Dennis O’Neil : l’auteur dont Batman avait besoin

Si quelqu’un me demandait mon scénariste de comics préféré, quelques noms me viennent en tête, mais le premier d’entre eux sera probablement Dennis O’Neil. Ce grand homme n’est plus parmi nous, et il est temps de parler de sa carrière et lui rendre hommage.

L’origin story

Denny s’est retrouvé dans l’industrie du comics sans trop le chercher. Sorti de l’université de St Louis où il étudia la littérature anglaise, l’écriture d’invention (creative writing) et la philosophie, il rejoint la US Navy et participe même au blocage de Cuba pendant la fameuse crise de 1962. Il la quitta plus tard et se mit à travailler sur une colonne bi-hebdomadaire dans un journal local destinée à un jeune public. Il en profita pour parler du renouveau de l’industrie du comic book dans une série d’articles, ce qui attira l’attention de Roy Thomas.

Ce dernier venait de quitter DC pour rejoindre Marvel et suggéra à Dennis O’Neil de lui aussi passer le test d’écriture de Stan Lee. Ce test consistait à écrire les dialogues de 4 pages provenant de Fantastic Four Annual #2 de Jack Kirby. O’Neil ne voyait ça que comme un jeu et remplit les bulles lorsqu’il avait quelques heures devant lui un mardi après-midi plutôt que de faire ses mots croisés, mais il fut engagé.

Il se mit à écrire sur Doctor Strange avec Steve Ditko, puis Rawhide Kid ou Millie the Model. Il s’occupa également de faire revenir Charles Xavier dans X-Men #65, aux côtés d’un artiste qui marquera sa carrière : Neal Adams. Marvel n’ayant que peu d’opportunités pour lui, il se dirigea vers Charlton Comics où il commença avec un pseudonyme : Sergius O’Shaugnessy. Là-bas, Dick Giordano lui offrir du travail pendant un an sur divers titres comme Thunderbolt. C’est là qu’arrive DC Comics.

La révolution de Green Arrow

Dennis O'Neil

Ce même Giordano devient éditeur chez DC en 1968 et embarque avec lui quelques créateurs dont notre cher Denny. Ce groupe très différent des employés de DC va pas mal changer les choses. O’Neil a pour mission de revitaliser toutes les séries qu’on lui donne, et l’auteur en profitera pour ajouter une profondeur sociale ou politique qui manque cruellement à tous ces personnages. Après avoir écrit sur le nouveau personnage de Jack Kirby, le Creeper, il s’attaque à Wonder Woman et Justice League of America. Bon, on passera vite sur sa version de l’Amazone sans pouvoir et sans…les Amazones, une erreur qu’il a reconnu bien volontiers.

C’est dans l’autre série qu’il réussit à développer ses thèmes sociaux et qu’il pose les premières pierres de ce qui le rendra célèbre. Dans un numéro de Brave and the Bold, il écrit avec Neal Adams un Green Arrow comme un héros urbain et engagé, sans sa célébrité ni sa fortune. Tout ça amènera à l’un des meilleurs runs des années 60/70, Green Lantern/Green Arrow (dont je vous parlais dans notre soutien au mouvement Black Lives Matter). C’est aussi dans cette envie de parler de problèmes de société qu’il écrit le fameux numéro où Speedy est accro à l’héroïne.

The Batman

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Et voilà le gros morceau. Comme je l’ai dit dans l’annonce de son décès, si vous aimez le Batman moderne, c’est en grande partie grâce à ce bonhomme. Il changera à jamais ce personnage avec qui il partage sa date d’anniversaire (étant né le 3 mai 1939) comme un coup du destin. Avec son éditeur Julius Schwartz et son compère et artiste Neal Adams, le trio cherche à redynamiser les aventures du Chevalier Noir. La série TV est terminée, on rentre dans les années 70, la décennie où les Américains se regardent dans un miroir, et on ne veut plus d’un justicier kitsch qui combat des menaces bidons comme des extra-terrestres ou des vilains au concept loufoque (bien que le Silver Age a ses charmes, attention).

Alors, on fait en sorte que Robin, symbole de légèreté dans le monde de Batman, se casse à l’université en laissant Bruce tout penaud et on en profite pour le réécrire comme dans ses premiers numéros. On retrouve alors un héros torturé par le meurtre de ses parents, avec beaucoup de réflexion et des messages également plus sociaux. Tout ça était aussi permis par une évolution de la mise en page des comics, Adams pouvant dramatiser la narration comme il le souhaite.

