Off My Mind #35 – La violence dans les comics : histoire et effets

Avec une certaine nostalgie, nous jetons un dernier regard sur une génération ayant connu les remarques comme « Range moi ces horreurs ». Les comics sont de plus en plus appréciés par un vaste public, leurs adaptations bien plus encore, mais nous assistons à l’élévation du genre et d’une reconnaissance progressive. Osons espérer un jour la transition de sous-culture à celle de culture. Pourtant nous en étions loin. Et si aujourd’hui un enfant regardant des dessins animés où des super héros luttent contre les forces du mal mettant une ville à feu et à sang, ne choque en rien ses parents, cela n’a pas toujours été le cas. Une génération plus loin, les comics étaient vus comme un mal. Un moyen d’exprimer une forme de violence extrême, diffusé à grande échelle, vendu à des enfants.

Des chrétiens hurlant à la profanation face à un personnage et à la violence présente dans des comics, manipulés par un psychiatre obsédé par sa simple conclusion déjà écrite, sans se dire que les religions amènent bien plus de violences malgré leurs messages de paix. Une manipulation menant à des réactions proches de celles de nazis vaincus quelques années plus tôt. Revoyons l’histoire de cette relation entre les comics et la violence, avant de nous lancer dans cette réflexion dans le contexte psychologique qu’aurait dû avoir notre cher Wertham, mais avec l’aide de travaux plus récents par rapport à cet événement.

A History of Violence

Off My Mind Violence Sénat DC Planet img

La violence et les comics, c’est une longue histoire d’amour. Des hauts, des bas, et une sacrée turbulence appelée Comics Code Authority. Tout le monde connait l’histoire brève du Golden Age, voyant sa fin causée par l’arrivée du Comics Code Authority. Ce même code qui deviendra de plus en plus indulgent au fil des années, jusqu’à sa disparition. Pourtant, la violence semble être présente depuis la naissance des comics, avant l’arrivée de Superman. En effet, cette violence reste dans une forme assez réaliste de la chose. Pour rappel, le début du Golden Age brille par ses enquêtes et histoires policières. A l’origine, les comics étaient un divertissement créés dans le but de faire rire le lecteur. C’est tout à son opposé que vont se diriger les jeunes artistes en prenant la direction de meurtres de plus en plus violent, s’inspirant des films de notre Hitchcock préféré, afin de créer une tension le long de l’enquête. Mêlant donc l’horreur et le policier.

1948, création du Comics Code Authority tentant d’imposer ses six points auxquels devraient se résoudre les éditeurs. Bonne blague comme dirait l’autre. Deux ans plus tard, l’association est dissoute. C’est donc en 1954 que tout va changer. Frederic Wertham publie son ramassis de conneries : Seduction of the Innocent. Il a fallu que ce psychiatre soit entendu et que son livre soit diffusé pour créer un mouvement. L’écrivain n’en est pas à son premier essai, puisqu’il s’agit de son troisième essai sur le sujet. Les deux premiers étant nommés : The Comics Very Funny et What Parents Don’t Know About Comic-Books. Les comics sont brûlés par centaines dans les cours d’école. La violence a disparu des pages de comics cette année-ci. Le débat perturbe les auteurs et dessinateurs. Certains iront même jusqu’à remettre en question leurs créations. La violence gratuite n’est pas nécessaire, mais n’est pas une cause d’une forme de délinquance juvénile.

Off My Mind Crime SuspenStory DC Planet img

On notera un boycott de l’église, et la mise en place d’autodafés. Si le sénat était à l’écoute de Frederic Wertham, celui-ci se réjouissait de la popularité des titres d’horreur. Suite à la fin de la guerre, les super-héros perdaient en popularité, les scénaristes peinent à relancer les personnages, persuadés qu’ils avaient fait leur temps. Les enfants se sont alors retranchés sur des titres plus étranges. Attirés par la violence, le sang et le démembrement étaient une sorte de nouveauté. Un moyen de ressentir quelque chose de nouveau, de braver les interdits parentaux. La rencontre entre les éditeurs et le sénat fut terrible. Aucun ne pouvait se défendre face à leurs créations, dont la couverture de Crime SuspenStory #22, d’autant plus que quelques années plus tôt, le personnage de Wonder Woman avait fait l’objet de polémique aux yeux de l’Église.

On apprendra en 2011, suite à l’étude des travaux de Wertham par Carol Tilley, que sa thèse était faussée par des éléments exagérés ou même créés de toute pièce (pour rappel, il soutenait que le lasso de Wonder Woman sous-entendait la forme d’un vagin). Les enfants sur lesquels il aurait effectué des tests étaient dors et déjà des personnes victimes de troubles psychologiques. Un moyen sûr de valider sa thèse et d’être reconnu. Pas de chance pour le bon monsieur qui finira dans l’oubli, et que l’on ne retiendra que dans le monde des comics.

