Bizarro Facts #3 : Green Lantern sous l’ère Geoff Johns

LES LUMIÈRES DE GEOFF JOHNS

 

Bizarro Fact n°3 : Bien entendu, j’aurais préféré vous parler de tout ça autour d’un vert.

La sortie toute récente du Hobbit de Peter Jackson nous le démontre une fois de plus : la joaillerie exerce sur nos imaginations une fascination pour le moins singulière. Et si un simple anneau surpasse généralement en capacités une banale paire de chaussettes, c’est qu’il est ici question d’une notion absolument inextricable du medium SF/Fantasy : la noblesse. Au bout du compte, l’instrument aux propriétés supposées magiques n’est en fait qu’un intermédiaire entre l’homme et son inconscient. L’occasion de subjuguer une nature déjà tangible, mais jusqu’à présent dissimulée au sein d’un enchevêtrement psychique propre au personnage. L’instrument choisit donc son porteur en fonction d’une noblesse d’esprit latente, afin de porter celle-ci jusqu’à une noblesse de corps. Ce processus permet ainsi à la volonté de trouver son pendant physique, de créer des hommes conscients de leurs forces et enclins à les mettre au service d’un idéal. L’objet magique complète le personnage plus qu’il ne le corrige ; par conséquent, le porteur devrait rester humain avant tout.

Bien, après cette introduction des plus ennuyeuses – et probablement dispensable – nous voilà prêts à entrer dans le vif du sujet.

Bizarro Facts #3 : Green Lantern sous l'ère Geoff Johns 18

Pour cela, revenons un peu en arrière. Green Lantern, depuis le Silver Age (1), est une sorte de policier intergalactique dont l’arme est un anneau puisant dans le spectre lumineux, afin de conférer au porteur un pouvoir quasi illimité. Le principe est ici de tracer une analogie entre le spectre de la lumière et celui des sentiments : le vert, au centre, s’avère donc être synonyme d’équilibre et représente la volonté. Hal Jordan, le premier Green Lantern de cette nouvelle ère en partie initiée par Julius Schwartz (2), se retrouve alors affublé d’une nouvelle mythologie. Très vite, de nouveaux terriens héritent à leur tour d’un anneau, tant et si bien qu’au début des années 70, ils sont trois à porter le nom : Hal Jordan, Guy Gardner et Jon Stewart. Je saute assez vite jusqu’au début des années 90 – et je m’excuse auprès des fins connaisseurs qui n’ont pas besoin de ce petit récapitulatif – au moment où Hal Jordan pète les plombs suite à la destruction de sa ville natale, et devient l’un des plus dangereux vilains du DC Universe. Tout ça pour redynamiser une série qui semblait s’essouffler.

Petit bémol, le nouveau Green Lantern, Kyle Rayner, ne satisfait pas les fans, espèce qui rappelons-le est principalement définie par sa tendance notoire à la nostalgie. Une décennie entière passe, et la série n’atteint toujours pas le niveau tant espéré. Il faut se rendre à l’évidence, Hal Jordan manque ; mais surtout, une refonte totale semble inévitable.

Sous l’impulsion de Peter J. Tomasi, à l’époque éditeur, DC décide de relancer la franchise et fait alors appel à Geoff Johns. Premier constat, l’auteur ne sombre pas dans la facilité du reboot : plutôt que de reconstruire intégralement l’univers Green Lantern, il décide de bâtir sur des ruines au potentiel énorme. Le Green Lantern Rebirth (en six parties réparties sur 2004/2005) permet à Johns de faire d’une pierre deux coups : en plus de réinstaller Hal Jordan sur son trône de protagoniste adulé, il introduit une nouvelle notion, celle qui va finalement être le leitmotiv de la série pendant les années à venir. A travers la lumière jaune, celle de la peur, nous sommes plus ou moins sur le point de deviner que toutes les couleurs du spectre lumineux sont elles aussi manipulables. Et c’est ainsi que les contours d’une nouvelle mythologie se dessinent. Mais les éclairs de génie ne suffisent pas toujours : pour faire vivre un monde à part entière, d’autres ingrédients sont nécessaires.

