The Art Of #4 : J.H. Williams III

Petite lueur revigorante ce mois-ci pour balayer l’ombre de l’imposante carrure de Jack Kirby du précédent numéro, J.H. Williams III a été choisi par les lecteurs. Hallelujah ! Voilà un artiste dont le cœur appartient à DC Comics (pour le moment) et qui n’est étrangement pas touché par le DC bashing de certains lecteurs marvelisés en mal d’opposition (et d’attention ?). Comme quoi, DC c’est peut-être pas si mauvais. En selle sur votre Harley-Davidson on prend la route du Nouveau Mexique.

J.H. Williams III - Batwoman

Un OVNI du comics né à Roswell

James H. “Jim” Williams III est né un 18 décembre 1965 à Roswell, une ville américaine située au sud-est du Nouveau-Mexique (1). Rassurez vous JH Williams III n’est pas un OVNI tombé en 1947, même s’il est vrai que ça expliquerait pas mal de choses concernant la prolixité et le style de l’artiste. Petite anecdote sympathique qui ravira les plus musiciens d’entre vous, JH Williams III est le petit-neveu de la légende du country, Hank Williams (2).  Comme la plupart des artistes, Williams dessinait enfant ses comics Marvel et DC inlassablement. Il était également un grand fan des Micronauts (3). Sauf si vous étiez enfants dans les années 75-80, je doute que vous connaissiez ces bricoles. Il s’agit de la version américaine de la licence japonaise de jouets pour enfant Microman, qui a connu un succès certain et donc (business is business) une série comics de 1979 à 1985 (tout de même), publiée chez Marvel Comics. Si je vous en parle ce n’est pas pour masquer le fait que je n’ai pas grand chose sur l’enfance et la formation de l’artiste (comment je suis grillé), mais pour faire le lien avec les inspirations de JH Williams III. Dans cette série on retrouve pas mal de grand noms en fait, tels que Gil Kane, Howard Chaykin (retenez ce nom) mais surtout Michael Golden, qui a certainement inspiré notre Williams dans ses compositions (2). Mais les inspirations les plus fortes, des propres aveux de Williams lui même, sont des artistes tels que Jim Steranko, Will Eisner ou encore Jim Starlin. La filiation n’est pas tant dans le style graphique de ces artistes mais plus dans le découpage et la composition des planches, comme par exemple l’utilisation d’éléments textuels incrustés dans le background d’une planche à la manière d’un Will Eisner sur The Spirit.

 J.H. Williams III

C’est Howard Chaykin (vous aviez retenu) qui remarque le travail de JH Williams III lors d’une convention et qui lance sa carrière (3). Il signe en 1995 Deathwish (image à gauche), une mini-série écrite par Maddie Blaustein en 4 numéros, publiée par Milestone Media une filiale de DC Comics. A noter également l’encrage de Jimmy Palmiotti. En 1997, JH Williams III rejoint directement DC Comics pour la série Chase (image au centre), écrite pour 8 numéros par Dan Curtis Johnson et encrée par Mick Gray (récemment encreur de Patrick Gleason sur Batman & Robin). Williams retrouve cet encreur sur ses travaux suivants, Justice Riders (image à droite) écrit par Chuck Dixon et Son of Superman écrit par Howard Chaykin et David Tischman. Jusqu’à présent, on sent que graphiquement JH Williams III se cherche encore, notamment dans ses découpages audacieux et ses perspectives.

 J.H. Williams III

Le déclic, et les premières claques graphiques

Il a fallu attendre 1999 et la forte personnalité d’Alan Moore pour débrider les talents graphiques de JH Williams III sur la série en 32 numéros Promethea. Pour situer un peu la chose : en 1999 Alan Moore crée la collection America’s Best Comics sous l’impulsion de Jim Lee (4) pour son studio Wildstorm, appartenant encore à l’époque à Image Comics. C’est sous ce label que Moore créa The League of Extraordinary Gentlemen, Tom Strong, Top 10 et Promethea, l’un de ses travaux les plus personnels. Pour la petite histoire Jim Lee céda en court de route Wildstorm à DC (tout en en conservant la direction éditoriale), contraignant Alan Moore à retravailler pour DC Comics alors que ce dernier avait promis de ne plus jamais travailler pour cet éditeur depuis ses accrochages à répétition (dès 1982 sur Swamp Thing, et jusqu’en 1989 après V pour Vendetta) (5). On sent que le style graphique de JH Williams III peut s’épanouir pleinement sur Promethea, illustrant les propos ésotériques et magiques d’un auteur à part dans le monde du comics.

