Showcase #55 – Lucifer #16

Ah Lucifer ! Tant de rumeurs courent actuellement sur ce personnage emblématique de la firme Vertigo. Née sous la plume du talentueux Neil Gaiman dans les pages de la série Sandman, ce héros semblera très familiers à ceux qui apprécient la littérature anglo-saxonne. C’est en effet une version très proche de celle que nous décrit John Milton dans son poème épique Paradise Lost, dont je ne saurais que conseiller la lecture à ceux qui maîtrisent à la perfection la langue de Shakespeare (quoiqu’une très bonne traduction, signée Chateaubriand, existe et se trouve sans problème chez votre libraire local). Veuillez m’excuser cette petite digression due à ma profession, mais sachez que c’est avec cet ouvrage en tête que Mike Carey a écrit sa série de comics. Toujours est-il que, pour ceux qui l’ignorent, le protagoniste est celui que l’on appelle communément le diable dans la mythologie judéo-chrétienne, il s’agit d’un ange déchu, très ambivalent puisqu’il est à la fois terrifiant et cruellement sympathique. Et quel personnage de choix pour le label Vertigo ! Honnêtement, la série est assez peu connue en France, mais elle mérite le coup d’œil et arrive prochainement en série tv. Je remercie vivement Harley Huntress pour ce choix très judicieux, comme quoi on peut aimer les séries TV de la CW et avoir du goût (les gars, si vous ne me voyez plus sur le site, vous saurez dorénavant pourquoi).

L’idée de ce numéro est à la fois simple et géniale. Il s’ouvre sur la compagne du protagoniste, qui découvre une note qui lui est adressée, précisant simplement que Lucifer la rejoindra pour se « reposer le septième jour ». La connotation biblique n’est pas anodine, puisque nous allons suivre le fameux « porteur de lumière » dans un environnement qui rappelle l’Eden biblique. C’est alors que la magie Vertigo commence à opérer. On nous propose une histoire véritablement destinée à un public adulte et instruit, qui maîtrise au moins les bases de la culture occidentale et qui ne sera pas dépaysé par les références précises qui seront faites. Nul besoin d’avoir un master de théologie, mais il faut être un minimum renseigné pour avoir plaisir à lire tout cela. La force de l’auteur est évidemment de faire de toute cette mythologie de la pure fantaisie, à la manière d’un Gaiman, auquel il emprunte beaucoup de « tics » d’écriture, pour le plus grand plaisir des lecteurs de Sandman.

Nous découvrons alors un Lucifer qui a l’ambition de rivaliser avec Dieu et entreprend de créer ses propres « Adam et Eve« , rien que ça. Commettre le péché d’hybris est clairement l’une des fâcheuse habitudes du personnage, et c’est avec une grande curiosité que l’on suit la démarche de notre ami ailé. Au départ, tout semble aller pour le mieux et le pseudo-couple emblématique de la genèse découvre le plaisir sous différentes formes (et avant tout de la manière la plus charnelle possible, on est chez Vertigo hein, ici on ne se donne pas trop de limites, et on se balade à poil si on veut). Au milieu de cet histoire, nous revenons dans le monde que nous connaissons le mieux, à savoir le nôtre, dans lequel nous voyons Elaine Belloc rentrer chez elle après avoir disparu dans une sombre affaire, qui faisait l’objet de plusieurs numéros précédents, sachez que le personnage sera développé plus tard, et vous saurez sûrement l’apprécier à sa juste valeur si vous suivez ce comic-book. Nul doute qu’elle fera une apparition dans une éventuelle version télévisée. C’est alors que le serpent entre en jeu et vient semer le doute chez notre nouvel Adam, qui va se mettre à penser et à réfléchir sur sa condition.

Ni une ni deux, Lucifer va intervenir et se proposer de faire découvrir à sa créature le monde « réel » et ses défauts, en lui dévoilant notamment la réaction du père de la petite Elaine qui vient de rentrer chez elle et qui n’hésitera pas à lever sa main sur sa fille, jusqu’à souffrir d’une crise cardiaque. Eh ouais, on aborde des thèmes sérieux chez Vertigo, les violences domestiques tout ça, et c’est fait de façon subtile. L’homme créé par le protagoniste sera profondément choqué par ce qu’il a vu et ses relations avec sa compagne en seront profondément affectées, au grand dam de cette dernière. C’est alors qu’il s’isolera et que Lucifer mettra fin à ses souffrances, étant satisfait de son expérience. Il proposera à la nouvelle veuve de lui créer un nouveau compagnon, mais cette dernière ne semblera pas l’entendre de cette oreille et partagera le funeste destin de son amant. Eh ouais, on est un peu dark et gothique chez Vertigo, et puis reprendre le topos de la mort des amants maudits, ça fait tout de suite plus littéraire. Et franchement, je le dis peut-être avec un peu de second degré, mais c’est plutôt vrai et ça fonctionne bien, sans sembler extrêmement pédant. Le serpent sera épargné, et après un bref échange avec l’une de ses autres créations, une sorte de prototype de l’homme, une espèce de Cro-Magnon en costume, Lucifer se reposera le septième jour, comme promis. Eh ouais, le diable n’a qu’une parole (ou pas).