Quelques mois après avoir conclu son Doomsday Clock, le grand Geoff Johns nous revient avec un nouveau récit évènement qui a, lui aussi, su se faire attendre. Three Jokers est en effet l’aboutissement d’une intrigue lancée avant-même Rebirth, lors de l’arc Darkseid War de la série Justice League. Comme à l’époque, l’auteur s’accompagne de l’artiste Jason Fabok, qui se fait plus que rare ces dernières années. Tous les éléments sont donc réunis pour marquer à nouveau les esprits. Pari réussi ?
Three Jokers, three traumas
L’histoire commence alors que Batman, grièvement blessé, retourne à la Batcave se faire « réparer » par le fidèle Alfred. L’occasion de faire un tour des nombreuses cicatrices qui ornent le corps meurtri (et plus massif que jamais sous le crayon de Jason Fabok) du Chevalier Noir, et dans le même temps, revenir sur de nombreuses années à combattre le crime dans les rues de Gotham. Le constat est physique, superficiel, mais se veut révélateur d’un esprit tout aussi mutilé, et pourtant inébranlable, stoïque.
Three Jokers affirme ainsi d’entrée de jeu, sans détour, sa volonté première : dans ce récit, il est question de traumatisme, des marques indélébiles laissées par cette lutte sans fin. Parmi celles-ci, les plus nombreuses viennent de la main du Joker, l’ennemi de toujours, qui peut se vanter de laisser également les plus profondes, celles qui marquent l’âme d’un fer brûlant. Geoff Johns l’a compris, pour Bruce il ne s’agit pas tant de ce qu’il subit directement, mais à l’image de l’éternel traumatisme de son enfance, des êtres aimés. Ici, des victimes collatérales frappées pour mieux le toucher : Barbara Gordon et Jason Todd.
We need to talk about Jason
Tour à tour, chacun a droit à sa petite introspection silencieuse illustrée par Jason Fabok. Dans un hommage complètement assumé à The Killing Joke, l’origine du trauma de chacun est rappelée à travers des cases ne comptant que la couleur rouge, mais sans pour autant reprendre le jeu de miroir effectué par Brian Bolland à chaque transition présent-passé (et inversement). De par ce constat et un sentiment inévitable de déjà-vu, ces séquences perdent de leur saveur et semble révélatrices d’un manque d’astuce de la part de Fabok dans sa composition des pages, sa structure de la narration (bien qu’on retrouve de chouette idées). En vérité, l’artiste s’accomplit davantage quand il s’agit de dessiner du Silver Age dans des planches magnifiées par les extraordinaires couleurs de Brad Anderson.
Geoff Johns est capable de mieux
S’attendre à une œuvre s’inscrivant dans la veine de l’excellent Doomsday Clock serait une erreur à bien des égards. Que ce soit le nombre de numéros (trois ici contre douze pour DDC) ou le choix de l’artiste, les volontés sont forcément très différentes. Seulement voilà, Geoff Johns nous a habitué pendant deux ans à son plus haut niveau et semblait promettre une réitération de cet exploit dans Three Jokers, ce qui n’est pas le cas. Bien que ce premier numéro reste de très bonne facture, il apparaît comme plus commun que ce qu’on aurait été en droit d’attendre. Si le dernier tiers du récit ne manque pas de surprise, la construction du chemin y menant manque de surprise. Les ficelles sont trop visibles.
Il faut dire que le postulat de Three Jokers n’est pas des plus faciles et interrogeait, à juste titre, dès son annonce en 2016. Que faire avec cette histoire de triple Joker ? Lors de ses quelques interviews, Geoff Johns annonçait écrire une œuvre très intimiste, où la duplicité des Jokers irait de paire avec le traumatisme des membres de la Bat-family. Si la promesse est très globalement tenue, les premiers éléments de réponse au mystère sont relativement décevants dans le sens où tout est jusqu’ici très (trop) concret et littéral.
L’utilisation même des Jokers en tant que groupe manque de puissance, bien que chacun se veut refléter un aspect très intéressant du personnage. On note aussi une introspection du Bat-casting restant trop en surface et peinant à apporter une réflexion nouvelle. Johns finit néanmoins le numéro avec une piste intéressante, à condition que Three Jokers se donne les moyens de décoller.
En réalité, il est difficile de juger ce Three Jokers #1 en tant que tel. Le numéro a beau décevoir à certains égards, on comprend assez aisément qu’il fait partie d’un tout dont la force ne se dégagera complètement qu’une fois unifiée. Ce récit signé Johns/Fabok/Anderson reste quoi qu’il en soit de bonne qualité, et les reproches lui étant adressés le sont surtout vis-à-vis du potentiel qu’on connait du trio et qu’on estime de cette histoire.
Un second avis, c’est bien aussi
Sans un mot, Jason Fabok montre dès les premières pages la place du Joker dans la vie de Batman. Avec Geoff Johns, ils traitent ensemble du traumatisme dont il est la cause, d’une manière parfois similaire à Tom King et Clay Mann, en plus subtil. Ce numéro est tout ce que j’en attendais : une explication rationnelle aux phases du Clown, des dessins froids et pesants (on reste sur du gaufrier) et une opposition entre Batgirl et Red Hood.
Barbara apprend encore à vivre avec son traumatisme en tentant d’en faire une motivation à l’image de Batman, tandis que Jason essaie de s’en libérer et le transforme en rage meurtrière. Le pire est que les Jokers n’ont aucune estime pour eux, ils ne sont là que pour faire souffrir Bruce (bien sobre dans ce premier numéro), ce qui fait du plus gros défaut de Killing Joke un élément scénaristique évident mais efficace, et une occasion en or pour un final qui relance tout. Les hommages à la vie du Joker à travers 80 ans de crime sont légion, Johns a bien bossé son sujet et c’en est que plus agréable pour les fans. Pour un premier acte, c’est du très bon travail selon moi.
– Sledgy7