Review VF – Joker : Killer Smile

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Le Joker est un personnage omniprésent dans la culture populaire actuelle. Entre ses différentes adaptations cinématographiques récentes et les rééditions de ses apparitions comics les plus célèbres, chacun a pu livrer sa propre version du clown de Gotham City. C’est au tour de Jeff Lemire de s’y confronter avec une série en quatre numéros éditée sous la bannière Black Label. Que vaut cette énième adaptation ? Voyons cela ensemble.

La forme au service du fond

Avant d’évoquer le fond, parlons de la forme. Les éditions Black Label originales sont facilement reconnaissables par leur format différent des comics habituels. En effet, les pages sont plus larges qu’à l’accoutumée, plus proche d’un format magazine. Cela pose deux problèmes majeurs. Déjà, impossible de ranger Joker : Killer Smile dans sa bibliothèque proprement (si ce n’est aux côtés de Batman Damned que vous avez dû acheter par erreur au vu de sa qualité). Mais plus important encore, les appareils numériques ne sont absolument pas adaptés à ce format. Cela dit, ce format a le net avantage de fournir aux artistes un terrain d’expression bien plus large. Et Andrea Sorrentino est exemplaire. Plutôt que de multiplier le nombre de case par page, il agrandit ces dernières pour une impression de démesure vraiment agréable. Et là où l’artiste excelle, c’est dans les dessins et la mise en page qui changent au cours du récit pour s’adapter parfaitement au scénario. Trois styles distincts pour les trois mondes différents du récit. Les couleurs, toujours minimales, sont réellement percutantes.

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Ces différents mondes, parlons-en. Joker : Killer Smile parle de la folie. De ce monde intérieur que chacun se crée, indépendant du monde extérieur. Et pour cela, Lemire a eu la très bonne idée de rendre le monde extérieur incroyablement réaliste. L’asile d’Arkham n’est plus ce manoir lugubre avec ses grilles en métal et ses inspirations gothiques. Il ressemble extérieurement à n’importe quel hôpital d’une grande métropole, moderne et froid. Et, intérieurement, à n’importe quelle prison avec ses cellules et sa cour intérieure. Dans ce contexte, on va alors suivre le docteur Ben Arnell, psychiatre, décidé à soigner le Joker de sa folie. Les influences sont multiples. On pense avant tout au Silence des agneaux, on pense à Seven mais il n’y a pas que ça. Les auteurs jouent avec les codes horrifiques instaurés ces dernières décennies dans la culture populaire, le tout au service d’un seul but : la caractérisation du personnage central, le Joker.

Un hommage au cinéma

Joker : Killer Smile est avant tout pensé comme un thriller psychologique. Avec son lot de retournements de situation et autres flous sur la frontière entre bien et mal. En effet, la vie de Ben, le protagoniste principal, change au fur et à mesure des pages. La réalité et la fiction s’entrechoquent, pour lui comme pour le lecteur. La folie laisse place au quotidien bien huilé de sa vie de famille. Les deux mondes s’entrechoquent pour un résultat bien au-delà des dualités classiques de comics. Jeff Lemire joue avec les différents plans d’existence, avec différentes temporalités, à la manière d’un Shutter Island. Comme dans le film de Scorsese, chaque figure est là pour mettre le doigt sur une facette particulière du héros. Ben Arnell devient alors, au cours du récit, un miroir du Joker. Un homme prêt à tout pour sa mission, aider les autres, indépendamment de ce qu’en pense le monde extérieur.

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Dans la totalité de l’histoire, le Joker n’est absolument pas ce fou imprévisible que l’on connaît habituellement. Au contraire. Il est ici la forme d’autorité la plus mesurée et la plus sécuritaire. La personne à laquelle se raccrocher quand tout ne tourne plus rond. Enfermé derrière sa vitre, tel Hannibal Lecter, ses paroles et ses actes ont bien plus d’impact que lorsqu’il est libre de fracasser tout ce qui bouge. La violence est très peu utilisée et n’est jamais gratuite. Elle ne fait que répondre à la violence des autres.

La folie comme énergie créatrice

Mais il ne faut pas s’y tromper, Jeff Lemire n’en fait pas non plus un héros. Le personnage est manipulateur. Au point de corrompre un enfant à devenir comme lui, à travers l’histoire de M. Sourire. En plus d’être un exercice intéressant pour Sorrentino et pour la narration, ce conte pour enfant est avant tout lourd de sens. Il représente l’histoire du Joker racontée par lui-même. Et quoi d’autre qu’un conte pour cela ? Cette histoire parallèle, colorée et mignonne, bien qu’intégrée parfaitement au récit, dénote avec le reste, sombre et cru. Cela renforce le côté dérangeant de cette incursion, et son message. On a le point de vue du Joker sur sa condition. Selon lui (et Lemire donc), ce n’est pas lui, le fou, mais les autres. Comme ce Batman grincheux qui veut détruire tout ce qui rend les gens joyeux. Au final, qu’est-ce que la folie sinon une vision différente de la réalité ?

