Poison Ivy ne figure peut-être pas au menu de la gamme de récits One Bad Day comme un bon nombre de bat-vilains, mais elle n’est pas en reste pour autant. C’est au sein de la continuité que celle-ci évolue sous la plume de G. Willow Wilson, d’abord missionnée pour une mini-série en six numéros qui, fort de son succès, s’étendra bien au-delà de ses limites initiales. Le postulat ? Après avoir été divisée en deux entités distinctes ces dernières années, Pamela Isley est maintenant complète à nouveau. Ce n’est cependant pas synonyme de réjouissance pour le personnage qui choisit ici de mener une ultime tentative de sauvetage de la planète avant de s’éteindre à son tour.
La renaissance mortelle de Poison Ivy
Forte de sa popularité, ce n’est pas la première fois que Poison Ivy bénéficie de sa propre mini-série, mais celle-ci se révèle d’entrée de jeu bien singulière. D’abord, on pourrait croire que son inscription au sein de la continuité pourrait être un désavantage, mais cela fournit au contraire un point de départ intéressant dont Willow Wilson se sert à bon escient. Notons d’ailleurs tout de suite qu’il ne s’agira pas d’un frein pour le nouveau lecteur qui se voit récapituler les derniers événements dans le prologue écrit par Urban Comics (même si l’éditeur aurait pu expliquer davantage à quoi correspond un certain élément).
Précédemment, Pamela a acquis des pouvoirs quasi-divins et pouvait accéder à la Sève comme jamais auparavant. Grossièrement, elle s’est rapprochée de la nature jusqu’à en faire presque partie elle-même. Ici, la voilà redevenue une “simple” méta-humaine impuissante face au désastre écologique qui frappe la planète. Paradoxalement, cette renaissance du personnage s’assimile en fait à une forme de mort que Pamela concrétise en s’inoculant l’ophiocordyceps lamia, un champignon parasite qui prend le contrôle de son hôte jusqu’à sa décomposition. Un lent suicide se met en marche en même temps que Poison Ivy prend la route et sillonne le pays pour répandre le champignon au maximum. Son but ? Mettre en place la sixième grande extinction de masse, celle de l’humanité, responsable des maux affectant la Terre.
C’est ce road-trip pour le moins inhabituel que raconte Poison Ivy Infinite Tome 1, chaque numéro narrant un nouvel arrêt dans le masterplan difficilement condamnable du personnage. Raconté à la première personne sous la forme d’une lettre écrite à sa bien-aimée Harley Quinn, la narration du récit permet de suivre les pensées du personnage, qui parviendrait presque à convaincre que ce génocide n’est qu’un retour à un ordre naturel que l’humanité aurait déréglé. Mieux encore, la mort par le lamia serait même empreinte de bienveillance par l’état de douce euphorie qu’elle provoque avant le déclin. Ivy est bien l’héroïne, peu conventionnelle certes, de sa propre aventure.
Entre amour et violence
Un tel plan pourrait être synonyme de nihilisme, mais pas ici. Ivy le dit elle-même : “il ne s’agit pas d’une histoire de vengeance, c’est une histoire d’amour”. C’est ce qui la pousse à se sacrifier ainsi que l’ensemble de l’humanité pour, paradoxalement, sauver la vie. Elle ne déteste d’ailleurs pas chaque humain dans son individualité, comme le démontrent chacune de ses pensées pour Harley ainsi que les interactions qu’elle effectue au fil du chemin. Chaque humain capable de bonté est aussi bien un obstacle à son plan qu’un rappel de ce à quoi elle aspire réellement, c’est-à-dire aider et cultiver la vie. Finalement, la perte de ses pouvoirs divins et son retour à la mortalité lui permettent de reprendre conscience du petit et du banal. C’est un schéma relativement classique en soi, mais écrit avec une grande justesse touchante.
Il ne s’agit pas d’un récit doux pour autant, loin de là. Le trait de Marcio Takara et les couleurs d’Arif Prianto dépeignent mieux que jamais une nature certes magnifique, mais surtout sauvage, violente et puissante que rien ne peut empêcher de proliférer. Si le dessinateur se voit régulièrement remplacer par des artistes malheureusement moins convaincants, on peut se réjouir de le voir sur les numéros les plus intéressants (tout du moins pour le premier tome). Ivy elle-même n’est pas qu’amour et dénonce sans vergogne ceux qu’elle juge responsables de la catastrophe écologique. Que ce soit évidemment le capitalisme ou même une “bien-pensance” hypocrite, personne n’est épargné. Poison Ivy n’est pas là pour nous brosser dans le sens du poil, mais bien pour tous nous remettre en question.
Le succès empoisonné
Malgré ces qualités, le titre n’est conseillable qu’à moitié. Littéralement. Comme mentionné en introduction, Poison Ivy Infinite n’était initialement qu’une mini-série en 6 numéros, le premier tome donc, et cela se ressent considérablement. On y constate une réelle volonté de raconter quelque chose sur le personnage, une vraie inspiration, même si la voie empruntée dans les quatre premiers numéros aurait probablement méritée de l’être plus longtemps. A la fin du tome, Ivy connaît une réelle progression en se débarrassant de son traumatisme originel.
Sauf que… celui-ci revient dès le début du second tome, annulant alors la libération du personnage, preuve d’un certain manque d’inspiration pour cette suite qui semble presque prendre au dépourvu son autrice. Le premier tome se concluait pourtant sur une promesse très alléchante, mais on constate rapidement que l’autrice n’est pas à la hauteur de son ambition tant la baisse de qualité est drastique. A sa décharge, il est difficile de s’attaquer concrètement à des problèmes sociétaux du monde réel et d’en proposer une évolution, mais rien n’obligeait Willow Wilson à partir dans cette direction.
Reste alors la romance. Après avoir eu tant de mal à s’officialiser chez DC, il est désormais impossible d’écrire Ivy sans Harley et inversement. S’il est important que Pamela parcourt son chemin seule dans le premier tome, sa bien-aimée est toujours présente tout au long à travers souvenirs et pensées. Ce n’est que dans le second arc qu’elle revient en chair et en os pour reprendre les choses où elles en étaient restées. L’écriture de leur romance ne se démarque pas tant que ça, mais un joli numéro se démarque quand l’autrice nous prouve que la folie de l’Arlequin est étrangement idéale pour Pamela.
Poison Ivy Infinite, c’est d’abord une réussite, le récit d’un road-trip atypique, entre désir de mort et appel à la vie. G. Willow Wilson prouve que le personnage a bien assez d’âme et de pertinence pour tenir le premier rôle sans aide extérieure. Malheureusement, c’est aussi un succès empoisonné, un titre qui aurait dû rester mini-série et dont on ne peut conseiller que le premier tome initial.
- Scénario: Gwendolyn Willow Wilson
- Dessins: Marcio Takara
- Collection: DC Infinite
- Contenu: Poison Ivy #1-6 + Batman #124 back-up + Secret Origins #36 (1989)
- Pagination: 184 pages
- Prix: 19€
- Date de sortie: 18 août 2023
- Voir sur le site d’Urban Comics
Pamela Isley a été beaucoup de choses dans sa vie. Une super-vilaine, une scientifique, une activiste, une reine et… une morte. Dans un nouveau corps, et animée d’un objectif radical, Ivy quitte Gotham et celle qui l’y retenait pour entreprendre la plus grande mission de sa vie, un cadeau qui guérira enfin les maux de notre planète : l’extinction de l’humanité.