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« And finally, he died for us. So I learned to do the impossible as well. I carried on. » – Robin
- Scénario : Neil Gaiman– Dessin : Andy Kubert et d’autres
- DC COMICS – Whatever Happened to the Caped Crusader ? – 15 Juillet 2009 – 128 pages – 14.99$
Whatever Happened to the Caped Crusader ?, que nous abrégerons WHttCC (comme c’est joli) par la suite, est tout d’abord un clin d’œil à la légendaire histoire Whatever Happened to the Man of Tomorrow ?, écrite par Alan Moore et dessinée par Curt Swan en 1986, partagée entre le Superman #423 et le Action Comics #583. Dans ce récit historique, Alan Moore racontait la fin de Superman à travers les souvenirs de Lois Lane, concluant tout un pan de l’histoire de l’Homme d’Acier avant le reboot de John Byrne permis par Crisis on Infinite Earths. Ici, WHttCC sert à peu près le même but : raconter la dernière histoire du Chevalier Noir tandis qu’il est ‘à peu près’ mort (en vérité projeté dans le passé) suite aux événements de Final Crisis.
L’histoire se déroule durant la veillée funèbre de Batman, rappelant la conclusion de la série Sandman par le même Neil Gaiman. Dans un cadre bien plus intimiste que l’enterrement de Superman qu’on peut voir après la mort de ce dernier dans les années ’90, ses amis et ennemis s’approchent du cercueil pour lui rendre un dernier hommage, chacun prenant la parole tour à tour pour glisser quelques mots à la petite assemblée présente. Ainsi ont fait le déplacement, pour ne citer que les plus connus, le Joker, Harley Quinn, Double-Face, Ra’s Al Ghul, Catwoman, Mr Freeze, Harvey Bullock, le commissaire Gordon, Oracle, Robin, Renée Montoya, Alfred, Superman, le Riddler, le Pingouin, Huntress, Nightwing, le Chapelier Fou, Azrael, Poison Ivy, Batwoman, et d’autres apparaissant furtivement et servant davantage à lancer un petit clin d’œil au lecteur comme Gentleman Ghost.
Chacun de ces personnages passe devant l’assemblée pour raconter la mort de Batman telle qu’il l’a vécue. On se rend compte rapidement que ces récits sont tous complètement farfelus, et se contredisent surtout directement. Neil Gaiman souligne au lecteur les récits de Catwoman et de Alfred en intégralité. Catwoman explique pourquoi c’est de sa faute si Batman est mort, puisqu’il est arrivé chez elle blessé à mort et plutôt que de chercher de l’aide, elle l’a ligoté au canapé pour l’y laisser agoniser. Alfred de son côté explique que Bruce Wayne avait perdu la raison suite à la mort de ses parents, et que la seule manière de lui faire reprendre goût à la vie était de le suivre dans cette obsession de justicier masqué, il a donc, avec quelques vieux amis, pris les rôles du Sphinx, du Pingouin et des autres vilains, Alfred jouant lui même le Joker. Au cas où ça n’était pas clair pour le lecteur, cette version de la vie du Chevalier Noir ne peut pas être la vraie puisque le Joker est assis dans la salle tandis que Alfred raconte son histoire !
Neil Gaiman contraint donc le lecteur à chercher un sens dans cette série de récits improbables, et celui-ci, aidé par les conclusions auxquelles arrive Batman tandis qu’il flotte dans les limbes, réalise qu’à chaque fois l’histoire est différente, chaque ami finit par le trahir, chaque ennemi devient un ami ou une amante, que toute l’histoire se métamorphose à quelques détails près. Le plus flagrant est le suivant : Batman n’abandonne jamais. À chaque fois, sa quête se termine par un combat, par du sang, par de la violence. Il se bat jusqu’au bout, il n’abandonne pas, il ne prend pas sa retraite. On peut faire un parallèle avec le récit Kindgom Come dans lequel Mark Waid avait saisi, peut-être inconsciemment, cet aspect. Superman s’y retire dans son ranch pour mener une existence paisible, mais Batman lui poursuit le combat, même dans la vieillesse, et ne cesse de protéger Gotham tant qu’il lui reste un souffle de vie. L’autre point commun à chacun des récits fantasques que déroule Neil Gaiman est leur commencement : tout a débuté dans une allée, par le meurtre des parents de Bruce. En liant toutes ces histoires farfelues, qu’on pourrait assimiler à des elseworlds, par ces deux points communs systématiques, Neil Gaiman semble proposer une vision de l’essence du mythe de Batman. Une tragédie, un combat qui ne s’arrête jamais. Pour piocher dans un autre elseworld bien connu, on peut songer à la version de Batman qu’on retrouve dans Red Son, et là aussi, il y a cette tragédie, où ses parents sont les victimes d’un crime injuste, qui plonge Batman sa quête de justice… qui se termine dans la violence.