 J.H. Williams III

Après cette expérience unique avec Moore, Williams poursuit ses expérimentations graphiques entre de bonnes mains, puisqu’il rejoint successivement Warren Ellis sur Desolation Jones en 2005 et l’année suivante Grant Morrison sur Seven Soldiers of Victory et les numéros 667 à 669 du chevalier noir de Gotham. On a vu pire.

 J.H. Williams III

C’est d’ailleurs à Gotham City que JH Williams III pose ses valises, s’occupant pour la première fois de Batwoman sur les numéros 854 à 863 de Detective Comics (durant l’absence de Batman due aux événements de Final Crisis en 2009, lors de l’évènement Batman Reborn (6)).

 J.H. Williams III

Le tatoueur de pages

Une page blanche pour JH Williams III, c’est comme un dos nu prêt à être tatoué. A la manière d’une aiguille sur une peau vierge, il pique sa plume imbibée d’encre noire sur la surface de sa feuille. Il ose cisailler sa planche, tenter des découpages audacieux, sans pour autant charcuter la blancheur de sa page. L’art de JH Williams III renvoie à cette impression de contempler un art quasi charnel, voir à vif dans l’affrontement sanguin et nerveux de corps en souffrances physiques et même morales.

 J.H. Williams III

Les personnages de l’artiste sont ainsi bien souvent aussi tourmentés que les méandres de ses planches, à l’image d’une Batwoman complexe et sublimée depuis l’arrivée de Williams sur la série. JH Williams III était d’ailleurs à ce titre l’un des meilleurs auteurs pour une Batwoman redéfinie lors des événements de la série hebdomadaire 52 (6). Une version plus moderne, juive et lesbienne développée par DC Comics depuis 2006, afin de mettre plus de diversité dans ses publications (7), que JH Williams III a élevée à partir de 2010 paradoxalement un peu trop rapidement pour certains blocages moraux poussiéreux de l’éditeur, préférant annuler le mariage de Batwoman et Maggie prévu par l’artiste (motif de son départ du titre) (8). Sans polémiquer, on mettra ça sur le compte de « plans éditoriaux divergents planifiés depuis un moment par la maison mère ».

 J.H. Williams III

JH Williams III a incontestablement apporté à DC Comics un vent de fraîcheur salutaire, aussi bien à l’écriture que graphiquement, sur Batwoman. Si son run sur Batwoman devait être adapté au cinéma, la bande son du film serait immanquablement composée par des groupes tels que Fields Of The Nephilim, The Damned, Lordi ou Killing Joke, avec une pointe de Blondie. Et ça tombe bien, ce sont les artistes que mentionne JH Williams III sur son site (9), je n’ai rien inventé. Un esprit gothique et punk, irrémédiablement rock raisonne à chaque postures canoniques d’Alice ou entrées fracassantes de Batwoman. Williams ouvre ton salon « BatBastards », prend une aiguille et vient me tatouer avec Deborah Harry en fond sonore. Arf, c’est presque un cliché ça. D’ailleurs Williams a signé dernièrement une cover pour le titre A Rose by Any Name de la grande dame. Et quand je vous dis que chaque planche transpire sa musicalité propre, l’artiste poste de temps en temps sur son blog des playlists des musiques écoutées pendant la réalisation de certaines planches. Récemment pour Sandman Issue 1 c’était Electric Light Orchestra.

 J.H. Williams III

Outre ce côté gothique et punk rock (jesus… elle était facile) confortant cette vision du travail de JH Williams III en tant que tatoueur de pages, on peut également relever dans le même esprit, toute cette ambiance mystique et ésotérique qui entoure les planches de l’artiste.

 J.H. Williams III

Que ce soit les volutes d’une brume angoissante qui amusait tant Richard Corben (ma tranquillité beaucoup moins !) ou l’illustration de réflexions métaphysiques et d’hallucinations mystiques (made in Alan Moore) dans Promethea, JH Williams III imprègne ses planches de cette ambiance mystérieuse à la poésie graphique omniprésente. Pas étonnant de retrouver (pour notre plus grand plaisir) JH Williams III avec Neil Gaiman sur The Sandman : Overture.

