Le jeune Billy Batson se voit conféré des pouvoirs par un vieux sorcier. Il arbore alors le nom de Captain Marvel (Shazam), nouveau super-héros dans le paysage déjà bien nourrit en la matière. Entre 1940 et 2019, le personnage a subi un parcours particulier, rythmé par les procès, les temps de succès dans un déclin continue. De Fawcett à DC Comics, Captain Marvel n’a pas connu qu’un simple changement de nom. Changement d’éditeur, de ton, Shazam a cherché à se défaire de son ambiance originelle, lorsqu’il ne l’embrasse pas pleinement. Retour sur l’histoire d’un personnage acquis tardivement par DC Comics, où la figure Julius Schwartz a joué un rôle prépondérant dans son entrée chez DC Comics.
1. Le véritable Captain Marvel
Origines d’une commande
Contrairement à l’idée que l’on pourrait se faire, Shazam s’appelait à l’origine Captain Marvel, et était le super-héros vedette d’un petit éditeur appelé Fawcett Publications. Fawcett était à l’origine une maison d’édition spécialisé dans les comics humoristiques, où le style cartoon primait. La compagnie possède cependant une origine très semblable à l’histoire du Major Malcolm Wheeler Nicholson, créateur de National Comics / DC Comics. Le créateur de la maison d’édition est également un militaire. Revenu de divers fronts, parfois blessé, en recherche d’une réinsertion avec un foyer à nourrir, il décide de lancer son propre livre humoristique en 1919. Le recueil d’histoires drôles devient un best-seller et propulse la petite maison d’édition.
Fawcett Publications se lance alors dans une entreprise plus grande, et place ses pions sur le marché du comics en diversifiant son catalogue : drames, aventure, science-fiction et même le movie-comic. L’entreprise suit son cours, devient une entreprise familiale – évitant les mauvaises surprises qu’a pu subir National Comics dès ses premiers pas. 1938, Superman apparaît. L’année suivante, un certain Bill Parker est engagé pour lancer une ligne de comics de super-héros. L’objectif, comme toute autre maison d’édition de l’époque, est de créer des personnages pour les implanter au plus vite sur le marché.
Captain Marvel n’était qu’une commande. L’idée de Bill Parker a été de multiplier les personnages, chacun ayant son pouvoir. Bien trop compliquée, l’idée est rejetée. Par nécessité, le projet est lancé alors que le concept n’est pas encore fixé. En 1940, c’est au dernier moment que le magazine trouvera son titre (Whiz Comics) et le nom de son super-héros, Captain Marvel. Le personnage réunit deux facteurs importants qui expliquent son succès : le concept de l’enfant super-héros, et le style unique de C. C. Beck qui mêle comics de super-héros et cartoon amusant. Ensemble, ils offrent un esprit unique au personnage qui continue de le définir.
Quand la copie colle à la peau
Avec la couverture du Whizz Comics #2 – qui n’a pas connu de #1 – National Publications reconnait là une copie conforme à son fer de lance, Superman. Qu’il s’agisse des cheveux bruns plaqués en arrière, les pouvoirs similaires, mais plus encore, la couverture qui sonne comme une provocation. Là où Superman soulève une voiture, Captain Marvel la lance sans peine contre un mur. National Publications ne se laisse pas faire, et dépose dès 1941 un dossier d’une bonne centaine de pages contre l’éditeur Fawcett. Le procès dure mais n’aboutie à rien. National Publications relance alors l’affaire.
Profitant d’un fort succès, Captain Marvel apparaît dans divers titres de la maison d’édition. Dans America’s Greatest Comics, on le retrouve aux côtés d’un autre succès de la maison d’édition, Bulletman. Captain Marvel introduit même les nouveaux personnages créés par l’éditeur comme Don Winslow of the navy #1 . Dès 1941, il possède déjà son propre serial, au même titre que Batman, Superman ou encore Captain America.
Après cinq années de publications, Fawcett décline sa recette avec le titre Marvel Family, et offre une publication régulière à Mary Marvel. Mais comme pour tout super-héros, l’après-guerre a été une succession de complications. La tendance s’inverse. Le super-héros ne plaît plus. La censure arrive au galop, et Captain Marvel disparaît définitivement des publications Fawcett en 1955. Entre temps, National Publications a obtenu gain de cause. Fawcett verse ses dommages et intérêts à la maison d’édition concurrente et met fin à toute publication de comics.
