Bizarro Facts #6 : Wonder Woman Odyssey

Wonder Woman L'Odyssey Tome 1

LA BELLE ET LA BELLE

 

Bizarro Fact n°6 : Au cas où certains lecteurs seraient du même âge que le sujet traité, cette édition contient exceptionnellement les mots « billevesées », « quidam » et « truculent ».

Je ne vais pas vous le cacher, il m’arrive parfois de faire les choses à moitié. C’est d’ailleurs un de ces traits de caractère que j’affectionne particulièrement, notamment parce qu’il me permet de ne pas toujours finir ce que j
Heh.
Il existe cependant des sujets qui méritent toute mon attention. Je dirais même, une attention accrue. C’est pourquoi aujourd’hui je ne vous propose pas de briser un cliché, mais bien deux. Rien que ça.

Car oui, on ne parle pas de Wonder Woman à la légère. Et ne voyez pas dans mes propos la simple admiration béate du geek boutonneux, addict à ces héroïnes qui ne coucheront jamais qu’avec le papier glacé. Non seulement parce que je n’ai jamais été boutonneux – Dieu merci – mais surtout parce que nous nous attelons ici à un personnage vieux de plus de 70 ans. Et comme chacun sait, on ne déconne pas avec les mamies.

Alors bien sûr, Wonder Woman possède une image de sex-symbol, ça on ne peut pas lui retirer ; elle n’est pas définitivement pas un gros boudin mal sapé, et ses formes ne laissent pas indifférent (1). Est-ce pourtant une raison pour la cantonner à un rôle si réducteur ?

Car il est enfin temps de mettre à bas cette vieille croyance populaire, qui voit nos chers compatriotes – qu’ils soient hommes ou femmes – nous prouver constamment par de petits commentaires stéréotypés leur méconnaissance absolue d’un mythe qui leur échappe. Rejeter la beauté apparente est devenu le meilleur moyen pour les masses de faire comprendre à la société qu’ils ne tomberont pas dans le piège de la superficialité. Ainsi, malheur aux gens beaux ! Le vrai héros de tous les jours se doit d’être quelconque !

Je dis : billevesées. La cause des femmes s’adresse à toutes les femmes. Supposer l’existence de carcans de beauté est justement le meilleur moyen de pervertir le message originel. Et lorsque le lecteur pose la première fois ses yeux sur Wonder Woman, sa réaction immédiate ne devrait pas concerner la plastique du personnage, mais bien ce que sa création implique pour l’évolution de notre société.

Wonder Woman Odyssey

Initialement, William Moulton Marston (2) avait pour idée de créer un super héros guidé par un pur instinct d’amour envers l’humanité. Et sur les conseils de sa femme, il décida de faire de ce personnage unique la première super héroïne de tous les temps.

Près de 70 ans plus tard, J. Michael Straczynski prend les rênes de la série afin de conclure celle-ci avant le relaunch du New52. Pourquoi saute-je si vite toutes ces décennies ? Tout simplement parce que le run de Straczynski (3) constitue une immense réflexion sur l’histoire du personnage, mais aussi sur la façon d’écrire un comic book.

Soyons honnêtes dès le début, Odyssey souffre de quelques défauts mineurs, notamment en ce qui concerne les changements trop fréquents d’artistes à partir du cinquième numéro. Bien que Don Kramer et Eduardo Pansica, les dessinateurs principaux, délivrent des planches magnifiques (probablement la Diana/Wonder Woman la plus gracieuse de tous les temps, et une scène aux enfers digne des fresques les plus dantesques ; sans parler des variant covers d’Alex Garner, simplement époustouflantes), les deux compères semblent malheureusement incapables d’effectuer leur travail dans le temps imparti. Ces alternances desservent donc parfois le titre, à plus forte raison lorsque Straczynski se met à écrire avec les pieds (4). Mais lorsque le concept général parvient à balayer ce genre de petits remous, c’est bien qu’il y a de la qualité dans l’air.

Et qualité il y a, sans aucun doute. D’abord dans le principe même de l’intrigue : Straczynski prend le lecteur à revers dès le début, et le plonge dans un contexte insolite, inhabituel. Cette nouvelle Wonder Woman, fascinante, n’est clairement pas celle que l’on connaît ; de son histoire jusqu’à son costume, rien ne colle au mythe. Mais la réelle intelligence d’écriture de Straczynski réside ailleurs. Parce qu’il sait très bien que lecteur assidu de l’univers DC est habitué depuis un temps immémorial à ces récits d’origines alternatives et d’univers parallèles. Il sait donc que l’hypothèse (erronnée) du Multiverse sera la première à émerger dans l’esprit de son lecteur. Voilà pourquoi, à travers les apparitions oniriques d’une Wonder Woman classique, l’auteur décide très vite de nous faire comprendre que les choses ne sont pas aussi simples.

