Krypton : La redécouverte d’une mythologie

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Quand la chaîne Syfy annonça en 2015 l’arrivée prochaine d’une série centrée sur Krypton du temps de Seg-El, beaucoup ne prirent pas la nouvelle au sérieux, ne voyant que peu d’intérêt à une telle fiction, d’autant plus sur une petite chaîne de science-fiction comme celle-ci. Trois ans plus tard, en 2018, le projet de David S. Goyer, scénariste de Man of Steel, voit enfin le jour après une lente production qui se fit dans l’indifférence la plus totale, à tel point que sa mort dans l’œuf n’aurait affecté que les fans minoritaires qui voyaient déjà le potentiel d’une telle oeuvre. Je fais partie de cette minorité, et le moins que je puisse dire, c’est que mon soutien et mon attente ont été largement récompensées. Considérée à la base comme un prequel, Krypton a su démontrer au cours de sa première saison, composée de dix épisodes, qu’une petite série de l’ombre peut aller loin et apporter beaucoup. Preuve en est, ses chiffres d’audience figurent parmi les meilleurs de la chaîne, qui n’a pas hésité à renouveler sa confiance en commandant une seconde saison, permettant ainsi à ses développeurs de poursuivre leurs idées, pour le plus grand bonheur de la mythologie de Superman.

Science-fiction, origin-story et Superman : un combo gagnant

Mais au juste, pourquoi Krypton c’est si bien (selon moi et d’autres) ? Déjà, la série peut aisément être classée dans la catégorie « science-fiction », un genre pas très représenté ces derniers temps à la télévision, notamment pour une raison d’exigence du public et de budget exigent (on en revient toujours au même en fait). Alors certes, en face, Netflix et sa rivière de thune multiplie ses œuvres du genre, telles que Altered Carbon, Perdus dans l’Espace, Star Trek Discovery et d’autres que je n’ai pas encore vues de toute façon, mais Krypton dispose d’une force supplémentaire, et qui n’est pas des moindres : un univers déjà relativement bien inscrit dans l’inconscient collectif. Et oui, Krypton, ça parle à tout le monde, ou tout du moins la kryptonite, mot qui est tout bonnement rentré dans le vocabulaire quotidien. Et qui dit Krypton, dit Superman, un super-héros un peu connu quand même, qui s’inscrit lui-même dans un univers dont la grandeur et la richesse n’ont de limites que celles de Scott Snyder. Goyer n’hésitera absolument pas à exploiter cet univers qu’il connait bien, à explorer différents pans, et à amener des personnages et éléments classiques d’une façon justifiée et souvent astucieuse. Autant dire que pour qui est fan du DCU, ou qui ne l’a même touché que du bout du doigt, les réjouissances seront au programme, notamment à travers la présence de Brainiac ou de Doomsday.

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Du coup, le public n’a pas à faire à l’histoire d’une planète et d’un peuple lambda dont il se moque initialement, mais à celle des ancêtres de Superman, un personnage dont il se soucie un minimum, dont les origines sont bien connues à travers ses diverses adaptations sur petit et grand écran. Une force qui peut également être vue par une faiblesse, car le spectateur lambda peut se demander quel est l’intérêt de connaître le passé d’une planète qui finira de toute façon par exploser (#IlEstOùLintérêtDeVivreVuQuOnVaTousMourirUnJour). En réponse, on peut bien évidemment citer des exemples de comics qui prouvent l’intérêt et l’utilité d’une telle entreprise, telle que The World of Krypton de John Byrne, inspiration évidente pour la série. En plus d’ajouter du background au personnage, d’agrandir l’univers, on peut également raconter quelque chose sur le personnage même de Superman, ainsi que sur notre propre société, la science-fiction et la planète Krypton permettant d’y poser un regard à travers le prisme de la religion, de l’écologie, des luttes de classe, etc. Basiquement, Krypton représente la Terre en fin de vie, un sort que Superman participe à tenter d’éviter.

Un portrait révélateur de Krypton

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Tel est l’ouverture de la série, Seg-El s’adressant directement à son petit-fils, mais également au spectateur, expliquant ainsi que la véritable histoire de la famille ne repose pas sur leur simple mort, mais sur tout ce qu’ils ont accompli avant. Là est le véritable héritage des El, un héritage de valeurs, de création, et non pas de mort, de fatalité. En effet, même si la majorité des valeurs de Superman lui ont été transmises par les Kent, son héritage kryptonien n’en est pas moins important. Il s’agit pour Kal-El d’honorer les combats de sa famille biologique, qui a eu une importance capitale dans la vie de Krypton. Même si la noblesse d’âme ne se transmet pas par le sang, il s’agit d’un trait qu’il s’agit de faire vivre dans cette lignée, notamment parce que la notion de maison est très importante dans cette société. Ce que la série nous propose, c’est de suivre le parcours d’une famille déchue qui forge à nouveau sa grandeur et dont l’existence est intrinsèquement liée à celle de Krypton.

