Avant de débuter une liste des numéros utiles :
- Violences Femmes Infos – 39 19
- 0800 05 95 95 – SOS viols
- 3114, le numéro national de la prévention du suicide
Vous l’avez peut-être vu, ou pas, l’affaire étant restée remarquablement silencieuse jusqu’à très récemment. Neil Gaiman, scénariste et auteur britannique ultra populaire, créateur de Sandman, entre autre, est accusé par plusieurs femmes d’agressions sexuelles. On parle d’accusations de viols de la part de cinq femmes. Ces accusations s’étendant des années 80 à 2022 et la majorité de ces femmes étant bien plus jeunes que l’auteur au moment des faits. Pour les deux premières femmes la situation est particulièrement complexe, celles-ci affirment qu’elles étaient dans une relation consentis, mais que certains actes commis par l’auteur, eux, ne l’étaient pas. Toutefois, ce qui n’est pas complexe, c’est le fait que chacune de ces femmes étaient dans un rapport de force profondément déséquilibré avec Neil Gaiman. Par exemple, la première était employée par Gaiman pour s’occuper de son fils et était donc logée chez lui en Nouvelle-Zélande, très loin de chez elle, alors qu’elle avait seulement 23 ans. Et il aurait fallu seulement deux heures après son arrivée pour que Gaiman, qui avait 61 ans, ne vienne rejoindre la jeune femme dans son bain et engage ce que la femme décrit comme une agression sexuelle. Et c’est à peu près la même chose pour les autres femmes, qui étaient soit employées, soit logées, soit une fan de l’auteur. On retrouve les mêmes actes dégradants, ou violents et une volonté d’être appelé « maitre », ainsi, qu’une utilisation abusive des NDA, pour que toutes ces femmes ne parlent pas.
Je n’irais pas plus en profondeur dans les accusations de ces femmes qui sont terriblement détaillées. Si vous souhaitez les lire, vous pouvez écoutez ce que Tortoise a produit, ou vous pouvez vous rendre sur Comicsblog, qui ont eux aussi sortis un retour sur ces accusations durant l’écriture de ce OMM. Sachez tout de même que la lecture pourrait être perturbante et déclenchante pour certaines personnes.
Du côté de Neil Gaiman, il reconnaît les relations avec ces femmes, mais affirme que tout était consenti et utilise même des termes psychophobes pour dénigrer les accusations. Mais il y a une réalité, quand bien même on ne voudrait pas croire les accusations de ces femmes, (ce qui n’est pas le cas ici, nous sommes et seront toujours du côté des victimes), tout ça dépeint un portrait glaçant du scénariste. Un homme qui fait fi des dynamiques de pouvoir totalement déséquilibrées entre lui et toutes ces femmes.
Maintenant, la question légitime serait de demander pourquoi avoir attendu si longtemps pour en parler. En effet, les premières accusations sortent le 3 juillet et nous sommes aujourd’hui déjà mi-septembre. En fait, tout part de Tortoise Media et là on peut se dire mais qui sont-ils ? Là est toute la question.
Tortoise Media
Totalement inconnu avant cet été Tortoise Media est un média co-fondé en 2018 par l’ancien directeur de The Times, James Harding et l’ancien ambassadeur des US au Royaume-Uni, Matthew Barzun. Ils se veulent représentatifs d’une presse d’enquête sur le long terme. Et donc ces accusations dirigées vers Neil Gaiman, la première grosse bombe du média, sont, elles, prises en main par Paul Caruana Galizia, journaliste britannique récompensé en 2019 du Journalist of the Year award. Il a aussi produit un podcast centré sur le meurtre de sa mère, elle aussi journaliste, qui lui a valu d’autres récompenses : best factual podcast de l’Association of International Broadcasters, une médaille d’argent aux British Podcast Awards, ainsi qu’une médaille de bronze aux Radio Academy ARIAS. Un journaliste particulièrement sérieux donc. Néanmoins, à ses côtés nous retrouvons Rachel Johnson, sœur de l’ancien Premier ministre britannique, Boris Johnson. C’est une journaliste, qui a aussi fait partie du parti conservateur anglais aux côtés de son frère. Jusque-là pas trop de soucis, c’est une figure de droite, comme il en existe tant, toutefois en avril dernier elle signe une tribune offrant son plein soutien à la TERF en chef, J.K. Rowling. Pour ceux qui ne passeraient pas leur temps à voir les conneries de ces personnes (comme on vous envie), l’auteure d’Harry Potter a dédié sa vie depuis plusieurs années à s’opposer à l’existence même des personnes transgenre. Elle était d’ailleurs le fer de lance de la vague d’harcèlement qui a visé la boxeuse Imane Khelif durant les JO cet été.
