Après les runs de Tom King, puis de James Tynion IV, la série principale Batman, initiée en 2016, accueille son troisième scénariste pour reprendre le flambeau: Chip Zdarsky. Et si ce nom ne vous dit pas grand chose, amis lecteurs de DC Comics, ce n’est pas du tout le cas pour ceux qui lisent du Marvel dont il jouit d’une certaine renommée. Urban Comics l’a bien compris également, c’est pour cela que l’éditeur français relance la série Batman avec un nouveau tome un. Et donc de cette façon, il est légitime de se poser les bonnes questions. Est-ce que ce que ce « premier » volume est un point d’entrée possible ou n’a-t-il qu’une valeur marketing? Et, Chip Zdarsky est-il vraiment à la hauteur de ce que l’on prétend?
PIRE ALLIÉ OU MEILLEUR ENNEMI
L’histoire démarre sur une affaire qui oppose Batman au Pingouin. Malheureusement, les évènements vont prendre une tournure tragique, ce qui va déclencher le programme Failsafe et l’activation d’une IA qui poursuivra inlassablement Batman pour l’éliminer définitivement. C’est à partir de cet instant que va s’amorcer le cœur de l’intrigue de ce volume. Chip Zdarsky va procurer aux lecteurs un récit hautement rythmé, bourrin et très addictif à suivre. En effet, l’auteur va plonger Batman dans un état d’alerte permanent, constamment menacé par les initiatives que va prendre Failsafe pour l’atteindre et ce, quelque soit les obstacles qui se dresseront sur sa route.
Pour l’aider, Batman sera accompagné de Robin, ici Tim Drake, avec qui il reformera son duo dynamique. Et qu’est ce que cela fait du bien de les voir coopérer ensemble et s’entraider. On retrouve un Robin plus réfléchi et tactique, ce qui donne lieu à des répliques pleines de bon sens par moment. S’inviteront également à la fête la Batfamily, ainsi qu’une grande partie de la Ligue des Justiciers, ce qui vous laisse imaginer le niveau de menace que représente Failsafe. Mais Chip Zdarsky ne va pas s’arrêter là car il va puiser dans l’historique des aventures Batman afin de déterrer de vieilles vérités qui parleront aux lecteurs plus familiers avec le Chevalier Noir.
DES INSPIRATIONS SÉLECTIVES
Batman Dark City est proposé en librairie comme une nouvelle série sur Batman, mais le fait que ce premier volume contienne les épisodes #125 à #130, démontre que ce n’est pas le cas. Enfin, pas vraiment. Pour celles et ceux qui n’ont pas aimé ou envie de lire le run de Tom King, qui se situe entre le #1 au #85 ou de James Tynion IV (#86 à #117), vous pouvez débuter avec ce premier volume de Batman Dark City. En effet, Chip Zdarsky ne retient aucun élément majeur de ses prédécesseurs, et minimise au maximum des faits évidents tels que la disparition d’Alfred, la richesse envolée de Bruce Wayne, sa relation avec Catwoman etc… Ceci est point positif pour le nouveau lecteur, même si cela fait un peu grincer les dents de balayer aussi facilement le travail des autres. Par ailleurs, les numéros sont jalonnés d’épisodes back-up avec une intrigue moyenne centrée sur Catwoman, et une intrigue sur l’origin story d’un personnage issu du passé de Batman.
En revanche, Chip Zdarsky a plus d’admiration pour des auteurs tels que Grant Morrison, Mark Waid ou encore Geoff Johns. On pourra reprocher sans aucun doute son manque de créativité, mais son talent sur l’agencement ou l’imbrication des différentes idées de ses pairs sont très bien pensées. On pourra donc retrouver le Batman de Zur-En-Arrh, apparu la première fois en 1958, mais c’est surtout la caractérisation faite par Grant Morrison qui est exploitée ici. Puis, vient le personnage d’OMAC pour définir le caractère de l’antagoniste, issu des travaux de Geoff Johns dans Infinite Crisis. Enfin, la base sur laquelle repose l’histoire est sans conteste l’arc de la Tour de Babel, écrit par Mark Waid. Toutes les 3 sont des histoires de qualité (en tout cas au dessus de la moyenne), d’envergure, de réflexion, et ont un point commun: la paranoïa de Batman.
