre en parallèle avec le Daredevil de Miller dans l’approche du récit, le ton ou encore la liberté créative dont il semble bénéficier tout au long de son run.

Green Arrow est donc plus un vigilante hard boiled qu’un super-héros ici. Dans l’ensemble, la qualité des histoires de l’auteurs doit beaucoup au rythme qu’il s’impose pour les raconter. Avec une narration, qui va droit au but, les quelques facilités d’écritures passent bien mieux et nous sommes donc très loin des histoires décompressées à l’extrême dont nous sommes habitués aujourd’hui. De plus, même avec ses histoires courtes, l’auteur fait preuve d’une vraie capacité pour créer des personnages avec de la profondeur ou du moins quelque chose qui les démarque d’une création lambda. Dès le premier arc, il « corrige » quelque peu le tort fait à Black Canary dans The Longbow Hunter en lui permettant d’aller, d’elle même, au-delà de l’expérience qu’elle a vécu dans la mini-série. Il ressort de ce travail de caractérisation, ajouté à quelques références bien senties (le Robin Hood d’Errol Flynn), une constance entre les arcs qui permet à Grell d’exprimer un vrai ton et une ambiance qui convient au personnage et à son background. Il n’y a alors pas de réelle extravagance dans l’écriture mais bien une recherche de tous les instants pour faire avancer et évoluer ses héros. Une chose finalement plutôt rare dans un monde des comics habitué au maintien du statu-quo.

Avec sa sensibilité adulte, propre au Modern Age, mais ses gimmicks narratifs qui doivent quand même beaucoup au style des années 70, ce Green Arrow est un comics à cheval sur deux époques mais qui parvient à trouver l’équilibre entre ses deux « mondes » pour offrir des travaux fascinants. Si le contexte des histoires est très mature, et clairement politique, la relative courte durée des arcs ne permet pas à l’auteur de réellement aller plus loin que la simple contextualisation. L’aspect politique est donc plus une toile de fond qu’un tremplin pour un vrai brûlot. Loin d’être un problème pour autant, il ressort de tout ça, au contraire, le sentiment de voir un auteur se donner à fond dans son travail mais approchant l’ensemble avec une réelle humilité. Ainsi en proposant un contenu sombre, mais qui ne tombe jamais dans le voyeurisme, Grell respecte finalement le passé de son personnage et notamment les bases posées dans les années 70 par Denny O’Neil et Neal Adams en mettant en avant des scripts avec une vraie portée sociale. Si parfois le travail de l’artiste n’apparait pas assez poussé, ou légèrement maladroit sur certains thèmes, il est généralement réalisé avec assez de conviction pour pousser à la réflexion, encore aujourd’hui. Grell a donc au moins le mérite d’aborder des thèmes compliqués sans pour autant se transformer en donneur de leçons mais en permettant, tout de même, d’ouvrir des esprits sur des causes bien réelles.

A l’époque, le succès de The Longbow Hunter devait aussi beaucoup aux dessins de Grell, lui même, avec de magnifiques crayonnés et des couleurs naturelles. Forcément le rythme de publication d’une ongoing ne lui a pas permis d’en faire autant mais les artistes talentueux l’accompagnant ici (Ed Hannigan et Dick Giordano en priorité dans ce premier TPB) sont parvenus, eux aussi, à créer un univers immersif et nuancé dans sa représentation graphique, malgré le style plus classique de l’oeuvre. Une oeuvre qu’il vous sera pour l’instant, hélas, impossible de vous procurer dans la langue de Molière (coucou Urban ?). Les lecteurs VO pourront, eux, se tourner vers les singles d’époques (en numérique par exemple) ou, plus facilement, sur les nouvelles éditions collectées publiées depuis 2013 par DC Comics. Une publication encore en cours aujourd’hui et qui ne propose pas encore l’intégralité du travail de l’auteur sur le personnage.


En prenant le risque de mettre en avant un héros vieillissant et en réinventant la mythologie qui l’entoure tout en poursuivant le travail débuté dans The Longbow Hunter, Mike Grell est parvenu à faire un grand bond en avant avec l’univers de l’archer vert. Tout ça, en plus, en respectant le travail débuté une décennie plus tôt sur le personnage. Avec des choix courageux et un traitement sans compromis, l’auteur a créé une oeuvre définitive, imposante et à la portée universelle dont on peut, encore aujourd’hui, trouver des traces, aussi bien dans la version New 52 que dans la série actuelle estampillée Rebirth. Peut-être pas le Green Arrow qui plaira à tout le monde mais, si vous voulez l’avis de l’auteur de cette chronique, le meilleur Green Arrow toutes périodes confondues.

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Ares
Invité
Ares
7 années il y a

Tout à fait d’accord avec cette chronique. Le travail de Grell sur cette série est franchement remarquable et absolument fascinant, la suite n’étant pas en reste. Beau boulot.

Ares
Invité
Ares
7 années il y a
Répondre à  n00dle

Je t’avoue que j’ai eu un peu plus de mal avec certains arcs (Blood of the Dragon me vient directement en tête), mais malgré ça, ça reste toujours d’excellente facture, et sur un run aussi long, c’est vrai que c’est assez rare pour être noté ^^

GeronoHous
GeronoHous
7 années il y a

Très bon article, merci pour cette lecture!

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