Pendant leur run, les histoires sont plus sérieuses et sombres. Batman joue sur la peur à nouveau, son costume change, sa Batmobile aussi, tout le monde l’appelle « The Batman » (wink wink) et ils ramènent alors deux vilains un peu oubliés dans les comics : Two-Face et le Joker. Ce dernier n’est plus qu’un farceur original, il reprend sa caractérisation du Golden Age et l’auteur l’exacerbe pour le faire devenir le psychopathe que tout le monde connaît aujourd’hui dans Batman #251, la célèbre histoire « The Joker’s Five-Way Revenge« . Le duo crée aussi Ra’s Al Ghul et sa fille Talia dans plusieurs histoires d’une tragédie jamais vue dans les récits du Dark Knight.

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Toujours dans l’optique d’apporter des thèmes sociaux, Giordano et lui créent Leslie Thompkins, qui tente de sauver les jeunes en péril dans Crime Alley plutôt que de les tabasser. Dennis O’Neil aura donc vraiment changé la donne dans cet univers, mais pour lui, tous ces traits étaient déjà cachés dans les histoires de Bill Finger et qu’il n’a fait que les souligner.

Un Superman pas si super

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Cette envie d’engager et approfondir ses personnages a de fortes chances d’avoir été influencée par les histoires de Stan Lee et Jack Kirby chez Marvel. Le changement est très bien passé avec Green Arrow et Batman, très urbain, mais la pilule passe moins bien quand O’Neil s’attaque à Superman. Le récit « Sandman Saga » célèbre pour cette cover « Kryptonite Nevermore » voit le Man of Steel lui aussi bien changé. Fini les absurdités du Silver Age, Jimmy Olsen et Lois Lane qui font n’importe quoi ou Comet le super-cheval qui veut se farcir Supergirl, mais fini aussi la Kryptonite.

O’Neil enlève à Superman sa plus grande faiblesse. Toute la Kryptonite sur Terre est détruite, mais il compte également réduire ses pouvoirs drastiquement pour le rendre plus humain. Clark ne travaille plus au Daily Planet, mais à la télévision. Bref, on essaie de le rendre plus urbain lui aussi, mais la sauce ne prend pas et ne durera pas après le départ de l’auteur du titre. Par contre, il marquera grandement le héros et toute l’industrie avec l’un des comics les plus cultes, Superman vs. Muhammad Ali.

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Ses autres travaux durant le Bronze Age

Denny O’Neil travailla avec C.C. Beck, ce dernier amenant avec lui son personnage Captain Marvel dans la série Shazam! après le rachat de Fawcett par DC. Il écrit également une série de nouvelles qu’il adaptera en comics sur un pratiquant de kung fu nommé Richard Dragon, encore une fois sous pseudonyme (Jim Dennis).

Plus tard, notre auteur reviendra chez Marvel pour écrire sur The Amazing Spider-Man avec John Romita Jr., un run qui ressemble assez à ce que faisait Stan Lee et ses successeurs, très classique pour le personnage finalement. On notera qu’il y crée deux personnages : Hydro-Man et Madame Web.

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On le retrouva ensuite sur Iron Man pendant quelques années, où Tony redevient alcoolique et où Jim Rhodes reprend le costume. Il écrit aussi sur Daredevil entre deux runs de Frank Miller, où il crée la future Lady Deathstrike. Ce sont deux de ses travaux qu’il me manque, alors je ne pourrais pas parler de leur qualité, même si son Iron Man a bonne réputation.

Après avoir travaillé sur les Transformers chez Marvel en trouvant le concept des personnages et le nom d’Optimus Prime, on retourne chez DC en 1986. Il s’occupe alors du titre The Question avec Denys Cowan, personnage de Charlton que DC avait racheté. O’Neil le modifie un peu, oubliant son objectivisme pour la philosophie Zen. Il écrit d’ailleurs un numéro où The Question réfléchit sur lui-même en lisant… Watchmen, comics qui venait de sortir d’un Alan Moore à qui il a aidé à ouvrir la voie grâce à ses récits plus adultes. Il se compare à Rorschach, ce qui est amusant quand on sait que ce dernier est justement inspiré de Vic Sage.