En plus de cette interprétation du mythe de Batman, WHttCC est aussi une collection profuse de clins d’œil à des récits, à des auteurs, à des dessinateurs, qui ont marqué la carrière du Chevalier Noir. L’hommage est double, car il est effectué aussi bien au niveau scénaristique (exemple : Neil Gaiman qui décide de montrer la scène où Bane brise le dos de Batman) qu’au niveau visuel, et Andy Kubert redouble d’efforts pour rendre hommage à tel ou tel artiste légendaire, que ce soit Dick Sprang, Jerry Robinson, David Mazzuchelli, Dave McKean, ou encore Brian Bolland. Andy Kubert imite le style de ces artistes, et reproduit des scènes mémorables des comics qu’ils ont marqués de leur pinceau. Ainsi on retrouve la scène où le Batman de Year One se tapit sous l’escalier tandis que les forces spéciales le dévalent, on retrouve l’étreinte mémorable de Talia et Bruce, encore coiffé de son masque, on retrouve même des couvertures mythiques comme celle du Batman #49, avec ce légendaire Joker changé pour l’occasion en génie orientale sortant d’une lampe magique.
Interprétation novatrice du mythe de Batman, mine inépuisable de clins d’œil et de références (en faire la liste exhaustive sera laborieux et ôterait le plaisir de les repérer par soi-même), WHttCC est plus que ça puisqu’il recèle également des scènes ‘originales’, ne renvoyant pas à une autre œuvre, qui s’inscriront certainement à leur tour dans la mémoire collective, comme celle où la voiture de Catwoman est gardée par les chats de gouttière des alentours, où la présence surprenante de Joe Chill à l’extérieur de la salle où est entreposé le cercueil, l’occasion de glisser quelques lignes de dialogue d’anthologie : « – Its… Joe, isn’t it? – Yes, Miss Kyle. Joe Chill. I didn’t think you’d remember. – Are you going to be joining us, Joe ? – Someone’s gotta be out front, Miss Kyle. Tell people where to go. – Joe… I thought I heard that you were dead. – I was here at the start of it all, Miss Kyle. I’m not going to miss the end. » C’est d’une poésie remarquable !
Neil Gaiman ne renvoie pas le lecteur uniquement à la mythologie du Chevalier Noir, mais également à celle qu’il a bâtie dans les pages de Sandman. Nous avions déjà évoqué la ressemblance entre cette veillée funèbre et celle de Morphée à la fin de son run. Il y a également l’interlocuteur de l’esprit de Batman, qui lui répond tandis que ce dernier essaie de comprendre ce qu’il voit et ce qu’il traverse. Cet interlocuteur, Neil Gaiman lui prête les traits de Martha Wayne, ce qui rappelle une scène du fameux Death and the Maidens de Greg Rucka, mais en réalité ici le personnage, et son rôle, rappellent avec vigueur la Mort, Death, telle que Neil Gaiman l’a décrite dans ses autres histoires. Finalement l’épreuve ultime que traverse Batman dans ce récit, à savoir sa mort, vibre d’un aspect onirique typique des habitudes scénaristiques de Gaiman, rappelant évidemment Sandman, mais on pourrait également citer sa mini-série Black Orchid, où là aussi un personnage meurt avant de faire un parcours initiatique, qui se terminera, dans le cas de Black Orchid, par une communion dans le soleil, ou dans le cas WHttCC, par la renaissance de Bruce Wayne, formant une boucle peut-être pas bien originale (Red Son se terminait de manière similaire), mais qui garde son efficacité. Cette boucle pourrait d’ailleurs être interprété comme l’impuissance de la mort face à la détermination inébranlable de Batman, ainsi que Morrison le signifiait peut-être à sa manière dans Final Crisis. C’est extrêmement difficile de faire mourir le Chevalier Noir, plus difficile même que Superman probablement, en témoignent leurs destins respectifs dans les années ’90, où celui qui était apparemment indestructible (Superman) trouve la mort, tandis que le plus fragile (Batman) se fait ‘seulement’ casser le dos. Et quand bien même on viendrait à le faire mourir, Batman trouvera le moyen de revenir poursuivre sa mission, que ce soit en rattrapant le présent (The Return of Bruce Wayne) ou reprenant tout depuis le début (WHttCC).