« L’enfer, quelle est leur motivation première, faut-il encore que le sang coule ? »

Off My Mind Invincible Violence DC Planet img

La violence est-elle nécessaire ? Ce n’est pas parce que nous lisons des comics que nous nous devons impérativement d’en prendre la défense. Les comics sont une forme d’art mêlant la narration et le traitement de l’image. La critique que nous réalisons est faite pour mettre en avant ou non certaines de ces œuvres afin d’en conseiller ou non la lecture. De nombreux facteurs jouent dans le jugement, dont celui de la subjectivité. Entre parmi ces facteurs la pertinence de la violence. Un facteur que l’on a tendance à délaisser, ou à associer à une action globale d’un numéro à un autre. Cependant, certaines œuvres font ressortir ce facteur comme par exemple Maus de Art Spiegelman. Il réussit de manière brillante à utiliser les animaux pour désigner une métaphore entre le soldat et le prisonnier, et de manière habile à réduire la violence visuelle tout en accentuant le choc émotionnel du lecteur. Laissant également penser qu’un enfant peut lire cette œuvre, sans pour autant comprendre l’impact de ces éléments. La violence que l’on ne voit pas de manière concrète est la plus terrifiante.

Opposée à cette violence maîtrisée et pertinente, l’hyper-violence n’a pour autre but que celui de choquer. Étrangement, à l’heure actuelle où la violence s’est implantée dans la majorité des comics publiés, l’hyper-violence ne trouve pas sa place. Généralement présente chez des petits éditeurs indépendants, seul Kick-Ass et autres créations de Millar et de son MillarWorld (modestie où es-tu ?) trouvent ses lecteurs. Certains ayant même créé une polémique, comme cette fameuse scène de viol de notre cher MotherFucker. Gratuite, après une exécution d’enfants jouant dans la rue qui l’est encore plus, aucune morale n’en ressort. Là où encore Walking Dead et Crossed ressortent une forme d’animosité chez l’homme, même si ces séries reposent énormément sur le gore et la violence extrême, de nombreux titres underground restent comme dans les années 50/60 remarqués par leur simple excès de violence et l’absence de toute « bienséance » même si ce n’est plus le cas depuis la disparition du Comics Code Authority.

Nous vivons dans un monde violent. Celle d’une foule remplie de haine, d’un représentant de l’ordre, l’identité importe peu puisqu’il s’agit simplement de la nature humaine qui nous pousse à nous affronter. D’après plusieurs expériences relevant de la psychanalyse, la violence et les réactions de l’homme face à un journal télévisé peut créer une forme de colère et de choc plus violent que face à une violence fictive extrême. A noter que Wertham, avant de mourir, travaillait sur un essai similaire à ses « travaux » sur les comics, visant cette fois-ci la télévision et le cinéma. Nous savons que le monde des comics s’inspire du monde réel. Ne s’inspire donc-t-il pas d’une violence bel et bien réelle et dont il pourrait se servir pour la dénoncer ? Pas vraiment. Ou du moins, indirectement. Les comics s’inspirent des faits et des structures de notre monde. Ils jouent avec pour donner naissance à une forme de représentation imagée. Tout comme ils jouent avec la violence en l’accentuant, tel un outil.

La violence serait un outil utilisé pour mettre à mal le héros, et faire apparaitre une forme de sadisme du lecteur (qui ne rêve pas de voir la Wonder Woman de Finch se faire rouler dessus par une moissonneuse batteuse de l’espace ?). Tout comme la violence peut être un outil de dénonciation. Signaler un abus de pouvoir, ou une injustice venant de personnes respectées d’un peuple ou bien même d’une simple agression. L’exemple est récent avec le graphic novel de Paul Dini et Eduardo Risso, Dark Night : A True Batman Story. L’utilisation de cette violence, devenue outil peut mener à l’utilisation de l’hyper-violence comme le fait Watchmen avec son final aussi destructeur que réparateur. Mais ceci serait une explication à l’existence de cette hyper-violence difficilement justifiable. Les exemples défendables sont pourtant bien rares. Essayez donc de défendre Holy Terror.

Concluons sur ces années 50 où, à la manière de la nudité au cinéma (Maureen O’Sullivan et le scandale), la violence est mal vue. Sortie de guerre, l’homme se refuse à retrouver l’horreur qu’il a vécu. Les héros de comics se meurent comme s’ils n’étaient qu’éphémère, le temps d’une guerre. Le code refléterait alors ce désir de ne plus faire face à une forme d’horreur qu’ils ont pu connaitre quelques années plus tôt.

All Is Violent, All Is Bright

Off My Mind all is violent all is bright DC Planet

Prenons en exemple celui d’un enfant face à ces comics. Un enfant apprend de ce qu’il voit, cela s’appelle l’apprentissage vicariant. Si cet outil de fiction, utilisant une forme de violence, présente un héros comme Batman affrontant le Joker. A travers son regard, il verra par la violence que le Joker représente le mal, et Batman le bien. Évidemment, il vaudrait mieux éviter de le laisser lire Death of the Family dès huit ans. On parlera alors d’une sorte de violence plus ou moins flagrante, où le sens est simple, facilitant la représentation au premier degré des personnages. Le héros montre alors l’exemple que va suivre l’enfant. Les valeurs du personnages sont donc transmises et la violence perçue dans cette histoire fictive ne sera réalisée que dans un cadre où cet enfant se sentira en danger, ou verra une mauvaise action se dérouler. La violence de ces comics limite la violence réalisée dans ce monde.