 J.H. Williams III

Compositions et décompositions

Comme évoqué dans la partie précédente, JH Williams III découpe ses planches dans une logique esthétique et une ambiance bien définie. Mais ce serait passer à côté de bien des choses que de ne voir en JH Williams III qu’un esthète de la double page. Chacune de ses planches répond à un découpage et une composition appartenant à une dialectique rigoureuse. Une fois l’œil du lecteur happé par l’impact visuel des grandes doubles pages de l’artiste, le regard est irrémédiablement guidé au travers d’une lecture simple et intuitive et ce malgré les méandres parfois complexes des compositions. JH Williams III privilégie le dynamisme de l’action et l’esthétique générale que lui procure cette même énergie, pour favoriser un sens de lecture franc.

 J.H. Williams III

Généralement les cases s’organisent tout naturellement autour d’un élément graphique central, donnant le thème de la planche voire sa symbolique. Les différentes cases sont alors des dérivées de cette thématique, confortant le lecteur dans une ambiance particulière, ou encore des séquençages d’une action, orientant la dynamique d’un geste, vers un point clef pour le regard, que ce soit un mini-cliffhanger graphique pour la page suivante, le texte, ou encore tout simplement un renvoi à l’élément central.

 J.H. Williams III

Autre caractéristique de cet « art total » de la page, c’est la facilité déconcertante qu’a JH Williams III à incruster ses petites cases séquentielles d’une ou plusieurs actions dans la planche et plus précisément dans l’élément central évoqué précédemment. Par ce biais, l’artiste découpe son action autour de l’élément central mis en avant, incarnant ainsi généralement soit l’élément déclencheur soit le résultat final de ce découpage. Par exemple, dans la planche ci-dessous extraite de l’arc Hydrology, l’élément central de la planche est l’entrée de Batwoman par la fenêtre. L’artiste incruste alors dans cette élément central, en l’occurrence ici dans la cape de la justicière, les cases séquentielles de l’action produite par l’élément central. JH Williams III découpe ainsi l’intimidation de Batwoman envers le propriétaire, renforçant l’entrée furtive et surprise de l’héroïne et la pression qu’elle engendre sur sa victime (Kate Kane fait flipper, JH Williams III a réussi son coup). Ces compositions ne sont pas simplement des merveilles visuelles, elles participent au rendu de l’ambiance évoquée dans la partie précédente ainsi qu’à fluidifier la narration.

 J.H. Williams III

La narration justement, parlons-en. Il n’est pas rare de retrouver chez JH Williams III des éléments textuels incrustées dans ses planches. Bien souvent les titres des chapitres, les quelques mots stylisés illustrent, c’est le cas de le dire, le potentiel graphique d’une lettre, dans sa forme et son agencement avec les autres lettres et l’illustration. JH Williams III utilise cette technique notamment pour accentuer encore un peu plus l’ambiance d’une page, et dans le cadre d’un titre, pour donner carrément le ton du chapitre. Il est d’ailleurs intéressant de relever cette utilisation graphique de l’écrit, notamment au vue de l’utilisation récurrente de JH Williams III des logos de Batwoman et Batman dans la composition de ses planches, proches pratiques linguistiques et/ou artistiques comme le logogramme. Les logos de la Bat-family apparaissent alors comme un langage à part entière, rappelant notamment l’identité visuelle des justiciers.

 J.H. Williams III

JH Williams III expérimente dans son œuvre graphique une nouvelle approche du comics avec un ton très personnel, poétique, ésotérique et irrésistiblement rock. Un artiste qui ne laisse pas insensible, comme l’atteste sa récente popularité grâce au titre Batwoman, et qu’on espère retrouver sur des titres atypiques avec de vrais challenges. C’est pour le moment très bien parti en la compagnie de Neil Gaiman sur le retour de Sandman. Affaire à suivre. En ce qui nous concerne, rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle chronique.