give-up

. Premièrement, il faut savoir où l’on va. C’est de toute façon le principe de base du comic book : chaque publication n’est en général qu’un chapitre de ce qui forme au final une intrigue harmonieuse, s’inscrivant à son tour au sein d’un univers. L’idée est évidemment de toujours maintenir une certaine tension propre à donner envie au lecteur d’acheter la suite le mois prochain, tout en pouvant lui promettre une fin – une fin ouvrant sur un nouveau commencement. Un auteur se doit donc toujours de connaître sa ligne directrice avant d’entamer quoi que ce soit : naviguer à l’aveugle n’est pas une option. Là où réside donc le brio de Geoff Johns sur sa reprise de Green Lantern, c’est dans cette capacité à nous dévoiler au fur et à mesure (depuis un peu moins de dix ans, mine de rien) un monde parfaitement cohérent. Pour s’en rendre compte, rien de plus simple : lisez les publications dans un ordre non chronologique, vous constaterez que les lignes directrices ont toujours été claires comme de l’eau de roche dans l’esprit de Johns. Du soulèvement des 6 (+ 2) nouveaux Corps jusqu’à la prophétie Blackest Night, il n’y a pas un pet de travers.

. Deuxièmement, il faut savoir digérer les milliers de pages publiées auparavant. Un auteur qui arrive sur une série existante est instantanément confronté à ce terrible paradoxe : il faut connaître le passé pour mieux construire le futur, mais il faut aussi savoir s’en détacher. Toutes ces références, apparemment incontournables, ne le sont malheureusement pas toujours pour le lecteur… Et c’est là, à mon sens, qu’un Geoff Johns se démarque d’un Grant Morrison (3). Sa façon de rendre certains concepts intelligibles pour tout le monde est extrêmement intéressante – à l’inverse, c’est aussi ce que certains puristes pourraient lui reprocher. Quoi qu’il en soit, Johns utilise les références avec simplicité et efficacité (et sans prétention) : pour preuve, sa version de Sinestro en a fait l’un des meilleurs vilains de ce nouveau siècle. Et les exemples de personnages intelligemment revisités sont pléthores (4) : Star Sapphire, Abin Sur, Black Hand, Cyborg-Superman, l’Anti-Monitor, le génial Superboy-Prime (mon préféré), etc. Pour un connaisseur, les nouvelles visions fascinent ; pour un profane, elles donnent envie de creuser.

. Troisièmement, il faut savoir s’entourer. Avoir un scénario en béton, c’est une chose. Mais tous les lecteurs de bande dessinée du monde s’accordent à le dire : si le visuel ne suit pas, l’intrigue s’en trouve gâchée. A plus forte raison sur un titre tel Green Lantern, c’est-à-dire LE comic book visuel par excellence : cosmos, aliens, constructions mentales, batailles épiques. La synergie auteur/artiste est ici primordiale. Et Geoff Johns a su trouver ses équivalents plastiques : d’abord Ethan Van Sciver, puis Ivan Reis, et enfin Doug Mahnke. Sans oublier Tomasi, à l’origine de la renaissance, qui deviendra l’un des scénaristes de la série Green Lantern Corps. Cette dernière, qui voit le jour en 2006, est alors la preuve définitive que GL est enfin redevenue une franchise à succès. Constat au mois de septembre 2011, lors du lancement du New52 : pas moins de 4 séries mettent à l’honneur l’univers des chevaliers d’émeraude…

Heh

Depuis son arrivée aux environs de l’an 2000, la notoriété de Geoff Johns n’a fait que croître. Auteur superstar et Chief Creative Officer, il est actuellement l’un des principaux cerveaux derrière la refonte de l’univers DC. Infinite Crisis, 52, Sinestro Corps War, New Krypton, Blackest Night, Brightest Day, Flashpoint, bientôt 7,7% du New52 : le nom de Johns s’affiche quasiment partout où il y a succès. Point d’orgue de cette influence sans frontière, l’évènement Blackest Night (2009/2010), si colossal qu’il a touché l’intégralité des séries de l’époque. La définition même de la saga épique.

Mais, comme mentionné en introduction, tout chez Johns n’est pas que mystères et champs de bataille. Au milieu de la déferlante évoluent des hommes et des femmes, avec ce que cela implique de conflits et de partis pris. L’univers Green Lantern, anti manichéen par excellence, regorge de ces oppositions au sein desquelles chaque point de vue paraît défendable. Johns emprunte les inusables ficelles narratives : l’ennemi qui devient allié, l’allié qui devient ennemi, l’élève qui se retourne contre le maître, etc. Il y a quelque chose de politique, mieux, de tragique ; en définitive, tout ce qu’on aime dans la SF et qui nous renvoie plus souvent qu’on ne le croit vers nos propres émotions.