C’est en quelque sorte ce qu’explique Gerard Jones. Selon lui, la violence permet à un enfant de la découvrir, de l’appréhender et de contrôler sa propre colère afin de ne pas devenir la source de cette violence qu’il voit à l’écran. Les comics vus comme violents sont une source à aborder d’une certaine manière, capable de choquer pour inculquer des valeurs, comme pour dénoncer. Par exemple, le viol de Sue Dibny dans Identity Crisis. La violence, tout comme le choc, est visible lors de la scène. L’horreur est ressentie par la suite, par le deuil et les réactions des héros de cet univers fictif aux réactions très humaines. Cette violence est faite pour choquer de façon émotionnelle afin de donner une forme d’aperçu au trouble que cause cet acte. La violence de cet acte expose le méfait, et marque de par les conséquences chez l’entourage du personnage de manière très réaliste. L’image du héros est brisée chez chacun, ils ne sont plus que des proches blessés aux émotions troublées. Le lecteur profondément marqué s’opposera donc à ce méfait, comme un enfant apprenant la différence entre le bien et le mal.

D’une autre manière, la violence fictive peut provoquer un autre effet sur le lecteur : la catharsis. Selon la théorie de la psychanalyse de Sigmund Freud et Joseph Breuer, chez chaque sujet humain, une frustration ou autre événement traumatique mène le sujet à un cheminement le poussant à être, le plus souvent, violent. Nous sommes nombreux à conserver notre rage, qu’elle se dirige vers le voisin qui hurle à quatre heure du matin, vers cette maman qui demande où se trouve les Misères de Molière à la conseillère pour sa fille au collège, malgré les envies, et pour le bien de cette vie en société, nous connaissons les limites de nos libertés, cette différence entre le bien et le mal. Cette colère accumulée pour ces diverses raisons, nous pouvons la relâcher, sans pour autant l’exprimer, grâce à cette violence fictive. Généralement dans des titres d’action simple, mais efficace comme Justice League de Johns ou Green Lantern Corps de Tomasi, l’action est omniprésente, le récit passe en second plan, et le lecteur passe de la lecture d’une œuvre à la lecture d’un simple divertissement. Indirectement, la violence présente dans le titre libère la colère et la frustration du lecteur.

Et ce sont les violents qui l’emportent

Off My Mind Violence Har Boiled Cover DC Planet

A comparer avec la théorie de la frustration-agression de John Dollard et Neal Miller, où le phénomène de catharsis ne peut être arrêté et mène donc à l’agression (l’agression n’est pas uniquement physique, mais peut prendre la forme d’agression verbale). Les comics, ou autres divertissements générant une forme de violence fictive, ne poussent en aucun cas à la violence. Évidemment, cette violence doit être maitrisée. Dans les comics, celle-ci mène à une expression de valeurs morales, et n’est que très rarement gratuite. En terme de violence, un journal télévisé est bien plus néfaste à l’esprit humain qu’un comics d’horreur. Être spectateur d’une violence réelle, sans la moindre morale, dans un contexte d’injustice rend la personne bien plus irritée, et susceptible de réagir de manière violente.

Si nous nous tenons à une violence réfléchie et contrôlée, celle-ci ne peut être néfaste à la condition d’une certaine surveillance des parents. Des comics sont adaptés, aujourd’hui, à l’âge de n’importe quel enfant et à ses préférences. Des dessins animés aux bandes-dessinées, celui-ci a tous les outils pour s’épanouir et évoluer. Il peut grandir avec Spawn entre les mains, sans pour autant devenir schizophrène et courir nu dans la rue muni d’un couteau de cuisine.

Cependant, nous devons savoir créer la différence dans l’esprit d’un enfant, comme d’un adolescent ou même d’un adulte, entre la fiction et la réalité. Malgré ce que l’on peut en dire, les comics sont loin d’être des histoires stupides. Il est très simple d’en tirer quelque chose influençant une vie, une morale menant à nous définir, jusqu’à nous remettre en question, nous, nos actions passées pour influer nos actions futures. Nous apprendre à saisir nos chances, jusqu’à apprendre à les créer. Ce qui est vrai ici pour les comics et également vrai pour toute forme d’art. A vous de choisir celle à laquelle vous êtes le plus sensible pour vous épanouir.

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Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
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2 Commentaires
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Billy Batson
7 années il y a

Le lasso de Wonder Woman représenterait un vagin ? Mind blow, félicitations Frederic Wertham tu deviens mon nouvel idole. *_*

Plus sérieusement, félicitations Watchful, très très intéressant cet « Off My Mind » et surtout intelligent, j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire.

Jo Ker
Jo Ker
7 années il y a

Excellent article, intelligemment conçu et écrit.
Toujours aussi plaisante à lire cette rubrique, merci Watchful. Il y en a des choses dans ton Mind dis donc ;)

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