Review VO – Superman Red & Blue #1

Cette semaine est arrivée la nouvelle série anthologique dédiée à Superman. Nommée Red & Blue, celle-ci nous propose de revenir sur différents aspects du héros à travers des équipes créatives ne pouvant utiliser que les couleurs rouge et bleue. Un challenge qui peut tout aussi bien être considéré comme une limite que comme un bénéfice selon l’équipe artistique. Dans quel cas de figure se trouve Superman Red & Blue #1 ? Que raconte-t-il ? Voyons cela ensemble.

En rouge et bleu

Si l’on a choisi le rouge et le bleu, c’est évidemment parce qu’il s’agit là des couleurs essentielles du costume de Superman. Choisir de ne raconter des histoires qu’à travers ces deux couleurs, c’est amplifier leur importance et leur symbolisme, mais c’est aussi vouloir remettre le héros au cœur du propos, revenir à quelque chose de fondamental, de primaire, mais pas de simpliste pour autant. C’est là tout le propos du récit Human Colors de Dan Watters et Dani, qui dépeignent un monde dépouillé de ses couleurs où tout est plus calme mais aussi plus simple, où l’on voit littéralement la vie en noir et blanc.

Comparés aux maux renfermés dans la boîte de Pandore, les couleurs se voient attribuées un certain pouvoir, celui d’enrichir l’expérience humaine mais aussi de la nuancer, et ainsi de la complexifier. Après un temps de réflexion, Superman choisit alors de redonner au monde ses couleurs de façon progressive, en commençant par celles qui lui paraissent essentielles : le rouge pour la passion au sens large, et le bleu pour la tristesse et la vie. Si on aurait aimé que Dan Watters aille plus loin dans son propos, il propose là un numéro malin et plein de poésie que l’on aurait parfaitement imaginé en introduction de ce numéro.

Au delà de cette symbolique communément associée à ces deux couleurs, chaque récit aura sa propre façon de les utiliser. En premier lieu, on retrouve une notion d’opposition entre elles : le calme et la violence, le présent et le passé, l’occident et l’orient. Selon l’équipe artistique, ces deux couleurs peuvent autant servir un rôle de remplissage que d’encrage, prouvant qu’elles suffisent à dépeindre un récit et lui conférer une forte identité graphique. Bien qu’elles ne soient qu’au nombre de deux, celles-ci peuvent se nuancer en teintes et en styles pour former une large palette avec laquelle jouer et délivrer des émotions différentes.

Un exemple imparfait

Dans The School of Hard Knock-Knock Jokes, Marguerite Bennett et Jill Thompson choisissent de dépeindre un jeune Clark Kent qui tend la main à une camarade isolée, ce qui aura pour effet d’inspirer les autres à cesser de la marginaliser. Tout en étant très feel-good, le récit ne manque pas de mettre à l’épreuve son protagoniste, qui craint de devenir lui-même un outsider, pour mieux mettre en avant ses valeurs et son exemplarité. Le plus grand des pouvoirs de Superman ne vient pas de son ADN mais bien de son éducation, de sa bienveillance et sa capacité à nous inspirer à faire le bon choix.

C’est une notion que l’on retrouve tout à fait dans The Measure of Hope de Brandon Easton, Steve Lieber et Ron Chan, un récit qui n’épargne pourtant pas le héros. Tandis qu’on le voit s’occuper d’un super-vilain qui terrasse Metropolis, Superman est dépeint ici comme impuissant face aux « vrais problèmes » tels que la drogue, dans un esprit similaire à celui de Neal Adams dans son Green Arrow/Green Lantern. L’auteur engage ici la notion de responsabilité : est-ce vraiment celle de Superman ? Quand bien même le héros a un devoir envers l’humanité, il ne peut en aucune manière nous enlever notre propre responsabilité envers nous-mêmes, même si le monde aimerait lui faire porter. D’une certaine façon, Superman est presque « inutile » dans ce cas de figure si ce n’est pour l’espoir qu’il peut susciter en nous, ce qui est montré comme un cadeau déjà bien suffisant.

D’une autre façon, le héros est également mis à mal dans The Boy who saved Superman de Wes Craig. Ici, le schéma est inversé : l’homme d’acier n’est plus le sauveur mais le sauvé. Rendu complètement inconscient au cours d’une bataille qui menace de détruire la ville, il se fait alors traîner par un jeune garçon immigré prêt à tout pour empêcher sa nouvelle maison de connaître le même sort que la précédente (rappelant le statut de Kal-El lui-même). Cette fois-ci, c’est Superman qui est inspiré par tant de combativité, décrivant le jeune garçon comme « son héros ». Si le récit est touchant, voir Clark réduit à l’état de boulet n’est clairement pas ce qu’on a envie de voir, d’autant plus dans une série censée le célébrer.

Dans le cœur de Superman

Bien que le récit sans nom de John Ridley, Clayton Henry et Jordie Bellaire soit positionné en premier dans ce Superman Red & Blue #1, on garde ici le meilleur pour la fin. A l’instar de ce qu’il avait déjà fait dans The Other History of the DC Universe #1, Ridley nous propose ici une relecture du passé, et plus précisément d’un arc contenu dans World’s Finest #192-193, deux numéros datant de 1970. Superman intervenait alors illégalement dans la nation fictionnelle de Lubania où il fut capturé et torturé avant de parvenir à s’échapper. Ici, Clark y revient des décennies plus tard pour faire face au tortionnaire dont le souvenir le hante encore aujourd’hui.

Si l’arc original traitait bien de sujets aussi sérieux que les camps de prisonniers (rappelant dans le même temps les origines de Superman), il le faisait d’une façon relativement innocente où la torture était procurée à coups de trampolines et ne laissait pas de séquelle sur ses personnages. Ici, Ridley propose une vision plus actuelle où de tels sévices ont véritablement marqués psychologiquement Clark, mais aussi plus politisée. Le personnage est aujourd’hui plus conscient de ses limites politiques et du contexte de Lubania, ancien bastion soviétique devenu aujourd’hui un modèle de capitalisme.

Grâce à cette relecture, Ridley donne une seconde vie à un ancien récit qui tenait alors de la simple aventure épisodique, mais qui revêt maintenant une certaine importance pour Clark. En puisant dans le long historique de batailles du héros, l’auteur parvient à le fragiliser presque naturellement pour nous livrer une introspection pleine de vulnérabilité, de doute et de remise en question. Ici, on ne se concentre pas tant sur le symbole que sur l’être, l’humain, ce qui est particulièrement appréciable avec ce personnage qui n’est pas nécessairement facile à écrire. Loin de s’abandonner au cynisme qui lui traverse pourtant l’esprit, Superman bénéficie de cette fissure psychologique pour mieux briller et nous rappeler pourquoi il est si inspirant : peu importe les conséquences (ou leur manque), il se sentira toujours concerné et agira.

Superman Red & Blue #1 se révèle être une très bonne surprise tant la qualité et la diversité y sont présentes. Les deux couleurs éponymes sont globalement utilisées avec intelligence et beauté, et chaque récit se veut présenter un aspect important du personnage sans pour autant le ménager. On espère donc que les prochains numéros poursuivront sur cette belle lancée !