Après un run mené de main de maître par Tom King, qui aura laissé son empreinte dans l’histoire de Batman, DC souhaitait tourner cette page pour se consacrer à d’autres projets. Autres projets certes, d’autant plus que Batman occupe une place plus que centrale dans l’intrigue Death Metal de Scott Snyder, l’homme qui détient la baguette de chef d’orchestre censé mettre un point final à l’ère DC Rebirth. Et même si cette série Batman, débutée en 2016, était encore digne d’intérêt, le personnage se doit de conserver un certain statut quo. Alors comment se défaire de ce dilemme et continuer à publier sans perturber la continuité actuelle ? Tout simplement en faisant appel à James Tynion IV, ami mais surtout ancien étudiant de Snyder, et sa proposition de l’arc intitulé Joker War ou la plus grande confrontation jamais réalisée entre le Chevalier Noir et le Clown prince du crime.
TEAM KING VS TEAM TYNION IV
Profitant de cette opportunité du changement de scénariste, Urban Comics a également décidé de revoir la numérotation de ses tomes en inscrivant non pas Joker War comme le treizième tome de Batman Rebirth, mais vraiment comme un nouveau numéro un. Un choix discutable car les chapitres reprennent à partir du #86, c’est-à-dire à la suite du travail de Tom King. Ainsi, si vous êtes un·e nouveau·elle lecteur·rice, vous pouvez techniquement commencer la lecture de Batman avec les tomes Batman Joker War.
L’histoire de James Tynion IV se situe dans la même continuité, mais ce dernier n’en a conservé que le strict minimum, notamment en ce qui concerne l’évolution de certains personnages. Ainsi, on retrouve un Batman plus consensuel, plus classique face à sa némésis de toujours. Tout porte à croire que l’on suivra un Batman poussé à bout dans sa psyché, voire brisé, et qui devra trouver une force intérieure pour se relever. Une formule qui ressemble fortement à celle de Tom King, sauf qu’au lieu de la développer en 85 numéros, James Tynion IV le fera en une quinzaine à peine.
LES PRÉMICES D’UNE NOUVELLE GUERRE
Le premier tome de Joker War est ce qu’on appellerait un tome de pure exposition. Beaucoup de protagonistes sont introduits, dont la plupart sont des personnages très secondaires. Parmi les alliés, on a bien entendu Catwoman dont la caractérisation tranche complètement avec celle dépeinte par Tom King, ce qui en fait un personnage minimaliste. Lucius Fox aussi est de la partie comme remplaçant d’Alfred pour ce qui est des stratégie à distance. Du côté des vilains, on découvre une sorte d’escouade dirigée par Deathstroke, puis l’apparition d’un mystérieux ennemi, le Designer. Tout ce petit monde est plus ou moins développé à travers de courtes séquences ou de chapitres entiers, ce qui explique la grosse épaisseur de ce volume.
Quant au Joker, même s’il apparait dans plusieurs scènes, il n’est jamais vraiment actif, laissant toute la basse besogne à sa nouvelle acolyte, Punchline. Cette dernière est la seule vraie touche de nouveauté apportée par James Tynion IV. Véritable psychopathe, ses motivations restent floues jusqu’à la scène des révélations, lorsque son chemin croisera celui d’une certaine Harley Quinn. On assiste ainsi à une confrontation entre celle qui a su s’émanciper du Joker et celle qui a embrassé à bras-le-corps sa folie. Les deux camps qui s’affrontent passent beaucoup de temps à s’analyser et à mettre en place ses trois quatre cinq coups d’avance par rapport à l’autre. Mise à part cela, ce volume n’offre rien de bien marquant, les péripéties s’enchaînent sans qu’il y ait de véritables conséquences avant la toute fin du tome.
GOTHAM’S AMERICAN NIGHTMARE
Après un tome qui prenait plus le parti d’introduire ses pions, c’est dans le deuxième que la vraie partie d’échec commence. On est vraiment plongé dans une ambiance de guerre, à l’échelle de la ville de Gotham bien sûr. Et pour mieux se rendre compte du chaos qui y règne, le scénariste nous plonge dans plusieurs points du vue : celui du front, des renforts, des sbires et même celui d’un individu indépendant, le Clownhunter, s’occupant d’une façon bien à lui des sbires du Joker. De plus, Punchline a enfin droit à une ou deux scènes qui la mettent bien mieux au premier plan après son introduction timide du premier tome. Pour le coup, ce tome nous plonge enfin dans LA Joker War, qui rappelle plusieurs aspects du film The Dark Knight Rises avec une certaine dose de destruction façon Demolition Man.
Si le premier tome y allait doucement avec les références des épreuves antérieures qu’a connu le Chevalier Noir, ce deuxième ne s’en prive pas du tout. Et d’ailleurs, certaines d’entre-elles pourraient même faire allusion à d’autres séries. Tout d’abord, la visite du Joker dans la cellule de Bane qui vient lui dire ses quatre vérités sur la façon dont il a échoué à briser Batman. Une séquence osée et à peine dissimulée dont on se demande si elle ne reflète pas l’avis de James Tynion IV à propos du travail de son prédécesseur. Car oui, le scénariste déconstruit Batman pour le rendre plus accessible et plaire au grand public. Vous avez aimé Killing Joke ? Une citation presque mot pour mot de la « mauvaise journée » y est présente. Vous suiviez la série animée The Batman de 2004 ? Alors le climax de ce deuxième tome doit forcément vous faire penser à un certain épisode. Et tout ceci sans oublier les poses à la Power Rangers, le côté zombie du film du même nom ou encore le look très Madmax du Clownhunter.
Pour finir, quelques mots sur les dessins car il y a de nombreux artistes qui se partagent la tâche. On se souvient tous des épisodes du Batman de Tom King où l’auteur justifiait son panel de dessinateurs avec la variété des thématiques des arcs. Dans le cas de James Tynion IV, ce n’est pas le cas. Même si cela ne change rien à la trame principale, il est toujours plus appréciable de lire une histoire avec la même qualité graphique à chaque chapitre. D’autant plus que c’est l’occasion d’admirer l’incroyable prestation de Jorge Jimenez. Rien que pour la beauté des planches, ce tome mérite notre attention.
Avec un premier tome qui prenait le temps d’installer son ambiance, c’est avec le deuxième qu’on a droit au grand spectacle. Véritable défouloir assumé, l’intrigue de Joker War réussit parfaitement à répondre au cahier des charges en proposant un histoire simple avec des personnages pour qui on a peu de doute quant à leurs intentions. Cette série plaira probablement beaucoup aux lecteurs qui veulent s’initier au personnage. D’autre part, elle pourra même satisfaire ceux qui ont été peu séduits par le travail du scénariste précédent, Tom King. Reste à savoir si le troisième tome sera du même acabit ou bien se permettra de proposer quelque chose de plus inattendu pour la conclusion de la série.