Review VF – The Wake

Review The Wake
Les points positifs :
  • Des qualités dans chaque partie
  • Une histoire ambitieuse publiée chez Vertigo
  • De très bonnes références
  • Cette histoire a valu un Eisner Award à Sean Murphy
Les points négatifs :
  • La schizophrénie d’un comics en deux parties
  • Un rythme très mal géré
  • Beaucoup de blabla
  • Une fin qui pose plus de questions que de réponses
  • Cette histoire a valu un Eisner Award à Scott Snyder

« C’est en séjournant dans l’eau que nous avons développé notre humanité. » – Dr. Archer


  • Scénario : Scott Snyder – Dessin : Sean Murphy – Couleur : Matt Hollingsworth
  • The Wake – 23 janvier 2015 – 240 pages – 22,50 €  – Urban Comics

La série The Wake est annoncée pour la toute première fois durant la New York Comic Con de 2012. Un auteur au parcours irréprochable à l’époque, et un dessinateur promis à un destin immense dans l’industrie des comics, Scott Snyder et Sean Murphy, tous deux légataires des plus belles pages de l’histoire récente de l’imprint Vertigo, l’un avec American Vampire, l’autre avec Punk Rock Jesus. La nouvelle fait alors grand bruit, et intervient comme une bouée de sauvetage pour un éditeur accablé sous le poids des départs, et d’un Image Comics étincelant. Deux années et dix numéros après son annonce, The Wake atteint enfin les côtes françaises par le biais d’Urban, qui continue fidèlement de publier du Snyder/Murphy en major comme en indé, pour les plus anglophobes du lectorat local. Problème, The Wake ne marche pas dans les traces de ses ancêtres – paradoxal, pour un comics qui place l’évolution au coeur de son propos – et malgré de beaux efforts et une réussite graphique indiscutable, il y a beaucoup à redire de cette nouvelle BD arrivée en librairie.

Le récit de The Wake s’ouvre comme s’ouvrirait un film d’horreur. Une biologiste spécialisée dans la vie aquatique est dépêchée par le gouvernement pour partir analyser, avec d’autres experts en la matière, une créature sous-marine inconnue découverte au fond des eaux. Détenue dans une base sous-marine (qui évoquera le film The Abyss aux fans des années ’80), la créature serait un pan de l’évolution humaine dérivée sous une forme amphibie. C’est dans cette ambiance sous-marine que s’établit le premier « arc » de la série, un huis-clos horrifique et sanglant, où se bouscule une somme de références au cinéma d’horreur (Carpenter, Scott) et à la cryptozoologie chère aux fans d’H.P. Lovecraft. Cette première partie achevée, c’est alors que le récit prend l’eau (haha), et passe alors à une toute autre ambiance. Évoquée en amont dans de multiples flashforwards, la seconde partie du tome prend pour décor un monde post-apocalyptique situé 200 ans après notre ère « moderne ». Le récit adopte alors le ton de l’aventure, dans un style plus bariolé à la J-RPG, et où l’enjeu principal sera de faire tomber un système autocratique né des ruines de l’ancien monde. Une oeuvre coupée en deux, à jeu égal en durée pour chaque partie, mais qui pose quelques questions sur la cohérence globale de l’ensemble.

Review VF - The Wake

The Wake est un comics bipolaire. D’un huis clos claustrophobe, le récit passe à un monde ouvert coloré. Indépendante, chaque partie semble avoir été réfléchie comme un pitch différent, comme si l’auteur avait eu deux idées de comic books qu’il avait choisi de rassembler en une seule. Chacun des deux pans de The Wake fonctionne comme une sphère quasi-fermée, avec tout ce qu’on retrouve dans le début, le milieu, et la fin d’une histoire pensée et réfléchie comme un tout. De la scène d’exposition, des présentation de personnages à la mise en place d’enjeux cohérents : ne vient donner corps à ce « tout » de dix numéros que la vingtaine de pages finales, pour unifier ces deux idées en une. Comme s’il y avait The Wake et The Wake 2, deux oeuvres formées autour d’une même idée, mais différentes sur le fond et la forme (comme Mad Max et Mad Max 2) et publiées en un seul recueil. Tout ça pourrait fonctionner. Malheureusement, chaque partie se gène, car aucune d’entre elles n’a le temps d’aller au bout de son propos.