Ça a l’air super hein ? Je vous l’ai bien vendu n’est-ce pas ? Et pourtant, j’ai quelques réserves à émettre sur ce récit, que je n’aurais pas à l’encontre du Whatever Happened to the Man of Tomorrow ? de Alan Moore. En effet, à travers les récits de Catwoman et de Alfred, qui font l’essentiel du premier numéro de WHttCC, Batman, ainsi que Alfred et Catwoman, subissent une désacralisation assez frustrante. Comme Bruce le signifie quelques pages plus loin : ‘Every friend betrays me, sooner or later.‘ Et si Catwoman n’a jamais été franchement du côté des gentils, la caractérisation habituelle du personnage depuis plusieurs décennies lui laissait un bon fond au fond (que c’est élégamment dit hein ?), assez en tout cas pour l’empêcher de provoquer la mort du Chevalier Noir. Pour Alfred c’est encore plus déprimant, puisqu’il est l’exemple même de la fidélité. Le voir travesti en vilain porte atteinte de manière douloureuse à l’aura du personnage, et paradoxalement Neil Gaiman n’inaugure pas cette voie puisque ça rappelle le destin du majordome de Bruce Wayne avant Crisis on Infinite Earths, lorsqu’il était devenu un ennemi de Batman sous l’identité de l’Outsider. Enfin c’est surtout Batman lui-même, dans le récit d’Alfred, qui est ‘désacralisé’ lorsque Neil Gaiman présente sa quête de justice comme l’obsession d’un malade mental. Tous ces travestissements trouvent sens, y compris le dernier puisque, d’un point de vue réaliste, point de vue qu’on doit adopter avec beaucoup de précautions lorsqu’on traite des comics, un justicier comme Batman ne peut être que névrosé et torturé jusqu’à la folie (et là encore cette voie a été explorée par d’autres auteurs avant, nous pensons à Grant Morrison qui faisait un parallèle entre Batman et les fous qu’il affronte dans son célèbre Arkham Asylum), mais même si ces déformations ont du sens, elles sont douloureuses et inconfortables pour qui est attaché à l’image parfaite du Chevalier Noir, moins inspirante que d’un Superman lumineux peut-être, mais néanmoins profondément séduisante.
Si vous êtes encore en train de me lire, vous êtes courageux parce que j’ai beaucoup parlé ! Et il est temps que je vous parle des récits qui composent la seconde moitié de ce petit recueil. Ceux-ci, tous scénarisés par Neil Gaiman, sont un numéro de Batman : Black & White, assez confus et plutôt laid, je ne m’attarderai pas dessus. Il y a encore la partie centrée sur Poison Ivy du Secret Origins #36 de 1989, dans lequel Neil Gaiman analyse de manière futée l’attraction que suscite Poison Ivy sur la gente masculine. Les dessins (Mark Bright) n’ont rien de renversant mais c’est une des mes apparitions préférées de l’Empoisonneuse ! Le tpb se termine sur la partie consacrée au Riddler du Secret Origins Special #1, de 1989 également. C’est particulièrement laid, mais les mises en avant de l’Homme-Mystère sont tellement rares et pour le coup, c’est également bien fait, que je ne saurais ne pas vous le recommander. En somme une seconde moitié quasiment sans Batman, plutôt anecdotique en restant sympathique, mais dans l’ensemble hideuse, heureusement rattrapée par ce qui est peut-être le meilleur travail d‘Andy Kubert dans la première partie.
Whatever Happened to the Caped Crusader ? est certes un récit conceptuel, mais c’est une belle manière de ‘clore’ la carrière du Chevalier Noir, partagée entre un hommage sincère à la mythologie de Batman et une interprétation rafraîchissante de son mythe. Pas forcément l’œuvre la plus accessible de Neil Gaiman, on y prendra cependant du plaisir à chaque relecture, relevant de nouveaux détails dans l’énorme puits à clins d’œil que renferme cette histoire particulière.
En même temps, c’est quoi « l’oeuvre la plus accessible de Neil Gaiman »? ^^
Ce que tu dis sur le fait que Batman soit dépeint comme un névrosé rejoint ce que je disais (c’est dingue que ces reviews tombent à si peu d’intervalle. ALALA DCP! Tellement de talent ^^) sur Arkham Asylum. Quand un auteur doit livrer une analyse sur la nature profonde d’une personnage, il se réfère à un point de vue. Le sien. On est libre de pas le partager (par exemple cet aspect dans Arkham Asylum, je le trouve poussif, personnellement), mais si l’auteur le justifie, c’est ce qui compte.