Cependant, la méthode Geoff Johns n’est-elle pas vouée à atteindre ses limites ? Ses réussites récentes (le nouvel Aquaman en tête) se retrouvent hélas contrebalancées par quelques petits vices. Le cinquième Green Lantern terrien par exemple, introduit cet été, un américain musulman injustement accusé de terrorisme par le gouvernement américain. L’intention est louable, certes, mais on frôle le cliché. Et que dire de cette très décevante Justice League, superficielle et n’apportant absolument rien de nouveau à la franchise… La romance entre deux icônes, Wonder Woman et Superman, n’arbore pour le moment que des attraits mercantiles. Il y a comme ce sentiment d’incomplet ; ça manque de tripes et de cœur. Et si finalement, Geoff Johns n’était que de la poudre aux yeux ? Un vernis idéalement calibré, mais toujours destiné à s’effriter un jour ?

Mais la question dépasse l’homme. En définitive, qu’est-ce que la méthode Geoff Johns, si ce n’est l’archétype parfait de ce qu’est devenue la bande dessinée américaine : des univers hermétiques, difficiles – voire impossibles – à appréhender sans connaissance du mythe originel. Il y a 75 ans, pour apprécier un numéro d’Action Comics, il suffisait au lecteur de savoir que Superman était capable de voler ; à partir de là, la légende se faisait accessible. Aujourd’hui, la compréhension intime du personnage et de son histoire est indispensable pour apprécier pleinement un titre ; la mythologie, quasi ésotérique, n’est plus destinée qu’aux initiés.

La culture de notre société actuelle se définit en partie par sa passion pour le principe de saga (séries télévisées en tête). Il paraît donc légitime d’affirmer que nous évaluerons la réelle force de nos héros par la persistance dont ils feront preuve dans l’avenir.

Eh oui, Darwin était en fait un professionnel de l’audimat.


Notes :
(1) L’âge d’argent, en comic books, est la période qui s’étend du milieu des années 50 jusqu’au début des années 70. Nous n’aborderons donc pas les origines d’Alan Scott, le Green Lantern du Golden Age (30’s à 50’s).
(2) L’éditeur le plus influent des années 50.
(3) Je sais que je vais faire grincer des dents, mais c’est plus fort que moi : je ne suis absolument pas un amateur du travail de Morrison. J’attends toujours qu’il me contredise.
(4) Sans parler de certains concepts, comme la mise en place d’un serment inhérent à chaque Corps/couleur. Un principe devenu inextricable de la mythologie Green Lantern.

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VendsPersil021
VendsPersil021
11 années il y a

Très bon article, comme souvent. GL est mon second univers favori, l’histoire des sept couleurs et tout, c’est à se demander pourquoi ça n’a pas été fait plus tôt, tout dans cette série paraît logique et cohérent

Julien
Administrateur
11 années il y a

Sans vouloir faire de jeu de mot, merci d’éclairer ma lanterne une fois de plus, très intéressant !

Steph
11 années il y a

SI Geoff Johns n’était que de la poudre aux yeux, on aurais découvert le « Pot aux roses » bien plus tôt ! Pour 2 raisons :
– Cela fait maintenant quelques temps qu’il est dans le métier et même si un auteur peut briller sur une série, on se rend vite compte si le soufflé retombe ! Avant GL, Geoff Johns à fait des choses pas mal sur d’autres personnages (de tête les Vengeurs avant l’ère Bendis et surtout son run dur les Teens Titan entre autres)
– Pour prendre la métaphore du vernis, qui dit couche de vernis, dit couche d’en-dessous qui peut être n’importe quoi (c’est tiré pas les cheveux) mais Geoff Johns n’a pas eu que des réussites. Son Flash Rebirth n’a pas eu le même effet que son GL Rebirth

l’écriture de Geoff Johns est surement dans l’ère du temps, on verra comment elle vieillit, et comment l’univers de GL (avec les différents corps) vieillit et évolue sans lui

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