Le rythme ralentit quand il devrait accélérer, et à l’inverse, fonctionne par ellipse pour aller plus vite vers sa conclusion. Ainsi sont jetées à la poubelle trois mois d’aventures que l’on aurait aimé suivre, pour déboucher sur la conclusion que Snyder tient à livrer. L’auteur, habitué au problème (qui a dit « comme dans Zero Year » ? Hein ?), gâche ici une grande partie de son potentiel. Au fond, on aurait souhaité que The Wake soit ou bien un récit claustrophobe de dix numéros, ou bien autre chose. L’oeuvre est ici à moitié horreur, à moitié aventure ; à moitié sombre, à moitié colorée – au constat final, elle n’est qu’à moitié réussie. On peut en vouloir à Snyder, qui fait à Murphy le cadeau d’un matériau original – ce n’est pas si courant, les mondes post-apo aquatiques de ce genre (ne me citez pas Waterworld, je vous en prie) – pour ne se contenter que de l’effleurer. Partir à l’aventure dans cet univers, avec Sean Murphy pour guide, voilà une promesse qui se suffit à elle seule. Ici, les pages s’enchaînent sans envie, les transitions sonnent toutes artificielles, comme si l’auteur avait prévu le squelette de son histoire et se contentait d’une écriture automatique pour aller en vitesse du point A au point B. C’est dommage, car armé des meilleures intentions, l’auteur est capable de mieux. Mais on sent une fois le bouquin fermé que ce récit n’atteint pas tout son potentiel – peut être la faute à trop peu de numéros ?

Review VF - The Wake

Pour rester sur le scénario, son plus gros défaut réside dans la fin proposée. Utiliser des mots compliqués pour dire des choses simples, et user (voire abuser) d’un langage scientifique trouble pour dispenser un message bateau (vous avez compris ? « bateau » ?). On retrouve ici les errances typiques de l’écriture de Snyder. Une histoire jamais bien refermée, et qui cherche cette fois des considérations métaphysiques pour appuyer une morale de type Shonen Jump. Le message – en substance : « affronte tes peurs » et « pars à l’aventure ! » – n’est pas vide d’intérêt. Mais, au terme de dix numéros à parler évolution, horreur et dystopie, le tout sonne comme un bulletin d’horoscope insipide, ou un billet prémonitoire trouvé dans un fortune cookie. Malheureusement, la conclusion sape en plus une partie du propos de l’oeuvre, dont le premier arc mystifiait les créatures comme d’authentiques monstres de cinéma, pour arriver à un bilan un brin écolo, beaucoup plus sage. Je ne vous ferais pas l’affront, au passage, de vous expliquer pourquoi, c’est un fait, nos glandes lacrymales ne secrètent pas de GHB, et que le fait de pleurer n’a jamais été cause d’alzheimer précoce (ceux qui ont lu comprendront). On passe sur les incohérences, l’oeuvre n’a aucune portée scientifique. Lorsque la porte se referme, elle s’abrite derrière des explications scientifiques trop bavardes pour dispenser une idée claire, en plus de laisser un goût d’inachevé. On retrouve une fin « à la Severed » ou « à la Rotworld » : un auteur doué, sauf quand il faut mettre un terme aux récits qu’il a pourtant bien commencés.

Quittons donc les terres du scénario (à force, certains vont croire que je déteste Scott Snyder. Alors qu’en fait… Oui. Peut être.) pour parler des dessins de cette mini-série. Pas besoin ici de long discours. Sean Murphy et Matt Hollingsworth, s’appliquent tout au long de l’oeuvre à donner corps à chacune des ambiances proposées, spécialement dans le second arc, dans la beauté d’un monde revenu à la nature. Le premier reste mesuré – par la nécessité de paraître réaliste (même si les couleurs osent davantage) – la seconde est un déluge de créativité. Véhicules, costumes, armements, cités, paysages, chaque élément de ce monde est une pièce de l’immense fresque artistique proposée par un Sean Murphy au sommet de son art. Capable d’un incroyable niveau de détails (Joe The Barbarian), le dessinateur livre ici un condensé d’influences asiatiques et européennes, rendues dans un style unique (pourtant si souvent copié). Matt Hollingsworth éclabousse la page de ses couleurs descendues, toujours sobres et jamais criardes, un monde où chaque rayon de soleil est palpable et où, malgré le cadre et le scénario, ne se dégage de ce monde « après l’apocalypse » qu’une envie de se laisser voguer aux gré du vent. The Wake est une splendide oeuvre d’art, fruit de deux artistes authentiques, et la meilleure façon de faire entrer un lectorat typé manga ou franco-belge dans la BD à l’Américaine.