Entre autres problèmes de censure, c’est surtout la considération du comics aux yeux du grand public qui dérange, en plus des affaires juridiques que le super-héros implique. La maison d’édition survit avec la publication d’autres magazines et commandes ; et ne touchera plus au comics avant les années 60. L’éditeur y présente un catalogue de comics à l’allure de cartoons, avec par exemple Dennis La Malice. Un retour aux origines du registre comique pour l’éditeur, qui signe un avenir sans le Captain Marvel. L’éditeur ne persistera pas plus de vingt ans. 1980 marque la fin de Fawcett Publications.
2. Intégration progressive chez DC Comics
Le retour inespéré par Julius Schwartz
Début des années 70, l’éditeur DC Comics n’acquiert pas le personnage de Captain Marvel, mais obtient une licence d’exploitation. Ce droit acquis, la maison d’édition veut en tirer profit au mieux. Il lance alors un titre régulier et une série télévisée. Le personnage est vu comme une mine d’or alors que le Silver Age s’éteint.
L’idée provient de Julius Schwartz, connu pour son rôle d’éditeur. Il a officié sur Green Lantern comme sur Flash, deux titres avec lesquels il fonde une réputation sérieuse. En plus d’un titre régulier, Julius Schwartz voit les choses en grand. Il dirige également une rencontre entre Superman et le Captain Marvel, dans DC Comics Presents, scénarisé par le maître des rencontres de super-héros, Roy Thomas, et l’un des plus grands dessinateurs de Superman, Gil Kane.
Dès 1973, il se voit remis un prix spécial, le prix Shazam pour avoir réussi à rééditer les numéros d’origine du super-héros chez Fawcett. Une part du mérite revient avant tout à Carmine Infantino, devenu directeur éditorial de la compagnie, qui avait réuni une grande partie des artistes du Golden Age, et a souhaité rééditer les numéros dont ils étaient fans pour jouer, déjà, de l’effet de nostalgie. La maison d’édition parvient à faire revenir le dessinateur C.C. Beck pour officier sur les nouveaux numéros. Problème que dénonce Julius Scwhartz, qui cherchait à faire primer la nouveauté, et une modernisation du personnage.
Mais sa plus grande difficulté est le comportement de C. C. Beck. Le co-créateur du personnage modifiait les scénarios de Denny O’Neil. Selon Swhartz, le problème de ventes venait de cette réécriture, qui donnait l’impression d’une prolongation de la version des années 40, alors que l’idée était de relancer le personnage, lui permettre de s’adapter à un changement d’époque. Julius Schwartz avait ajouté lors d’une interview qu’il n’a jamais vu Captain Marvel comme une copie de Superman.
Mais cette vision du Golden Age transparaissait bien plus et déplaisait au lectorat de l’époque. Le titre s’avère être une échec, et s’arrête subitement à peine plus de deux ans après son lancement, alors que C. C. Beck a quitté le navire dès le dixième numéro. Le dessinateur, à l’origine très enthousiaste à l’idée d’illustrer de nouveau les aventures de Captain Marvel, s’est retrouvé particulièrement déçu de ne pouvoir mener le titre comme il l’entendait.
Une lutte hors des pages
Si le titre du magazine change pour Shazam!, Captain Marvel conserve son nom dans les pages intérieures. Ce qui va entraîner un autre différent par la suite, avec la jeune maison d’édition Marvel Comics, cette fois. 1969, Marvel Super-Heroes #12 nous laisse découvrir Captain Marvel, une création de Stan Lee et Gil Kane. Le titre est créé pour tester d’éventuelles nouvelles créations. Ce Captain Marvel cherche à développer l’univers cosmique de cet univers partagé. Assuré d’un succès, l’éditeur lance une série régulière. Mais Stan Lee doit se rendre à l’évidence, sa création est un échec. Ce dernier fait appel à son assistant pour corriger le tir avec le dix-septième numéro. Roy Thomas, encore chez Marvel à l’époque, change le personnage du tout au tout.
1970, Fawcett cherche à répéter le coup que lui avait infligé National Comics, avec l’argument du copyright. Mais Fawcett perd ce droit, et Marvel obtient gain de cause, avec en prime le droit d’user du nom de Captain Marvel. 1972, Fawcett apprend que DC Comics entreprend de mettre en avant des réimpressions de comics passés, ils réalisent un arrangement, leur fournissant le droit d’utiliser Captain Marvel/Shazam. L’éditeur fier de son acquisition non-officielle – Fawcett a toujours un contrôle sur toute utilisation du personnage – lance sa série régulière sous la direction de Julius Schwartz. Et Marvel Comics regarde ce retour de loin.