BECAUSE I’M BATMAN
Batman est tellement paranoïaque, a tellement peur de basculer, que s’il devait faire en sorte qu’il soit neutralisé, il prévoirait non pas 3 coups à l’avance, mais une centaine. Il se démarque de ses alliés par son esprit qui le rend apte à faire face à toutes les situations possibles au point que cela peut être considéré comme néfaste pour la confiance des autres. A tort ou à raison, c’est selon le scénariste, les histoires de Batman, où ce dernier est le vainqueur improbable de situations impossibles, sont les raisons pour lesquelles on le surnomme parfois « Batgod » ou qu’on l’imagine dire sarcastiquement « Because I’m Batman » (Parce que je suis Batman). Et ce tome de Batman Dark City fait partie de cette catégorie, surtout (surtout) le numéro #130 qui est tout juste in-cro-yable.
Quant à la partie graphique, 3 dessinateurs se répartissent le gâteau de ce tome. Pour commencer, les numéros back-up sur l’intrigue de Catwoman et de Batman sont dessinés respectivement par Bélen Ortega et Leonardo Romero. Ces derniers fournissent un travail très correct, avec une petite mention pour Romero et son art qui font très âge d’argent. Enfin, il y a surtout Jorge Jimenez au dessin des 5 numéros de ce tome qui fournit un travail impeccable. Son style se marie parfaitement avec les scènes d’action, c’est ce qui les rend marquantes d’ailleurs. Depuis la reprise du run de Tom King sous la plume de James Tynion IV ou son implication dans la Justice League de Scott Snyder, Jorge Jimenez a plus que su dépasser les attentes sur le dessin.
Batman Dark City est un enième relaunch de la série principale Batman (2016). Le changement de scénariste n’est pas un réel frein pour la compréhension si vous débutez Batman ou si avez passé outre le run de Tom King ou de James Tynion IV. Par ce qu’il propose et réserve dans ses révélations, ce tome pourra convenir à tous les lecteurs. Sachez cependant qu’il s’agit d’un cocktail très orienté vers l’action, avec une bonne dose de « j’ai 15 coups d’avance sur toi », et une sacrée pincée de « Because I’m Batman« .
- Scénario: Chip Zdarsky
- Dessins: Jorge Jimenez
- Collection: DC Infinite
- Contenu: Batman #125-130 + back up Catwoman
- Pagination: 224 pages
- Prix: 21€
- Date de sortie: 24 février 2023
- Voir sur le site d’Urban Comics
Il est rassurant de penser que le protecteur de Gotham est un maître tacticien inébranlable ayant toujours dix coups d’avance sur ses ennemis. Mais, si c’était le cas, le crime à Gotham aurait été éradiqué il y a déjà bien longtemps. L’homme derrière le masque fascine car il n’est finalement qu’un simple mortel, et le propre de l’homme est d’être faillible. Tandis que les milliardaires les plus influents de Gotham se font assassiner les uns après les autres, Bruce Wayne broie du noir. Arrivera-t-il à s’extirper à temps de ses tourments personnels pour affronter une vieille connaissance et venir en aide à ceux qu’il s’est promis de protéger ?
Attention : critique avec spoilers :)
Batman Dark City : un event Justice League terriblement classique
Si l’on aurait pu s’attendre à un récit plus conventionnel centré sur Gotham City, la proposition de Chip Zdarsky lorgne plutôt vers l’action blockbusteresque d’un récit Justice League, convoquant divers héros face à une menace inarrêtable.
Cette approche a de quoi surprendre dans le cadre d’un début de run sur Batman, mais après-tout pourquoi pas !
Malheureusement, le récit se révèle très classique et globalement peu abouti.
La proposition est pourtant intéressante ! Celle-ci consiste en traiter la thématique du deuil, sujet quelque peu sérieux, par le biais d’un hommage aux vieux comics d’antan, au style bien plus fun.