 J.H. Williams III


Notes:

(1) http://islingtoncomic.blogspot.fr/2012/06/j-h-williams-iii.html
(2) http://www.comicvine.com/jh-williams-iii/4040-9316/
(3) http://www.jhwilliams3.com/bio/
(4) http://en.wikipedia.org/wiki/America%27s_Best_Comics
(5) The New York Times, The Vendetta Behind V for Vendetta
(6) http://dc.wikia.com/wiki/Detective_Comics_Vol_1_854
(7) http://en.wikipedia.org/wiki/Batwoman
(8) http://www.dcplanet.fr/65679-j-h-williams-iii-w-haden-blackman-quittent-batwoman
(9) http://www.jhwilliams3.com/links.php

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Baccano

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Membre du staff DC Planet depuis septembre 2012.
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32 Commentaires
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crazy-el
crazy-el
9 années il y a

Ahhh tout simplement, justement, magique ta présentation. J’adore de tout temps ce lien avec la trajectoire de vie de l’artiste. En effet, cet artiste donne une vision du Comic Book moderne, de notre temps, mais il a su garder la façon de lire le comic book propre à cet art. Le comic book se lit et prend son sens par la lecture des planches et non d’une manière linéaire comme dans un roman. Williams en donne une extraordinaire démonstration dans son rôle d’artiste.

Merci Bacca et à la prochaine.

MFW
MFW
9 années il y a

Crazy résume bien ma pensée. Excellent article sur un dessinateur atypique. Bravo Bacca.

CaptainMasked
9 années il y a

Très bon Art of. Comme d’hab’.
Un artiste que j’aime beaucoup notamment sur ses nouveaux travaux.
Bravo !

Dionysos89
9 années il y a

Pour être fouillé, c’est fouillé comme dossier. Bravo ! :-D

Dionysos89
9 années il y a
Répondre à  Baccano

C’est mérité. As-tu d’autres articles de ce genre en cours d’élaboration ?

Dionysos89
9 années il y a
Répondre à  Baccano

Oui, c’est pas bien, par manque de temps je ne suis pas assez le forum du site.

Arnonaud
9 années il y a

Très sympa ce dossier pour un dessinateur qui a su me charmer ! Il est vraiment excellent !
Ce que j’aime chez lui c’est sa capacité à pouvoir changer de style graphique. Son arc sur Batman (l’île du docteur Mayhew) en est un bel exemple avec chaque personnage qui est dans son propre style graphique, avec son encrage particulier, parfois des lavis, parfois non. Sur Batwoman c’est particulièrement bien utilisé pour différencier les scènes en costume et les scènes à la vie civile.
Franchement brillant cet artiste ! J’espère qu’il arrivera a trouver des projets à la hauteur de son talent dans les années à venir (chez Marvel pour te faire rager x) ? Ou probablement plus chez Image Comics…).

Arnonaud
9 années il y a
Répondre à  Baccano

Oui, bonne idée Silver Surfer. Mais je pense qu’il ferait des merveilles sur du Dr.Strange !

Sanasaki
Sanasaki
9 années il y a

Hum, il a travaillé sur Son of Superman, une histoire que je veux lire à tout prix, du coup ça me donne plus envie de découvrir son style graphique à ses débuts à travers cette oeuvre ^^.
Super dossier bacca! Des images très bien choisies mais serait-il possible de pouvoir les agrandir comme pour les pages de preview du site?
Ce serait pas mal pour pouvoir analyser plus en détail le travail de l’artiste.

Harley
Éditeur
9 années il y a

HAAAAA Le Art Of de l’amour infini et ultime <3
Merci Bacca !

CaptainMasked
9 années il y a
Répondre à  Baccano

XD

Corentin
9 années il y a

Une belle analyse du style de Williams, artiste ô combien talentueux.
Je me suis vraiment accroché à la série Batwoman pour son trait si particulier, sans oublier Desolation Jones, un grand moment de délire d’auteur superbement servi par le dessin.

pulpy
pulpy
9 années il y a

Vraiment excellente cette rubrique, bravo.
Batwoman qui est sur ma wishlist depuis un moment vient de gagner un paquet de places et devrait finir sur mon étagère plus vite que prévu ^^

Aquaman
Invité
9 années il y a

L’Ultime ArtOF, j’aime cette artiste et j’aime ta chronique.

BRISAK
9 années il y a

J’adore JH William III et son travail sur Batwoman.
Merci pour ce dossier!!!!!!

Loufok
Loufok
9 années il y a

Super dossier ! J’adore cet artiste et tu analyse très bien ! Vivement le prochain !

zeppeli
9 années il y a
Répondre à  Baccano

J’ai hâte dude !

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