Review VF – Far Sector

Far Sector – Urban Comics – 29 euros

Scénario: N.K. Jemisin

Dessin: Jamal Campbell

Publié en 2021 en outre-atlantique, la maxi-série Far Sector de N.K. Jemisin débarque en ce mois de juin 2022 pour le plus grand bonheur des lecteurs de Green Lantern, mais pas seulement, car il peut très bien s’adresser aux amateurs de science-fiction. Constitué de 12 chapitres pour un total de 312 pages, Far Sector est une série qui a été positivement reçue par la critique professionnelle, et pas loin de décrocher l’Eisner Award en 2021 pour la catégorie Best Limited Series (le lauréat étant Superman’s Pal Jimmy Olsen par Matt Fraction et Steve Lieber). Mais on croise les doigts car la série est nominée aux Hugo Awards 2022 pour le titre de Best Story or Comic (résultats en septembre). Outre ces étiquettes, Far Sector est avant tout l’histoire d’une enquête menée par la nouvelle Green Lantern terrienne, une certaine Sojourner « Jo » Mullein. Cette dernière se voit débarquée sur une affaire bien singulière car en effet il s’agit du premier meurtre perpétué dans ce secteur depuis plusieurs siècles. Qui, quoi, comment, pourquoi seront autant de questions concernant les personnages rencontrés mais aussi le système de pouvoir mis en place que vous découvrirez au fil de votre lecture. Préparez-vous à un voyage autant extérieur qu’intérieur à travers les différentes thématiques qui y seront abordées.

BIENVENUE DANS LA CITÉ ÉTERNELLE DU FAR SECTOR

Commençons par la présentation des artistes à l’œuvre. Jamal Campbell est l’unique dessinateur de ce volume. Tant mieux car cela est toujours plus agréable de ne suivre qu’un seul style graphique. En plus de Far Sector, l’artiste a été récemment aperçu dans la série Naomi publié chez Urban Comics, mais a aussi fait un passage chez Marvel sur des titres que je vous laisse chercher. En ce qui concerne N.K. Jemisin, Far Sector est le premier comics qu’elle scénarise, mais cela est loin d’être sa première expérience dans l’écriture puisque qu’elle est à l’œuvre de plusieurs séries de romans (L’Héritage, Les Livres de la terre fracturée, Mass Effect Andromeda : Initiation) dont plusieurs ont reçu parmi les récompenses les plus prestigieuses dans le domaine de la littérature de science-fiction. En premier lieu, Far Sector nous narre l’histoire de Jo Mullein, la nouvelle Green Lantern terrienne qui est envoyée à l’autre bout de la galaxie dans un secteur dont nul ne sait vraiment s’il est sous la juridiction du Corps des Green Lanterns.

C’est dans la Cité Éternelle qu’elle atterrira, une zone artificielle composée d’une multitude de plateformes et abritant environ 20 milliards d’habitants issus de trois espèces différentes. Si la cité semble respirer l’utopie et la paix, c’est parce que les habitants se sont vus injecter un virus techno-organique afin de réfréner leurs émotions. Et malheureusement, la Green Lantern va devoir enquêter sur le premier meurtre commis en cinq siècles. Au cours de cette affaire, elle sera confrontée aux différentes fractures sociales et politiques qui se dressent sous la cité. Avec à sa tête un conseil conservateur constitué de membre représentant chaque espèce, le récit est aussi une histoire de pouvoir avec des visions opposées où baignent les secrets et les dangers. Enfin, petit mot concernant la ville. Avec son apparence très cosmopolite, celle-ci fait très penser à la ville de Rome d’autant plus qu’elles partagent le même surnom de Cité Éternelle, carrefour des différentes horizons politiques, religieuses ou philosophiques,