Malheureusement, cette proposition échoue dans ses deux principaux traits : ses thématiques sont expédiées au profit de l’action, et l’approche stylistique « à l’ancienne » amène à un mélange de genres qui fonctionne assez mal (pour moi, tout du moins).
Les thématiques :
La thématique du deuil s’incarne dans l’antagoniste Failsafe, métaphore de l’obsession de Bruce pour sa mission, véritable refuge suicidaire né du deuil d’Alfred. Cette idée prend la forme d’un robot tueur obsessionnel et inarrêtable, dont la mission mettra à mal le DC Universe. Le tout est habilement lié à de brillants récits de la chauve-souris, passant du run de Grant Morrison à l’arc de La Tour de Babel de Mark Waid.
Mais si tout cela est réellement intéressant, l’application sur le papier se révèle peu ambitieuse. Le thème du deuil ne sera jamais développé au-delà des scènes d’action, au détriment de l’émotion (paradoxal pour un tel sujet…). De ce fait, les scènes d’émotion tombent régulièrement comme un cheveu sur la soupe et semblent excessivement forcées.
Le récit questionne également la fameuse règle de Batman, son refus de tuer. Un questionnement classique mais généralement efficace. Ici, cela prend la forme du Batman de Zur-En-Arrh, bonne conscience de Batman prête à tout pour le maintenir sur la bonne voie.
Mais une fois encore, tout cela reste très en surface. Bien que le personnage soit, à tort, accusé de meurtre, les conséquences de ce quiproquo n’iront jamais au-delà du robot tueur. Le lecteur sachant avec certitude qu’il s’agit d’une mise-en-scène, il aurait pu être intéressant d’explorer les doutes des autres personnages (voire même susciter des doutes chez le lecteur lui-même). Mais ce tragique évènement ne sera jamais plus mentionné une fois l’action démarrée.
Dans la même idée, la blessure par balle de Tim Drake se révélera n’être qu’une péripétie supplémentaire, d’une artificialité et d’une gratuité fatigantes.
Le récit se transforme vite en une succession de scènes d’action toujours plus extrêmes. Un schéma répétitif finit par se dessiner, jusqu’à ce que la métaphore de l’obsession finisse par perdre de sa pertinence pour se muter en un simple prétexte pour plus d’action.
L’auteur se lance dans des péripéties toujours plus sensationnelles, impliquant bientôt la Justice League en personne, dans le seul but de valoriser son super-vilain robotique. Un procédé trop artificiel pour que l’on y croit et, là encore, très répétitif. Cette astuce contribue moins à valoriser son méchant qu’à amoindrir les héros DC, sacrifiés sur l’autel d’un scénario catastrophe en quête de sensationnel. Une pensée émue pour ce pauvre Superman, ridiculisé à deux reprises pour les besoins d’un scénario fainéant.
Assez peu subtil, le récit plonge Gotham dans un énième chaos à l’issue de 3 chapitres seulement. Si la Joker War de Tynion vous avait semblée précoce après l’arc City of Bane de Tom King, le même sentiment de lassitude risque de vous atteindre. Zdarsky va cependant franchir les frontières de Gotham et prendre d’assaut le reste du monde. Cela sera expédié en quelques cases seulement, utilisant des raccourcis si grossiers que l’on peine à croire que l’univers terrestre de DC ait pu s’incliner face à un simple robot.
Le style :
Si les thématiques abordées sont inexploitées, l’approche très « à l’ancienne » du récit peine également à convaincre. Concepts farfelus, narrateur omniprésent, enjeux loufoques, Zdarsky reprend les traits caractéristiques de ces belles périodes d’antan. Si cette approche aurait pu être intéressante, elle se heurte malheureusement au décalage créé avec le thème traité. Le mélange peine à fonctionner car le récit se prend paradoxalement trop au sérieux pour que l’effet fonctionne et ne suscite autre chose que des rires gênés.