Donc lorsque Johnson vient apporter son soutien à Rowling et à ses idées, ce n’est pas anodin. D’autant plus, quand on sait que Neil Gaiman est une figure importante dans le mouvement de soutien des personnes LGBTQIA+. Donc, au moment où ces accusations sortent, les fans de l’auteur se sont empressés de venir condamner une campagne de dénigrement d’une figure engagée dans le camp progressiste. De plus, il faut aussi parler de la façon qu’a Tortoise Media de présenter ces accusations. Chacune des accusations se font au sein de podcasts, ce qui rend l’appréciation de l’ensemble de l’affaire vraiment laborieuse, obligeant à écouter quasiment six heures de contenus audio pour en connaître tous les tenants et aboutissants. De plus, la présentation même de ces podcasts interroge. Ceux-ci sont réalisés comme des podcasts de True Crimes et manifestement pas les meilleurs. Pour rappel, le True crime est un genre de plus en plus populaire, surtout au format podcast, qui vise a dépeindre les circonstances et conséquences des crimes. Il y a à boire et à manger dans le genre des podcasts True crimes, certains sachant adopter une posture plutôt respectueuse des victimes, tandis que d’autres choisissent un point de vue beaucoup plus sensationnels et parfois même presque malsain. D’expérience il y en a certains où les présentateur.ices. agrémentent tous les podcasts de traits d’humour, ce qui est, au déconcertant, au pire profondément irrespectueux pour les victimes, ainsi que leurs familles, dont ils utilisent l’histoire. Heureusement, malgré tout ce qu’on peut reprocher aux podcasts de Tortoise, rien de ça ici, cependant des vrais problèmes subsistent.
Comme dit plutôt nous avons tous les détails sur ce qui a pu se passer, mais c’est aussi une utilisation de musiques stressantes pour agrémenter l’ambiance, comme c’est l’usage dans certains de ces podcasts, ce qui interpelle. Cela laisse une drôle d’impression au vu des faits énoncés, d’autant plus quand le tout est entrecalé entre des pubs pour Amazon ou les couches Pampers. Et c’est sans même parler de cet épisode trois, centré sur le père de Neil Gaiman. Choix assez odieux, qui vient totalement casser l’élan des deux premiers épisodes, tout ça pour nous faire un : « Neil Gaiman père aurait aussi été accusé d’agression sexuelles, donc on ne dit pas que tel père, tel fils, mais quand même. » Sans même parler de la mention d’un très grands nombres de preuves matérielles énoncées dans le podcast, sans que l’on ne puisse voir l’existence de ces dites preuves.
Tout ça laissait tout de même un goût amer.
Pourquoi cette attente
Donc, sur le moment, la politique a été de se dire « attendons que les autres médias, reconnus, enquêtent et en parlent. » Parce qu’ils allaient forcément le faire, non ? Mais, les semaines passent et très peu de journaux en parle. Si ce n’est des torchons comme The Sun, mais les médias dédiés aux comics et au divertissement n’en parlent pas du tout. Pas de Hollywood Reporter, pas de Bleeding Cool, pas d’AIPT, ou tout autres médias qui avait pu le faire sur d’autres affaires du même acabit précédemment. On pense évidemment à Warren Ellis, entres autres. Et la réalité est que DCPlanet reste un site géré par des bénévoles, qui va majoritairement puiser ses actualités dans les sites américains. Nous travaillons tous à côté et n’avons malheureusement pas le temps, ni les moyens de gérer nous même ce genre d’enquête que personne d’autre ne semble prendre en main. Ce qui n’est pas une excuse et à l’avenir nous devrons faire mieux.
Ces dernières semaines les langues se délient enfin, un peu, surtout car il y a des retombés concrètes sur les productions en cours adaptées des œuvres de Neil Gaiman. Disney a mis en pause l’adaptation de The Graveyard Book, tandis que l’auteur a proposé de se retirer de la troisième saison de la série Prime, Good Omens, et enfin on se rappelle l’annulation de Dead Boy Detectives par Netflix. En France, nous avons donc eu Comicsblog qui ont signé un très bon article, qui revient encore plus en profondeur sur le sujet, ainsi qu’ActuaLitté, Arrêt sur images, Actuabd, Konbini et quelques autres. Un commencement de mise en avant de ces accusations qui est louable.
Toutefois, il y a un milieu où le silence est particulièrement assourdissant et c’est bien évidemment le milieu des comics. Milieu dans lequel Gaiman est une figure particulièrement grande, ayant signé des titres cultes que ce soit chez Marvel, ou chez DC. Mais, pas une seule figure ne s’est directement exprimée sur le sujet. Aucun communiqué d’un Jim Lee, ou d’un C. B. Cebulski. Même Gail Simone, dont ce n’est pas l’habitude de rester silencieuse sur ce genre de sujet, n’a rien dit sur son compte Twitter, qui est pourtant loin d’être inactif (c’est un euphémisme).
Maintenant que doit-on penser de cette affaire. Est-ce que le tout est une affaire ciblée pour faire exploser une figure du « progressisme » par une figure du conservatisme ? Peut-être. Mais j’ai envie de vous dire, et alors ? La réalité c’est qu’il y a des victimes, cinq aujourd’hui et il pourrait y en avoir encore plus. Celles-ci comptent plus que toutes attaches que l’on pourrait avoir envers Neil Gaiman et ses œuvres. Cette affaire est aussi un énième exemple que nous ne connaissons pas ces personnes dont les œuvres nous ont touchés et qu’il faut travailler sur cette réaction épidermique qui peut nous venir à chaque fois face à ce genre d’affaires.
La honte doit changer de camp.