Quant à Jo Mullein, c’est une Green Lantern débutante car elle n’a hérité de l’anneau de pouvoir que quelques temps avant de partir en mission. Ses constructions sont perfectibles et si elle a le choix, elle préfère voyager en taxi plutôt que de voler. Malgré tout, c’est une femme qui possède une forte volonté, et heureusement, et n’hésite pas à écouter sa raison et son sens de la justice pour agir. Au fur et à mesure du récit, on en apprendra plus sur son passé, les évènements qui l’ont marquée et les valeurs qui comptent pour elle. Certes, le personnage étant américaine, l’actualité évoquera des faits qui vous seront moins familiers en terme de ressenti mais qui sont abordables pour tout le monde. On peut citer les thématiques de la fracture sociale avec la précarité, la misogynie au travail, l’éclatement du noyau familial; la peur et la haine avec le Centre d’internement de Manzanar ou la résurgence du mouvement Black Lives Matter contre le racisme systémique envers la communauté noire; mais aussi la violence de la guerre avec le 11 Septembre 2001 ou le conflit en Afghanistan durant la même année. Tout ceci font de Jo Mullein une témoin de notre monde, et sa mission une quête pour tenter de l’améliorer. Jemisin propose une histoire de science-fiction riche et complexe qui questionne et encourage l’érudition des lecteurs/lectrices pour en cerner toute la symbolique de certaines scènes.

UN LORE TRÈS INSPIRÉ

Nous avons vu que l’auteure utilise des faits historiques comme matériaux d’écriture, mais elle s’inspire également beaucoup de la pop-culture avec des inspirations tirées de médias autour des genres d’enquête et de science-fiction. Le modèle de la Cité Éternelle peut être calquée sur celui de la Citadelle dans la saga Mass Effect, lieu artificiel où se croise différentes espèces extra-terrestres, un conseil d’autorité suprême obtu composé aussi de trois membres, Green Lantern qui est comparable aux Spectres etc… Et si cela ne vous parle pas du tout, il y a encore les films avec la scène d’ouverture du premier chapitre de Far Sector qui se passe sous la pluie. Ce qui peut faire penser à Blade Runner (1985) ou encore Seven (1995). D’ailleurs, la « nature » du meurtre tourne autour du même thème. Et il y en a une multitude dans ce volume qu’il est préférable de vous laisser les découvrir par vous-même.

Et il n’y a pas que l’environnement qui est concerné. Si l’on considère que le protagoniste est bien souvent la personnification de l’auteur, alors N.K. Jemisin doit être aussi une certaine « nerd » dans son esprit. Et ce n’est pas une théorie gratuite car l’héroïne se l’avoue à elle-même, collectionne les figurines, et lit des fan-fictions. De plus, avec l’anneau de pouvoir, Jo Mullein dévoilera qu’elle est une grand fan des Wachowski et de James Cameron. Toujours autour des personnages, il y a un double sens de lecture quant au vocabulaire et aux verbes utilisés dans certains dialogues. Les personnages, dénués d’émotion vous vous souvenez, peuvent en révéler plus sur leur intention grâce au lexique émotionnel (exemple: « Je suis ravi de vous revoir ») sans que cela se détecte visuellement sur le dessin.

Avec cet amorçage, il est temps de terminer en évoquant la partie graphique et le travail de Jamal Campbell. C’est tout bonnement excellentissime. Responsable du dessin, de l’encrage et du coloriage, Campbell nous offre des pages non seulement riches en terme de rendu d’environnement (pluie, jour, nuit, intérieur, extérieur, lumière artificielle…), mais il parvient aussi à rendre ses personnages convaincants au niveau expression ou inexpression. Far Sector est une œuvre qui réussit à jouer avec les émotions tant avec le crayon du scénariste que le pinceau du dessinateur.

Far Sector n’est pas qu’un récit avec des thématiques atypiques, mais aussi un récit d’une qualité narrative dont on a rarement l’occasion de lire. Premièrement, parce que c’est un récit complet et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu 80 ans de Green Lantern pour tout comprendre. Deuxièmement, il conviendra autant aux lecteurs amateurs de ces héros couleur émeraude qu’aux lecteurs de science-fiction qui souhaitent une lecture riche, exigeante, le tout dosé à point. Enfin, c’est un volume qui parlera à tout le monde, au moins une fois grâce à ses multiples références culturelles et actuelles. Dans l’attente de revoir une nouvelle collaboration entre ces artistes dans de futurs projets, c’est une lecture qui mérite d’être lue au moins une fois.