Pendant un temps, Batman Europa fut le Chinese Democracy des comics, en tout cas de DC (Captain America White peut aussi prétendre au titre chez Marvel). Dans la première moitié des années 2000, Jim Lee voyage en Europe, et notamment en Italie, où il fait la rencontre de Matteo Casali et Giuseppe Camuncoli. Ensemble, probablement un soir de biture dans un troquet de Trastevere, ils ont une idée : et si on travaillait ensemble en amenant Batman en Europe ? On l’a fait voyager dans l’espace et même dans des dimensions parallèles, mais on ne l’a pas assez catapulté en Europe ! Annoncé pour la première fois en 2004, le projet ressuscite en 2010 dans les sollicitations avec la mention d’Azzarello, mais ne sort jamais. Il finit par arriver sur les rayonnages VO fin 2015, et dans nos kiosques en août dernier avec Batman récit complet #8 ! Alors, est-ce que Jim Lee et ses copains auraient mieux fait de ne pas abuser des vins du Piémont ? Ou est-ce qu’ils ont eu une idée de génie ?
Un road-trip somptueux
Le point de départ est assez simple : un samedi soir, pour s’enjailler, Batman veut casser la gueule à Killer Croc, mais il se sent faiblard. Il découvre alors qu’il est atteint d’un virus qui risque de le tuer en une semaine, et part enquêter en Europe pour y découvrir les sources de ce mystère. Il devra faire équipe avec un allié atypique, à savoir le Joker. Passant par Berlin, Prague, Paris et Rome, le duo essaye de comprendre le mal qui les ronge. Voilà, je m’arrête là pour ne pas spoiler davantage, mais honnêtement, il n’y a pas beaucoup plus de choses à se mettre sous la dent. En terme d’histoire et de narration, Batman Europa est assez léger. Clairement, l’objectif n’est pas de raconter une bonne histoire, mais d’en foutre plein la vue au lecteur. Et de ce point de vue-là, c’est souvent réussi !
Sur le premier numéro, Jim Lee représente Batman à Berlin avec ses crayons, accompagné par Camuncoli au découpage et Alex Sinclair à la couleur. Puis c’est Camuncoli tout seul sur le deuxième numéro à Prague, l’espagnol Diego Latore pour le troisième à Paris, et enfin le français Gerald Parel pour le dernier volet à Rome. En fonction des numéros, on appréciera plus ou moins le style des auteurs, mais c’est toujours dessiné avec beaucoup de minutie. Le troisième chapitre de Latore, par exemple, fournit un dessin qui regorge de détails, mais pèche un peu par ses effets de styles surchargés à la couleur. Un peu pareil pour le dernier numéro de Parel, qui fournit un très beau dessin rempli de gros plans. Peut-être écrase-t-il un peu trop ses illustrations sous les couches d’aquarelle, mais cela va assez bien avec l’ambiance éthérée qu’Azzarello cherche à donner à son combat final.
Mais si tous les dessinateurs offrent de belles choses à voir, celui qui s’en sort le mieux, reste à mes yeux Giuseppe Camuncoli. Peut-être aussi parce que c’est celui qui a des choses plus intéressantes à dessiner, notamment une armée de robots en bois assez insolite. Il dessine également les scènes intérieures magnifiques, dominées par des tons rougeâtres captivants pour nos yeux. Des quatre dessinateurs, c’est largement lui qui a le privilège de signer la meilleure copie.
L’Europe ! Ah, l’Europe !
J’ai déjà dis que l’intrigue n’était pas des plus fascinantes, donc pas la peine de s’arrêter dessus. Mais une chose reste intéressante, à savoir la représentation du “vieux continent” et de ses capitales. Malheureusement, comme souvent, on se retrouve dans la carte postale plus que dans de véritables ambiances propres à la ville. Pour nous montrer qu’on est ailleurs, on nous montre les gros monuments. Dans Berlin : la porte de Brandeburg, le Bundestag, Checkpoint Charlie… Pour Prague : le pont Charles, le monument Jan Hus, la place Venceslas… À Paris : la Tour Eiffel, Notre Dame, Montmartre, le Moulin Rouge… Et Rome : le Panthéon, les ruines antiques, le Colisée (surtout)… Mais en dehors de ça, les capitales européennes ne sont pas vraiment exploitées dans leur identité.
Dans chaque ville, les auteurs s’amusent à y caser des références à l’histoire de la cité, mais ça tient davantage du gadget redondant. Au-delà de ça, l’intrigue pourrait se passer à Londres, Bratislava, New York ou Tombouctou, ça reviendrait exactement au même. Si on sent bien à chaque fois que Batman n’est pas tout à fait chez lui, on peine à voir l’intérêt du décor européen autrement que pour le gimmick de voir des européens dessiner Batman en Europe. Surtout pour Rome, où on a l’impression que les auteurs se sont dit “Ce serait vachement cool que Batman se batte au Colisée !”, sans chercher plus loin.
A coup sûr, Batman Europa est beau à lire et aurait presque mérité une édition en relié par Urban pour offrir davantage de prestige à l’oeuvre. Chaque dessinateur parvient à offrir un travail de qualité, qu’on appréciera plus ou moins en fonction du style de chacun. Mais au bout de cette lecture, on se demande un peu quel est son intérêt. Si le concept est bon, l’exécution narrative reste à discuter. L’exploration de la relation entre le Joker et Batman sonne déjà-vu, et le décor n’est pas suffisamment mis en valeur. Malgré ses qualités, Batman Europa s’avère plutôt décevant.