En tout cas merci Riddler et merci à Biggy/Freytaw/Darchap (j’en ai oublié un?) qui mentionnaient cette oeuvre dans le Par Où Commencer Batman, puisque j’avoue ne jamais avoir lu cette histoire, et qu’elle semble fort intéressante !
« En tout cas merci Riddler et merci à Biggy/Freytaw/Darchap (j’en ai oublié un?) » Les correcteurs! Même si ça n’a rien a voir, il faut toujours remercier les correcteurs! Dieu sait de quoi sont capables ces chasseurs de fautes. Le profil psychologique de ces gens là n’est pas loin de celui d’un serial killer.
Merci beaucoup pour ta considération :)
(même si en l’occurence c’est ma camarade qui s’est occupée de ce texte)
(mais Corentin ne veut pas remercier un « kikoo » c’est pour ça, quel vilain)
Et voilà, il boude. Ah ces kikoos ^^ Je te remercie aussi, bien entendu ! Et je remercie ta camarade, ainsi que tout le reste de l’équipe, je remercie aussi Google Chrome, mon fournisseur d’accès internet qui me permet de naviguer sur ce site, l’hébergeur réseau qui host DCP, le fondateur de DC Comics Malcolm Wheeler Nicholson, les chercheurs du projet Arpanet sans qui le web ne serait rien, mes parents, vos parents, et puis Dieu, parce que s’il avait pas créé l’univers, y aurait pas de DCPlanet aujourd’hui, au final.
Voilà, c’est bon, j’ai oublié personne? xD
Cette histoire est également très inspirée d’un arc classique des années 70, « Where were you on the night Batman was killed? » qui enchaîne les récits de villains prétendant avoir tuer Batman (récit réédité dans le TPB « The Strange Deaths of Batman » d’ailleurs).
Sur la « désacralisation », il faut bien comprendre la différence avec le travail de Moore. Moore présentait UNE fin à UNE version d’un personnage, le Superman pré-Crisis, là où Gaiman cherche à montrer la fin commune à toutes les versions du personnage y compris des interprétations « réalistes » n’existant pas encore
…Mais Batman est fou ! et les héros fou sont souvent les meilleurs (Rorschach) ! D’ailleurs, dans les récits « La cour des Hiboux » (quand ils le torturent psychologiquement), « Killing Joke » (la fin…) et « TDKR », on vois bien qu’il à une double-personnalité (il parle à lui même en « tu », et pas qu’une fois), paraniaque et j’en passe… par contre, sa folie est calme (pas du genre à la Joker, quoi, mais du genre « impassible »; c’est voulu…), c’est pour sa que Frank Miller à « buter » SON Batman avec TDKSB et All-Star B&R, ou la, Batman est un maniaco-dépressif, Vulgaire, psychopathique, sadique et le pire, pédophile, bref, tout ce que Batman n’est pas !
All-Star n’est pas à prendre au sérieux.
Ta citation avec le passage de Joe Chill m’aura de nouveau donné des frissons. Ce passage est effectivement tellement poétique …
Gaiman désacralise effectivement beaucoup de personnage, Batman compris, mais ce n’est effectivement pas le premier à se plier à cette exercice. Il donne une teinte réaliste assez terrible du personnage, puisqu’effectivement, ne faut-il pas être un malade mentale pour revêtir un costume de chauve-souris pour combattre le crime ? Mais cette folie n’est-elle pas finalement positive ? Tellement positive que la mort elle-même ne peut se résoudre à l’emporter ? Un mal nécessaire pour le bien commun, car Batman offrira espoir et protection aux plus démunis, même vouer par un sentiment profond de vengeance et de haine.
Je l’ai lu il y a un moment, avec l’édition de panini, et j’avoue être plutôt perplexe… La première partie est très sympathique, je le vois comme un hommage à batman, que ce soit dans les dessins où dans les différentes histoires proposées. On nous donne différentes version de batman, parfois inexistantes et inédites, mais toujours justes et frappantes. J’ai beaucoup aimé ce passage, cependant les deux autres récits sur poison ivy et le riddler m’ont déçu, de par leur laideur, et le peu de chose qu’elles apportent en réalité !
Sinon, merci pour cette belle review ! beau boulot !