Review VF - The Wake

En définitive, on peut retenir de The Wake une qualité de bon comicbook : un niveau d’écriture correct, de bonnes références assimilées, une vraie prise de risque (!), et un récit qui vaut, en tout cas, largement son prix. Mais au sortir de la lecture, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un énième caprice d’auteur : The Wake est un comics à deux têtes, parce qu’il naît de deux idées différentes. Unies par une fin étrange et trop ouverte pour convaincre, celle-ci sonne presque comme une justification d’un scénariste expliquant au lecteur le pourquoi d’une facilité. Cette fois, sans l’excuse du Joker comme blague méta-littéraire. Plus qu’un bon comics, The Wake est surtout un énorme gâchis, et même si l’oeuvre fait le job, elle reste de mon côté comme une déception, de voir systématiquement un auteur talentueux échouer au pied du mur face aux défauts de ses qualités, et de ne pas sentir l’impact d’un vrai chef d’oeuvre devant mes yeux, là où, une fois de plus, toutes les conditions étaient réunies.

The Wake n’atteindra pas les cimes des chefs d’oeuvres de la maison Vertigo comme il aurait du le faire. Piégé par un auteur indécis, l’oeuvre hésite entre deux idées, et opte finalement pour un compromis englobant qui ne veut pas dire grand chose. Le tout reste très convenu, mal rythmé et porte toutes les stigmates d’une écriture automatique un peu décevante, mais la lecture reste agréable et dans le haut du panier des comics (« mainstreams ») actuel. L’oeuvre vaut de toutes façons le coup d’oeil, ne serait ce que pour l’excellence artistique du duo Murphy/Hollingsworth, dont on peut dire sans se mouiller (haha… excellent…) qu’ils fournissent là un travail extraordinaire, qu’on aimerait retrouver un peu plus souvent. 

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8 Commentaires
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Jibé
Jibé
9 années il y a

Moi qui étais plutôt alléché par l’annonce de cette publication, cette critique m’a coupé toute envie d’achat. Je me contenterai donc d’aller feuilleter ce bouquin en librairie, pour les dessins de Sean Murphy…

ArnoKikoo
9 années il y a
Répondre à  Jibé

Je te prête les singles si tu veux coco

Jibé
Jibé
9 années il y a
Répondre à  ArnoKikoo

Ah ben carrément ! Je te piquerai ça quand j’aurai fini ton Batman ’66.

Daronofsky
Daronofsky
9 années il y a

Une lecture agréable (surtout la première partie) mais cet ouvrage ne sera jamais un incontournable en effet.
Par contre, personne n’a fait un quelqu’un rapprochement entre [SPOILER] le film Prometheus et le côté colonisation de la Terre suggéré dans ce livre ? [SPOILER\]

MoFokeu
MoFokeu
8 années il y a
Répondre à  Daronofsky

C’est fou, je viens de finir ce récit et comme toi la similitude avec le film de Ridley Scott m’a frappé. Ceci dit je trouve cette review assez dure avec l’ouvrage qui est d’un bien meilleur acabit que ce qui est décrit plus haut. Autre similitude, j’avais eu la même impression d’œuvre sous-estimé avec Prometheus.

bender_37
bender_37
9 années il y a

personnelement ce qui est paradoxal dans l’ouvrage, c’est que la 1er « grande partie » la plus interressante est plus en retrait niveau dessin alors que la seconde partie est de toute beauté mais moyen niveau histoire. un trop gros désequilibre qui n’en fait pas une mauvaise lecture en soit. peut etre que j’en attendais beaucoup. du coup je viens de me commander punk rock jesus…

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