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Il écrira également sur Batman : Legends of the Dark Knight, créant au passage Azrael, et le crossover Armageddon 2001 avec Archie Goodwin et Dan Jurgens, que le monde n’a pas vraiment retenu. C’est surtout à son retour qu’il devient éditeur des titres Batman. Il avait déjà fait ce boulot sur Daredevil, virant Roger McKenzie pour laisser Frank Miller écrire et dessiner le titre, le sauvant de l’annulation.

Sur les titres Batman, il participa au choix de tuer Jason Todd, le deuxième Robin. Il se rendit compte à ce moment que des héros de comics comme Batman et Superman ont connu une publication constante pendant un demi-siècle (à l’époque) et qu’ils ont donc plus de poids que n’importe quel héros de sitcom populaire. Ils sont devenus des figures du folklore post-industriel, tout le monde connaît Batman et Robin. Il a toujours vu l’édition comme un travail de soutien aux créateurs qui devait être invisible aux yeux du lecteur, et qu’il retirerait son nom des crédits s’il le pouvait. Il aura ce rôle sur les titres du Batverse jusqu’en 2000.

Dennis O’Neil, la plume du Bronze Age

Vous l’aurez bien compris avec ce résumé de la partie importante de sa carrière, Denny fut une pierre angulaire du Bronze Age et du renouveau de DC Comics. Sa redéfinition de Green Arrow et Batman a permis beaucoup de choses, bien qu’il considère ces années comme mauvaises car son travail a largement nui à son mariage et à sa sociabilité en général. En parlant de drogues avec Speedy, de racisme avec John Stewart, de pauvreté et de lutte des classes avec Batman, il traça un beau chemin vers le comics moderne, qui n’avait plus rien à envier aux autres mediums.

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J’aime tellement ses histoires, l’introspection de ses personnages, et son importance me touche encore plus quand je me dis qu’il a participé à tout ce que j’aime chez Batman, notamment à ce que Bruce Timm et sa bande en feront dans Batman : TAS (oui, j’y reviens toujours). Il aura même co-scénarisé avec Len Wein le double épisode de la série animée qui introduit Ra’s Al Ghul, La Quête du Démon. Et comme vous pouvez le voir depuis le début de cet article, il était toujours entouré d’autres légendes. Et il a même un vilain à son effigie dans Batman Adventures #10, spinoff de cette même série animée où il prête ses traits au Perfesser, un criminel pas très doué, fumant la pipe et qui est aussi intelligent que tête en l’air. Il fait partie d’un trio avec Mr.Nice (inspiré d’Archie Goodwin) et le Mastermind (inspiré de Mike Carlin).

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J’espère que vous avez aimé revivre ses grands moments ou comprendre l’importance de Dennis O’Neil à travers cet article. J’avais vraiment envie de lui rendre un plus bel hommage qu’une simple news vu l’affect que j’ai pour ses travaux. Je vous invite à vous replonger dans quelques unes de ses aventures.

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Vous pouvez lire l’arc Hard-Traveling Heroes de Green Lantern/Green Arrow, un road trip super-héroïque et un pur plaisir de lecture. Si vous êtes un Batfan sûr, c’est évidemment vers la grandiose Demon Saga qu’il faut se diriger en premier, avec ce Batman qui se bat torse poil dans une scène ultra-culte, mais vous pouvez aussi vous jeter sur Joker’s Five-Way Revenge pour voir le retour épique du Clown en tant que némésis du Chevalier Noir, ainsi que Batman #237 et son combat contre le Reaper dans un numéro de Halloween où vous verrez des invités déguisés en héros Marvel. Oui, il y a Spider-Man dans le fond et Havok qui décuve sur le canapé. Je conseille également son run sur Question, et vous pouvez tester également son Iron Man.

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Sledgy7

Sledgy7

Comme tout enfant des années 90, Sledgy a grandi avec Batman et DC Comics, à travers les séries et les films, avant de dilapider son argent dans les comics une fois adulte. Outre Batman et quelques héros comme Aquaman, son admiration se porte surtout sur les super-vilains. Avec sa soif de connaissances pour cet univers si riche, il aime être au courant de tout, ce qui l’a amené à rejoindre les rangs de DC Planet en tant que newseur.
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