Dans cette série nous est dépeint le portrait d’une planète constituée de plusieurs grandes mégalopoles fermées sur elles-mêmes et disposant de leur propre gouvernement. On suit dans cette première saison la société Kandorienne (de la ville de Kandor donc), où c’est la religion qui détient le pouvoir, le maître absolue de la cité étant le porte-parole du dieu solaire Rao, nommé la Voix de Rao. Quand Seg-El n’était encore qu’un jeune garçon, son grand-père Val-El fut condamné pour avoir déclaré que la vie existait en dehors de la planète, qu’ils n’étaient pas seuls. Une hérésie pour cette société portée par l’obscurantisme religieux, qui refuse de se placer comme une civilisation parmi tant d’autres. C’est cette faille qu’exploitera le vilain de cette saison, que chaque spectateur sait être Brainiac, dont l’existence même est d’abord complètement niée, ce qui lui profitera pour infiltrer directement la société Kandorienne en jouant sur le fanatisme religieux.

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Bien que Kandor soit fondamentalement dirigée par l’obscurantisme religieux, la science y trouve tout de même sa place dans une certaine mesure, celle de fermeture de la société sur elle-même, de perte d’humanité. C’est ce que l’on retrouve avec la chambre de gestation, qui permet à deux individus préalablement choisis en fonction de paramètres particuliers de concevoir un enfant sans aucun acte de reproduction. Par ce processus, on supprime le libre arbitre de l’enfant à venir, qui est déjà rangé dans une des classes composant l’élite de Kandor. La chambre de gestation semble en effet n’être réservée qu’aux plus riches, à ceux qui vivent dans les hauteurs de la ville, plus proches du soleil, plus proches du dieu Rao. Les pauvres, eux, doivent se contenter de vivre à terre, dans l’ombre, et survivre tant bien que mal. On assiste donc à une séparation bien nette des classes sociales, qui ne permet finalement que de redescendre pour parjure, comme cela est arrivé aux El, mais non de monter, à l’exception de Seg que le bras droit de la Voix de Rao voudra utiliser à ses fins. Au-delà de ces manigances, la détention du pouvoir est également remise en question par la révélation de Jax-Ur, qui dévoile que l’élite de Kandor assure le maintien de sa place au sommet par la création de clones, les rendant quasiment immortels. L’humanité quitte peu à peu cette société avec le rejet de la mortalité et de la reproduction charnelle. On notera d’ailleurs à cet égard que l’unique couple que l’on peut voir dans la série est celui que forment Seg et Lyta, prouvant que l’amour disparaît du modèle Kandorien (et probablement Kryptonien, mais jamais nous ne visitons les autres villes de la planète).

L’isolement des individus se matérialise également bien physiquement. Outre la séparation entre la terre et les cieux, on peut aussi observer que chaque ville dispose d’un dôme protecteur, les coupant de l’extérieur, créant leur propre climat, leur propre environnement. Quand on pense à Krypton, on pense à sa destruction, qui s’effectue bien souvent par la déstabilisation du noyau terrestre, provoquant l’implosion de la planète, et provoquée par la main des Kryptoniens. Ici, l’explication donnée quant à cette future destruction est relativement différente, ne rendant pas l’Homme directement responsable de la fin de son monde. Le discours écologique se fait ailleurs : des événements passés ont rendus la planète hostile à la vie, ce qui a forcé les Kryptoniens à créer ces dômes protecteurs, installant un climat propice à la vie. Dès lors qu’on quitte ces villes, on se retrouve alors dans des terres tout à fait inhospitalières qui sont fatales à l’Homme en quelques heures.

