Lorsque la nouvelle vague des titres Vertigo a été annoncée, American Carnage ne m’a pas particulièrement frappé dans l’oeil, à l’inverse de High Level ou Safe Sex. Déjà, je suis assez indifférent envers Bryan Hill. Je ne suis que moyennement amateur de ce qu’il fait sur Detective Comics en ce moment et… bon, soyons honnêtes : Michael Cray, ça ne fait pas envie. Mais donnons-lui sa chance, peut-être que sur un malentendu, la magie peut opérer. Et est-ce que ça fonctionne ? Carrément !
Un récit intriguant
American Carnage nous parle d’un ancien agent du FBI en quête de rédemption, engagé par son mentor pour infiltrer un réseau suprémaciste blanc suite au meurtre d’un agent en fonction. Sans en dire beaucoup plus, on voit déjà que l’optique de Bryan Hill est profondément terre à terre. C’est un récit incarné et ancré dans la réalité, qui se dévoile comme un thriller à l’ambiance noire et complexe.
Dès les premières pages, on trouve un enfant qui sourit enveloppé dans un drapeau nazi. On trouve un agent noir pendu, un chien mort et un terroriste raciste prêt à se faire sauter avec sa famille. D’emblée, on nous dit : on est pas là pour rigoler. Et clairement, ceux qui sont sensibles à la violence auront du mal à lire ce premier numéro. Ca tombe bien, on est chez Vertigo ! Le reste de l’intrigue continue sur cette lancée, en portant quelque chose de fascinant.
“Welcome to real America”
Comme d’autres nouvelles séries Vertigo (au hasard, Border Town), American Carnage cherche à refléter le zeitgeist de notre époque contemporaine, et particulièrement du contexte américain. Au programme, on y trouve conflits raciaux et violences policières.
D’emblée, la couleur est annoncée : c’est une mini-série aux résonances politiques fortes, sur des thématiques tendues. La mini-série assume clairement son orientation et sa couleur engagée. Rien que le titre fait référence au discours inaugural du président Trump, promettant de mettre fin au carnage de l’insécurité. Mais fort heureusement, Byran Hill incarne cet aspect politique avec beaucoup d’intelligence. Il parvient à incarner ses thématiques dans une tension humaine, avec des personnages intéressants et complexes.
Et pourtant, il y a de ça dix ans, l’antagoniste principal aurait probablement été décrié comme une caricature grossière. Malheureusement, un conférencier riche et blanc en costume, patriarche d’un clan familial porteur d’un discours d’exclusion est tout sauf caricatural aujourd’hui. On les voit de plus en plus pousser comme des champignons aux quatre coins du globe. Ce personnage, en 2018, est tristement crédible. Mais malgré tout, Hill le présente tout en finesse, le dévoilant à distance, avec parcimonie. Juste assez pour provoquer la méfiance du lecteur sur lui et son entourage.
Maîtrise à tous les étages
Tout le numéro est parfaitement maîtrisé par l’équipe créative. D’abord, l’écriture de Hill. Il parvient à mettre de véritables coups de poings au coeur du lecteur tout en exécutant son script avec énormément de simplicité. Ses dialogues évoquent quelque chose de profondément familier et ses personnages sont attachants, intriguants et investis de profondeur.
La partie graphique de Leandro Fernandez est tout aussi solide, évocateur de Mignola. Son dessin parvient à faire cohabiter une simplicité extraordinaire avec beaucoup de détails, qui n’écrasent jamais l’image. Les visages sont réguliers et expressifs et aident l’empathie pour les personnages. Et bien souvent, la construction des pages et l’illustration viennent renforcer l’aspect coup de poing de l’écriture. L’encrage, assez marqué, offre lui aussi tout un tas de jeux sur l’ombre. L’illustrateur fournit ici un travail simple, mais franchement remarquable. Et les couleurs de Dean White, avec leurs tons jaunes, oranges et violacées viennent renforcer cette aura mystérieuse du numéro. Ici, l’art et l’écriture se répondent à merveille pour renforcer l’expérience du lecteur.
American Carnage est un premier numéro absolument excellent, écrit par un auteur qui ne fait pas de concessions à son propos. J’espère très sincèrement que la mini-série saura continuer sur cette lancée pour nous offrir un commentaire fascinant sur notre époque.