DC ne se résume pas à un univers super-héroïque interconnecté. Il est également un éditeur, publiant des œuvres étrangères, ou rééditant des licences achetées. Il est rare cependant que DC procède à ce genre de méthode, préférant intégrer ses nouvelles acquisitions à son univers, pour rentabiliser au mieux ses licences. Marshal Law est une exception, aux antipodes de cette méthode mercantile. Marshal Law est né des deux explosions du Dark Age qu’ont été Watchmen et The Dark Knight Returns. Celles-ci ont réveillé Kevin O’Neill, un artiste qui réalisera par la suite The League of Extraordinary Gentlemen aux côtés d’Alan Moore. Sous son esthétique punk, laissant planer le préjugé d’un titre faussement provocateur vide de sens, Marshal Law est de loin l’une des œuvres les plus riches à l’aube des années 90.
La Loi, c’est lui
Artistes anglais, Marshal Law est à l’origine publié par un sous-label Marvel. Il s’agit de ce que l’on considère la vague UK de Marvel qui amènera par la suite Mark Millar et Grant Morrison, entre autres. De ce fait, Marshal Law est aussi bien une conséquence qu’une réponse à Watchmen. Il s’inscrit néanmoins dans un espace indépendant, et une liberté d’expression artistique de plus en plus rare. De cet esprit britannique, Marshal Law en est également un point de convergence. Kevin O’Neill et Pat Mills se sont rencontrés avec leurs publications pour le célèbre magazine 2000AD, avec les aventures de Nemesis The Warlock. L’esprit provocateur et la violence extrême connue de l’esprit qui en émane allait bien toucher Marshal Law. Urban Comics propose là un album épais contenant l’intégralité des apparitions du personnage, celui-ci comporte une mini-série et divers one-shots. En plus d’une couverture sobre magnifique, il s’agit d’une réédition inattendue.
Après divers événements, San-Francisco se retrouve en partie ravagée. Les super-héros élisent domicile parmi les ruines, où des affrontements ont régulièrement lieux. Le super-héros ne répond plus à aucune valeur. Sorte de Kingdom Come ayant mal tourné, dans ce monde où le super-héros est chose commune, l’utilisation de pouvoirs ne répond plus à aucune morale. C’est ici que Marshal Law mène sa première enquête, courant après un meurtrier en série.
Marshal Law n’est pas qu’une série d’arcs. En réalité, il ne s’agit pas d’arcs. Marshal Law s’écarte de toutes conventions du comics – n’ayant répondu qu’à celle du crossover. Il est autant une critique de l’industrie du comics qu’un comics. Aussi marginal que les idées qu’il dégage, l’album est une compilation des mini-séries et one-shots. Au même titre que des contes, Marshal Law va vivre des aventures thématiques, prenant place dans un univers où le super-héros est remis en question. Les super-pouvoirs sont presque une norme, et des clans se sont formés. Au même titre que Judge Dredd, Marshal Law est un policier, un homme génétiquement modifié engagé par le gouvernement. Par son titre d’agent, il sera mené d’une aventure à une autre, nous poussant à découvrir diverses facettes de cet univers qui tendra à devenir de plus en plus étrange.
Une provocation qui fait sens
L’oeuvre se présente comme anti-cléricale, à travers divers signes religieux détournés, une bonne parole ouvertement cirtiquée, mais reposant sur une bonne connaissance du sujet. Ainsi, l’enquête menée prend appui non seulement sur une série de meurtres, mais répand des indices par un parallèle aux récits bibliques, engageant également un exercice de réécriture. La portée critique est multiple. Marshal Law est un point de convergence parmi toutes les dénonciations d’un système à travers un reflet de la représentation du super-héros, lui aussi très critiqué. Au même titre que la critique cléricale, Marshal Law provoque avec des super-héroïnes presque nues, aux multiples poses lascives. Le doute pourrait être de mise quand à la dénonciation, mais c’est à travers une caractérisation bien plus approfondie de personnages secondaires que la critique prend son sens et se confirme, tout en rejoignant l’objet de l’enquête, jusqu’à en devenir l’une des causes.
Cette provocation est constante, et touche tous les domaines. Le personnage principal en est également concerné. Alors que Céleste représente un personnage féminin ultra-sexualisé, Marshal Law est l’homme viril, un angle droit en guise d’épaule, et une musculature imposante. Pour définir le personnage, Pat Mills use avant tout de symboles. Son rôle d’homme de loi est marqué par le port de son képi, en contraste avec la présence d’une tête de mort sur son costume signifiant son droit de vie ou de mort. On remarque également ses tatouages représentant des barbelés, lui procurant l’image d’un homme prisonnier, invulnérable ou souffrant intérieurement. Un sens également représenté par son costume à l’apparence sado-maso, et sa fermeture éclair au niveau de la bouche, que nous pouvons interpréter comme une forme de mutisme demandé.
Travail esthétique de haute volée
Tout comme le personnage de Marshal Law, les personnages secondaires bénéficient d’un même traitement. Chaque personnage révèle son caractère à travers son costume, son allure. La profondeur d’écriture n’est là que pour appuyer l’idée que nous nous faisons du personnage, parfois pour mieux nous tromper. Ils répondent donc à une personnalité très différente, représentant une idée, une vision différente, à travers des couleurs fondant leur personnalité. Un jeu d’image et d’interprétations multiples s’instaure.
Kevin O’Neil affirme un savoir-faire impressionnant, en marquant ses personnages principaux de traits droits réguliers, pouvant dérouter plus d’un lecteur. Ce choix donne au récit une allure brutale, solide et confère aux personnages ciblés une aura particulière accentuée par un code de couleurs vives dans un univers particulièrement sombre. L’artiste présente avant tout une réflexion du rôle de la représentation sur le scénario établi. Une esthétique que certains iront jusqu’à qualifier de « brouillon » pour son étrangeté, car c’est bien l’effet que l’oeuvre veut produire. Elle cherche à se démarquer, provoquer, et s’imbrique dans une pensée punk, révoltée et critique. Ce n’est pas un art qui se veut uniquement illustratif, c’est un art qui se veut tout aussi réflexif que son récit. Et pour cette qualité si rare, Marshal Law atteint aisément le statut de chef d’oeuvre.
Si l’oeuvre en tant que telle est absolument parfaite, même si une comparaison entre les différentes histoires révèleraient une certaine inégalité (mineure) entre celles-ci, le défaut de l’album réside dans son édition. Par principe nous ne pouvons que bien accueillir l’initative de cette réédition inattendue. Mais le choix d’un papier glacé pour une colorisation de ce type paraît invraisemblable, associé à un album souple cartonné qui se rapproche plus d’un volume de la collection Urban Kids que d’une Anthologie. Néanmoins, le contenu mérite amplement l’achat pour l’évolution que l’oeuvre va vous apporter. Amateurs d’art graphiques, de street art, Marshal Law est votre nouveau symbole.
Je suis complètement passé à côté alors que j’ai vu le tome dans ma librairie. En tout cas merci pour la review je vais le mettre sur ma liste.