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De cette façon, tout semble prendre un sens supplémentaire. Au début du récit, le Joker nous dit que son seul but, c’est de créer la beauté, de donner le sourire au plus de monde possible. Et c’est la même chose pour Ben qui veut soigner cet homme pour rendre le monde meilleur. Les deux protagonistes ressemblent étrangement à des avatars de Jeff Lemire, lui-même mari et père d’un jeune fils, qui crée à longueur de journée des mondes imaginaires qui prennent vie sous les yeux de milliers de lecteurs.

L’art est-il alors une forme de folie ? la folie, une forme de beauté ? Joker : Killer Smile ne donne jamais les réponses, mais nous offre une multitude de pistes pour explorer toutes ces problématiques.

Joker : Killer Smile est avant tout un thriller psychologue inspiré par et digne représentant d’une frange de la culture cinématographique des dernières décennies. Avec une histoire bien construite, une narration fluide et haletante, des dessins et une composition impressionnants et une représentation originale du monde si réglé des comics. La folie est le point central de cette trame centrée sur le Joker et qui va nettement plus loin. Parlant de folie, de beauté, de point de vue, ce récit devrait vous transmettre de nombreuses émotions puissantes tout en vous donnant des clés supplémentaires à l’interprétation personnelle de cet univers, pour voir ce monde à travers votre propre imaginaire. Et rassurez-vous, la folie est en chacun de nous.

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Élevé à grands coups de séries animées et de films de super-héros, c’est avec The Dark Knight de Nolan qu’il a vraiment commencé à s’intéresser aux comics. D’abord attiré par Batman et son entourage puis par l’univers DC tout entier, il est aujourd’hui intéressé par tout ce qui se fait chez les autres éditeurs (excepté Marvel, cette entreprise démoniaque qui peine à le captiver). Amateur de musique étrange et clown à ses heures perdues, il est ici pour partager avec vous sa passion pour un éditeur de bande dessinée américaine qu’il aime énormément.
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Titouan Chaumard
Invité
Titouan Chaumard
3 années il y a

Je ne suis malheureusement pas d’accord avec cette analyse, qui ne tient pas compte du reste des publications DC sur ce personnage.
Dans les faits, ça fait des années que DC essaye de capitaliser au maximum sur le Joker, qui est un de ses personnages les plus populaires, et, du coup, les plus vendeurs.
Le problème, c’est qu’il y a plein de règles tacites pour écrire un bon Joker, à savoir : ne pas lui donner d’origin story, ne pas rentrer dans sa tête et donc ne pas utiliser de case de pensée, ect.
Du coup, la formule magique que tous les auteurs ont trouvé, c’est d’utiliser un narrateur extérieur sans histoire qui, en se rapprochant de plus en plus du Joker, va sombrer dans la folie.
Que ce soit un des hommes de main du Joker, comme Johnny Johnny Frost dans « Joker » d’Azzarello, ou plus récemment dans le Year of the Villain: Joker de Carpenter ;
Ou bien le psy du Joker, comme par exemple dans Mad Love de Dini, histoire reprise dans Harleen plus tôt dans l’année. Ou bien dans Killer Smile.
C’est donc une histoire réchauffée, qui ne prend aucun risque et applique toujours la bonne vieille recette. On a dû mal à s’attacher à Ben, qui ne fait que se précipiter vers son destin, et on sort donc du récit, ce qui est dommage pour une histoire qui se veut psychologique et immersive. C’est d’autant plus dommage que Killer Smile et Harleen ont été écrits et dessinés à la même période, et sortent en France avec très peu d’intervalle, alors qu’ils racontent dans le fond la même histoire.
Alors on a compris que le Joker était la folie incarnée et que son contact pervertissait, mais il y a des dizaines d’histoires à écrire sur ce personnage et il serait donc temps de changer de disque.

Nathanaël Faltot
Nathanaël Faltot
3 années il y a
Répondre à  Titouan Chaumard

Bonsoir ! Je suis entièrement d’accord avec vous, mais objectivement Killer Smile reste un très bon récit. Les mauvais choix éditoriaux de DC n’en font pas un mauvais comics. Mais entièrement d’accord, c’est toujours la même sauce. Une bonne sauce mais au bout de plusieurs années, on peut se lasser du goût.

Brutal Destr0y333r
Brutal Destr0y333r
3 années il y a
Répondre à  Titouan Chaumard

« C’est donc une histoire réchauffée, qui ne prend aucun risque et applique toujours la bonne vieille recette. »
La vache merci ! J’avais peur d’être le seul. tout le monde semble encensé ce récit comme un nouveau chef d’oeuvre alors qu’il se range parmis les récits plus classiques qui soit tout ne ayant moins de maîtrise puisque tout va 3 fois trop vite pour qu’on s’accroche à ce qu’il s’y passe.
J’ai passé une bonne lecture mais vraiment rien de transcendant.
Toutes les pistes un peu originales sont noyées dans le rythme.

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