La narration de Batman verse systématiquement dans des discours mélodramatiques adolescents, si forcés qu’ils en deviennent comiques. Bon nombre de fois le récit aurait gagné à laisser les images parler d’elles-mêmes (l’occasion de rappeler que Jorge Jiménez fait un travail formidable !). Quelle que soit l’intention artistique à l’origine de ce choix de narration, il est important de rappeler que ce n’est pas parce qu’une idée est intentionnelle qu’elle est par définition réussie.
Le résultat prend la forme de scènes bien souvent ridicules, jamais mieux représentées que par le chapitre 130. Summum du ridicule, ce chapitre est probablement la proposition la plus embarrassante de ce tome. Si vous êtes réfractaire au style de Scott Snyder, ou si le Batman de Tom King faisant du rodéo sur un avion vous avait interloqué sous l’ère Rebirth, la lecture de ce chapitre risque de vous faire lever un sourcil.
Voilà une quête absurde de divertissement, une proposition qui laisse abasourdi, le rire gêné de trop, l’instant précis où mon amusement détaché s’est muté en un réel agacement.
Nous sommes certes dans un comic book, et il est toujours délicat de parler de « vraisemblance ». Mais comment être investi et croire aux enjeux de cette histoire lorsqu’une telle scène peut se produire sans conséquences ?
Si le récit avait dès le départ présenté sa note d’intention « loufoque », le contrat passé avec le lecteur aurait aisément légitimé une telle scène. Ce n’est malheureusement pas le cas ici, et nous voilà contraints d’observer le personnage faire une chute libre depuis la Lune pour atterrir sur Terre à pieds joints. Un Dimanche dans la vie de Batman.
L’hommage rendu à ces récits d’antan se perd donc dans un scénario classique, qu’il contribue à alourdir sans jamais n’y apporter de réelle plus-value. Nous pourrions croire à un discours sur la nostalgie, le regret d’un passé plus simple face à un présent endeuillé. Mais là encore il ne s’agit que d’un effet de style dont la profondeur est tout juste effleurée.
Il est toujours agréable de faire des références, mais il s’agirait tout de même de les faire avec pertinence.
En bref,
si vous étiez lassés des récits de Snyder, je pense devoir vous déconseiller ce volume. Nous retrouvons ici les mêmes tropes (menace mondiale, Batman omniscient, péripéties absurdes, des références à Morrison…). Mais si Snyder donnait le ton dès les premières pages de ses récits, conférant une cohérence globale à ses exubérances, les tonalités s’enchainent ici sans prévenir et peinent à se répondre.
Bien que le récit se cache derrière nombre de métaphores et de références pointues à l’historique du personnage, il n’en demeure pas moins un simple blockbuster bourré d’action et dépourvu de profondeur. Je suis généralement friand de ce type de récit, mais celui-ci ne fait malheureusement pas parti du haut du panier.
Rappelons néanmoins qu’il ne s’agit-là que d’un premier tome, la première pièce d’un run qu’il faudra juger dans son ensemble. La découverte de l’œuvre complète rendra peut-être caduc cette première analyse. Mais ce premier aperçu suscite bien peu d’intérêt pour le prochain tome.
Rappelons également que tout cela n’est qu’un avis personnel ! Il ne vaut pas mieux que d’autres !
Je suis ravis de savoir que d’autres ont apprécié ce récit ! Peut-être finirai-je moi aussi par l’apprécier ! Je suis ouvert à tout ! :)
Hello, merci pour ta critique ! N’hésite surtout pas à la partager sur la fiche du comics, je suis en train d’implémenter cette fonctionnalité sur le site : https://www.dcplanet.fr/comics/batman-dark-city-tome-1
Belle journée,
C’est chose faite, merci pour le lien !
Cependant je ne parviens pas à retrouver les fiches des comics sur le site.
Est-ce parce que cette fonctionnalité est encore en cours d’implémentation, ou est-ce juste moi qui ne suis pas foutu de cliquer où il faut ? x)
C’est bien parce que c’est en cours :)
Je suis en train de tout ajouter petit à petit !
[…] retrouvera par exemple pour les runs Batman et Detective Comics, chacun publiés sous les noms de "Batman Dark City" et "Batman Nocturne", il n'en sera pas de même pour d'autres […]