Cette énigme hante ainsi magnifiquement les premiers numéros (les plus réussis). Impossible de ne pas s’attacher à cette curieuse Wonder Woman, si jeune et si inexpérimentée, finalement aussi perdue que le lecteur. Il y a dans ses errances comme un soupçon latent de futilité ; et, à l’instar de l’Odyssée d’Homère, nous comprenons que quelque chose de bien plus grand se cache derrière tout ça. En attendant d’étancher notre soif de réponse, nous acceptons de suivre les pas de notre héroïne, tout simplement parce que sa spontanéité et son acceptation commencent à nous donner la vraie définition du mythe Wonder Woman.

Wonder Woman Odyssey 2

La jeune femme éprouve tous les sentiments imaginables, de l’espoir à la haine, en passant par la compassion. Elle se révèle terriblement fatale, conduite par la vengeance, capable de terrasser sans remord. Car oui, la rage n’est pas l’apanage des hommes (5).

Corde scénaristique bien connue : le personnage doit passer par les extrêmes afin d’accepter ce qu’il est réellement. C’est donc en prenant conscience de ses différents excès que Wonder Woman comprendra enfin sa vraie nature. En définitive, son odyssée lui permet de retracer les étapes qui ont fait d’elle le personnage mythique qu’elle est devenue, depuis sa naissance au milieu du siècle dernier.

La fiction croise la création. Cette idée est exposée explicitement lorsque le Dr. Psycho emmène Diana dans ce qui se révèlera une visite de toutes les possibilités. Ce fameux antagoniste de Wonder Woman, jouant ici le rôle d’allié, explique finalement que la vie d’un personnage dépend simplement des visions de son auteur.
Oui, il y a ici une foule d’informations à décortiquer.
1. Premièrement, difficile de ne pas penser à Charles Moulton à la vision du Dr. Psycho. D’abord parce que Moulton était justement docteur, mais surtout parce que le discours en question permet à Wonder Woman de prendre la vraie mesure de ses principes, principes qui ont tout de même participé à sa création en 1941.
2. Deuxièmement, l’idée, vertigineuse, rejoint Shakespeare et bien d’autres en comparant la vie à un conte, une pièce de théâtre, et dans le cas présent une bande dessinée.
3. Dernier point, Straczynski et Hester nous démontrent à coups de mise en abyme que l’art du comic book (et l’art populaire en général) n’a rien de l’image puérile que l’inconscient collectif aime bien trop souvent lui prêter. Wonder Woman Odyssey prouve donc explicitement que le médium a atteint un stade d’évolution si avancé qu’il est capable de réfléchir sur lui-même tout en continuant de contenter le grand public.

Bien entendu, ce constat n’est pas nouveau. DC Comics et ses nombreux collègues ont de tout temps publié des œuvres propres à effacer la ligne ténue située entre le monde fictif et celui de notre réalité. La création littéraire, très tôt, du Multiverse est l’un des plus bel exemple ; son remplaçant temporaire, l’Hypertime, reprenait un motif semblable, même s’il n’a pas rencontré autant de succès (6).

Dans tous les cas, nous pouvons maintenant ajouter sur la longue liste des concepts narratifs conscients d’eux-mêmes le « strand of life » de Straczynski.
Petit détail truculent : Diana prophétise dans les dernières pages l’arrivée du New52

Wonder Woman Odyssey 3

Mais le mauvais dieu qui s’évertue à séparer notre héroïne de son idéologie semble lui ne pas avoir conscience d’une vérité bien plus importante encore que toutes les autres. Peu importe l’altération continue des origines à travers les âges, ce qui fait un personnage n’est pas son passé. Au contraire, c’est ce qu’il choisit de faire au moment présent, ce moment indéfinissable et presque suspendu, où le lecteur parcourt des yeux les pages maculés de ses héros favoris. Rien d’autre n’a d’importance.

Ainsi, notre Wonder Woman, en reprenant logiquement conscience de sa réalité première, réalise qu’elle avait finit par devenir ce qu’elle avait été en un autre temps. Les deux âmes n’entrent pas en collision, elles se rejoignent le plus naturellement du monde, parce que Wonder Woman sera toujours Wonder Woman.