En 1973, Marvel intervient. En raison de ses droits sur le nom de Captain Marvel, l’éditeur demande à la distinguée concurrence de retirer son sous-titre, usant de la formule « … the original Captain Marvel !« . La série commandée change alors de nom, et opte pour Shazam! en accord avec le titre de comics. Le comics s’arrête, la série ne perdure pas, mais une série animée est tout de même prévue pour 1981. DC Comics ne possède toujours pas les droits, alors que Fawcett ferme ses portes. Il faudra attendre l’événement Crisis on Infinite Earths (1985) pour que l’éditeur se décide à acheter le personnage et l’implanter pleinement à son univers.
3. Un personnage à part entière
Porteur de l’héritage Fawcett
Shazam est ce personnage que nous connaissons, lecteurs actuels, pour son rapport à l’univers DC Comics. Mais une part de lui semble pourtant ne pas avoir sa place, peu importe son intégration à l’univers ou ses actions. La preuve en est que le film attendu est dors et déjà considéré comme à part. De même, le titre actuel écrit par Geoff Johns ne possède aucune connexion avec l’univers DC. Shazam, malgré son allure majestueuse et ses couleurs vives, est un personnage discret et marginal. Il est chez DC Comics un personnage qui reste secondaire, malgré son grand potentiel. Malgré la volonté de nombreux artistes dans les années 70/80, Shazam n’est pas parvenu à se moderniser.
L’intention de C.C. Beck à renouveler la recette du Golden Age a fait de lui un symbole du Golden Age toujours actif. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Geoff Johns l’ait inclus à sa JSA au début des années 2000. Rapport mythologique concret mêlé à l’innocence d’un enfant dans une représentation du monde actuel, avec un catalogue d’ennemis farfelus, c’est l’univers entier de Shazam qui ne peut se prendre au sérieux. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de lui conférer une écriture plus sombre, Roy Thomas a tenté l’expérience sans succès avec Shazam : The New Beginning, et l’a regretté.
Shazam! is the new Captain Marvel
L’ensemble de ces changements de direction, ces procès, qui ont finalement fixé le nom de Shazam au personnage sur le tard. Ce concept de propriété et de nom a-t-il une incidence sur le personnage ? Encore appelé Captain Marvel dans les années 90, il ne devient Shazam que dans les années 2000. S’il n’a pas d’incidence concrète, l’acquisition du nom de Shazam se situe à un instant où le personnage s’apprête à trouver une stabilité au sein de l’univers DC, avec les origines de Geoff Johns et Gary Frank.
Le personnage était jusqu’alors l’ombre de lui-même. Représentant d’une ère passée, aux côtés de la JSA. Plus qu’un effet de nostalgie, son utilisation se résume pour beaucoup à s’opposer à Superman. Seul Jerry Ordway proposera une vision du personnage avec The Power of Shazam!. Symbole d’un éditeur perdu, Captain Marvel se referme alors que le personnage sombrait dans Trials of Shazam, et préparait Shazam comme nouveau personnage, laissant Billy Batson de côté. Vite oubliée avec l’arrivée des New52, Shazam est un renouveau signé Geoff Johns, qui mêle adaptation et respect de l’esprit originel du personnage. Si Shazam ne peut être Captain Marvel, il en sera une version propre à sa nouvelle maison d’édition.
Enfin un article intéressant au milieu de tous les « Le sachiez-vous ? Shazam est le premier Captain Marvel » qui pullulent sur le net !
Ça fait bien plaisir !
Excellent article pour un sujet finalement très complexe et rempli de zones d’ombres et qui ont ici le mérite d’être éclaircies. On pourrait d’ailleurs ajouter, car c’est rapidement mentionné, que Captain Marvel inaugure la mode des super-héros au cinéma. Loin de simplement faire l’objet d’un serial au même titre que Superman ou Batman, il est justement le premier à bénéficier de tels honneurs, accélérant le désir de National Publications de coller un procès aux fesses, non pas de Tommy, mais de Fawcett. Bref, lecture très agréable, mais cela ne change pas !
Pas mal comme dossier, ça permet de mieux comprendre l’histoire éditorial assez nébuleuse du perso.
Bon boulot, la semaine spécial Shazam chez DCP commence bien :)
Très chouette dossier bien documenté.
J’ai découvert Shazam dans Kingdom Come, et il est très angoissant dans cette histoire, comme une épée de Damoclès présente sur tout le récit. Je trouve que c’est à ce jour la meilleure utilisation que j’ai vu du personnage.