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Plus qu’un prequel, une série autonome

« Notre fin n’est pas encore écrite » ? Vraiment ? Simple formule de style pour signifier que le destin est à forger, ou une formule à prendre au pied de la lettre ? Bien entendu, les deux interprétations sont aussi valables l’une que l’autre, mais la seconde est particulièrement annonciatrice de la nature de l’œuvre dessinée par Goyer et compagnie. Krypton n’est pas un prequel, c’est ce que répète son acteur principal, Cameron Cuffe, et à juste titre. En incorporant le voyage temporel dans l’intrigue mère de la série, les scénaristes déclarent directement aux spectateurs que tout est possible, qu’aucune contrainte ne les empêchera de raconter une histoire pleine de rebondissements et de surprises. Si l’on pouvait douter aux premiers abords de ce parti pris, qui pouvait être vu comme un choix de facilité, on se rend bien vite compte qu’il s’agit d’une réelle plus-value au cœur même du processus narratif. En effet, si on commence la série avec un Adam Strange venu du futur pour prévenir l’effacement de l’existence de Kal-El, l’enjeu temporel se montre de plus en plus fort et ambigu au fil des épisodes. Cela permet tout d’abord de poser certains dilemmes : l’existence de Superman vaut-elle plus que celle de millions de Kryptoniens ? La tyrannie est-elle préférable à la destruction ? Ces questions prennent davantage de poids qu’il ne s’agit pas tellement de modifier le passé. Même si Krypton appartient au passé, autant pour le spectateur que pour Adam Strange, il s’agit bien du point d’ancrage ici : les personnages principaux sont de cette période, on suit la vie de cette période. Le point de vue est davantage celui d’un Terminator que d’un Retour vers le Futur, pour citer des exemples bien connus de la culture populaire. C’est un quotidien qui se voit perturber par des problèmes venant d’une autre époque, une que l’on ne vivra pas.

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Ainsi, la série n’est jamais vraiment manichéenne, elle ne nous propose pas un unique point de vue que l’on doit suivre. Le mélange des générations présentes et futures est intelligent pensé et utilisé pour livrer de nouveaux regards sur certains personnages que nous connaissons comme bons ou vilains. Ainsi, la maison Zod ne se verra pas résumée à la trahison et à l’ordre militaire, mais aussi à l’honneur et à la tradition, à l’héritage qu’il s’agit d’honorer. Les El, à contrario, souvent dépeints comme des idéaux plus que des personnages bien tangibles, se voient ici donner des visages imparfaits sans pour autant déshonorer les ancêtres de Kal-El. Les choix de ce dernier seront eux aussi remis en question, notamment sur son rapport à son héritage qu’il aurait renié en choisissant de se tenir en tant qu’humain. Mais la série propose également une réinvention plus profonde de sa mythologie en proposant notamment un changement de taille quant à la lignée de Kal-El. Une position difficile à tenir tant on peut rapidement partir dans l’insulte et le non-sens (coucou Gotham), mais qui se montre pertinente et innovante ici. Cette première saison n’insistera pas plus que ça sur les implications futures de cette révélation, mais l’idée est posée, elle a le mérite d’exister et de proposer une nouvelle direction. A partir de là, les cartes sont réellement redistribuées et l’histoire que nous connaissons n’est déjà plus celle racontée ici. La série apporte bel et bien sa pierre à l’édifice, par exemple avec la famille Vex qui se rajoute à l’équation, et dont le personnage de Nyssa est des plus réussis. Les trajectoires sont vouées à évoluer, à dévier, et pourtant, on ne peut que se demander si tel ou tel élément ne fait pas partie de l’histoire originale. Là est toute l’ambiguïté de la série : on ne nous impose pas un modèle de voyage temporel, le doute est constant sur la façon dont elle va ultimement traiter ce thème. Malgré les perturbations temporelles évidentes suite à l’influence de visiteurs du futur, la timeline ne suivrait-elle pas son cours initial ? Le futur est-il inévitable ? Le temps trouvera-t-il toujours un moyen d’arriver à la finalité prévue ? Pour une série « inutile et dont on connaît déjà l’histoire », Krypton pose tout de même sa bonne dose de questions et apporte tout autant de nouveautés.

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Tim Drake4
Tim Drake4
6 années il y a

Très bel article. Là où personne ne l’attendait, Krypton est parvenue à être une série passionnante, avec des personnages forts que l’on a envie de suivre. Et surtout, ils ont réussi à se permettre de modifier un peu la mythologie, tout en respectant le matériau de base, ce que n’a jamais réussi Gotham ( même si j’adore cette dernière ).

MoiToutSimplement
MoiToutSimplement
6 années il y a

Un très bon article pour une très bonne série

Popol
6 années il y a

Réussir à me donner envie de mater une série super héroique.
Il est fort ce mocmoc

Vittorini
6 années il y a

Il est vraiment très bien cet article. Les qualités de la séries sont bien mises en avant. On croise les doigts pour une S2 tout aussi attrayante et distrayante !

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