Elle sera toujours cette figure positive, émancipée et pleine d’enthousiasme, poussée autant par l’amour de ses amis que par l’amour de ses ennemis (7). Straczynski et Hester insistent avec intelligence sur ce point, peut-être le plus important du mythe Wonder Woman. En cela, elle en devient un héros quasi christique.

Ce qui expliquera probablement mes quelques difficultés avec le personnage de Steve Trevor, dont le principe ne m’a jamais convaincu. Est-il possible de s’attacher à une personne en particulier, lorsque l’amour inconditionnel dont on fait preuve se porte sur la vie dans son ensemble ? Diana ne peut objectivement pas aimer Steve Trevor, pas plus qu’elle ne pourra aimer Clark Kent.
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Bible.

Je vous avais prévenu, aujourd’hui on fait tout péter. On brise les clichés et on appuie ses arguments à coups de théologie.

Il n’y a rien d’étonnant à cela, finalement. Car à condition qu’on sache les utiliser, les super héros offrent des champs de possibilités illimités. Et Wonder Woman fait irrémédiablement partie de ces personnages uniques et absolus, bien plus complexes qu’on ne pourrait d’abord l’imaginer.

Elle est la meilleure preuve qu’il ne faut pas « juger un livre par sa couverture ». Alors certes, cette chronique est peut-être un peu longue pour vous garantir la victoire lorsqu’un quelconque quidam se permettra en soirée de critiquer votre t-shirt Wonder Woman.
Dans ce cas-là, contentez-vous simplement de lui casser la gueule. Vous, vous n’avez a priori jamais clamé l’amour de vos ennemis.


Notes :
(1) Certains dessinateurs ont d’ailleurs cette mauvaise tendance à lui infliger une poitrine qu’aucune colonne vertébrale humaine ne pourrait réellement supporter (même si la palme sera évidemment toujours décernée à Power Girl).
(2) Parfois nommé Charles Moulton. Féministe, psychologue et partisan du polyamour. Mort en 1947.
(3) Run intitulé Wonder Woman Odyssey, bien entendu, et publié plus tard en deux Hardcovers. Bon à savoir : le run ne commence pas au #601, le prologue se trouve à la fin du numéro précédent (le spécial 600).
(4) Très occasionnellement, précisons-le. Il est assisté par Phil Hester sur le scénario, à partir de la seconde moitié du run.
(5) N’oublions pas que c’est Wonder Woman qui tue Maxwell Lord avant les évènements d’Infinite Crisis.
(6) Nous aurons l’occasion de revenir là-dessus le mois prochain.
(7) [Attention, cette note contient un spoiler concernant Blackest Night] On applaudit d’autant plus l’excellente idée de Geoff Johns de choisir Diana comme porteur temporaire de l’anneau des Star Sapphire.

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minibec
minibec
11 années il y a

super dossier !!
et j’adore ta conclusion ;)

jp2150
jp2150
11 années il y a

je crois que les amazones avaient un sein coupé pr mieux tirer à l’arc..pourquoi pas elle ^^
mince…ça la rendrait moins sexy!! que suis je bête!

Baccano
11 années il y a

Comme toujours, une chronique à faire lire aux nouveaux arrivants pour instruire sur un univers aussi vaste que précis.
Et pour les initiés, une lecture à savourer car on sent la passion derrière.
BRAVO!

Freytaw
11 années il y a

Superbe Merck-el ! Ca fait plaisir de voir cette Odyssey décortiquée et placée là dans son plus simple appareil ! J’ai aussi apprécié cette oeuvre « inégale » pour le message et le parallèle qu’elle ne cesse de véhiculer entre passé et présent et bien sur entre les « deux » (ou devrais-je dire, la multitude entre les deux) Wonder-Woman de chaque époque.

Tu mentionnes cette idée de « polyamour » dont Wonder-Woman devrait être la garante. Et je trouve qu’elle revient souvent pour ce que j’en ai vu.
[SPOILER]
Je citerais Blackest Night dont « l’amour pour tous » lui permet d’aquérir un anneau du Star Saffire et vaincre la malédiction du black ring (et je viens de voir que tu en parles dans tes notes, bigre !). Mais plus récemment, dans le run de Brian Azzarello, quand elle déclare à Hadès qu’elle l’aime sincèrement. Moment assez magique en soi.
[SPOILER]
Merci pour ce Bizarro-fact !

Biggy
11 années il y a

Superbe chronique. Encore une fois j’ai envie de dire.
Cela tombe super bien je finis la review sur le tome 1 de l’Odyssée.

BestFriend
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11 années il y a

Et pour les initiés, une lecture à savourer car on sent la passion derrière.
BRAVO!

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