DC Spotlight #9 : Industrial Gothic

Retour vers Vertigo, dans les séries perdues et oubliées, à la recherche d’une pépite. Et plus qu’une pépite, c’est vers un artiste accompli que nous nous dirigeons ce mois-ci. Très peu connu en France, Ted McKeever est un dessinateur depuis son plus jeune âge. Profession rêvée et accomplie à travers divers métiers, il se fait scénariste et dessinateur. Réputé pour ses travaux indépendants (Eddy Current, Mertopol, Transit), il est connu des lecteurs pour avoirr eu le courage de lire l’intégralité de la Doom Patrol chez Vertigo, puisqu’il a assuré la partie graphique des numéros 75 à 87 écrits par Rachel Pollack. Un titre très critiqué, mais une période qui a été un des plus beaux souvenirs de Ted McKeever dans ce métier. Et surtout, un des rares postes qu’il a conservé sur un titre régulier.

Bien plus connu en tant qu’artiste qu’en tant que scénariste, on ne peut le lier à un unique style graphique. Plus qu’une simple évolution de son trait comme Tony S. Daniel peut décrire la chose, Ted McKeever adapte la forme au ton qu’il souhaite donner à sa création. Le dessin est pour lui, comme il le dit sur son blog, une image qui apparaît, et lui, n’a que cette envie de la reproduire telle qu’elle est. Ne vous limitez pas à ce que vous allez voir, ou à ce que vous avez pu lire auparavant, chacune de ses créations a une identité propre. On va donc s’attaquer à un petit trésor de chez Vertigo. Aucun format relié, une bataille pour publier en single, sans le succès mérité, Industrial Gothic est une des séries rendant le plus fier son créateur.


Approcher Industrial Gothic c’est comme se forcer à quelque chose. Rien n’attire, à première vue, mais passé la première page, on ne décroche plus. Je ne parle pas de système de narration révolutionnaire, mais d’une série nous prenant à la gorge et nous maintenant les yeux ouverts pour comprendre cette vision du monde. Et tout cela à travers un road-trip. L’histoire est celle de Pencil et Nickel, deux détenus. Pencil est né dans cette prison est n’a connu que les barreaux. Nickel a été incarcérée, faute de n’avoir ni bras, ni jambe. Et la vision d’une femme comme elle est jugé trop affreux par une société se voulant correspondre à un idéal esthétique illusoire. Ils sont deux amis, très proches, et décident de quitter cette prison dans l’espoir de trouver ce que certains appellent la Tour d’aluminium. Un lieu où chacun est accueilli à bras ouverts, et accepté tel qu’il est.

Le synopsis dévoile déjà une critique sociale forte, avec ce contraste entre une société inhumaine – ou un peu trop humaine, si on se fie à sa nature – et un lieu utopique. Unique échappatoire pour ces deux fugitifs. A travers un road-trip où le danger ne se fait sentir que par la simplicité des protagonistes, leur vulnérabilité, l’idéal du couple est vite perçu comme étant le voyage en lui-même. Le fait de braver les dangers, et de vivre des aventures, plutôt que de passer d’un endroit clos à un autre. Un pressentiment d’une désillusion future. Une course après soi-même, puisque nous nous retrouvons avec des protagonistes indifférents, deux coquilles vides, en quête d’un monde où ils pourraient devenir quelqu’un, sans jamais en démontrer une quelconque prétention au cours de l’aventure. On notera aussi la portée autobiographique, ne serait-ce que par le nom de Pencil. Et au-delà même du nom, Ted McKeever a répété à propos d’Industrial Gothic, qu’il s’agissait de l’une de ses œuvres les plus personnelles. Seulement, les détails sur sa vie sont très rares, et il en devient très difficile de trouver les éléments vécus ou non. Surtout lorsqu’on connaît l’imagination du bonhomme. On se retrouve à chercher et à se créer des hypothèses farfelues sans aucun moyen de les vérifier.

Requiem for a comic-book

Un synopsis qui sonne à la fois comme correspondant à une catégorie même, où l’écriture est faite pour contenter le lecteur en répondant aux attentes générées par son premier contact, face au genre même. Loin de là. Ted McKeever a une façon de penser, de voir les choses. Celles d’un artiste, et surtout d’un rêveur. Le rêve est un des nombreux thèmes, multiples fils rouges de la mini-série. Qu’il s’agisse de vision, ou même de perception où la mise en scène joue un rôle très important – j’y reviendrai. Le rêve intervient dans l’intrigue même, dans ce monde fantastique censé représenter le nôtre, et où l’aventure pourrait n’être qu’un rêve. Sur ce plan, l’auteur nous laisse une vaste liberté d’interprétation. Un monde sombre, trop sombre pour être décrit comme réaliste, mais aux composants semblables aux nôtres. Des passants, des commerces, des habitations. Mais au décor qu’on qualifierait aujourd’hui de post-apocalyptique. Société rejetée des protagonistes, et à leurs yeux, détruite. Comme pour ce qui est de la portée autobiographique pour nous, une difficulté à démêler le vrai du faux se présente à Pencil.

Ted McKeever nous sert une analyse de la notion du couple de manière très intéressante. Pencil et Nickel ont une relation non-avouée, mais connue des deux personnages. Un entre-deux laissant le couple libre, et à la relation officiellement amicale. L’image même du couple se trouve complètement changée. Nickel ne peut se déplacer, et pour ce voyage, Pencil porte un harnais auquel est également attachée Nickel. Un lien permanent les unis, et aucun ne peut se défaire de l’autre. Une dépendance est déjà installée. La rupture de ce harnais signifierait la fin de toute relation, puisqu’il se révèle être l’unique lien physique entre les deux personnages. C’est bien ce qui définit l’univers du titre, donnant comme ce harnais, un aspect physique à ce qui ne l’est pas. Ce qui procure un sens aux éléments les plus surréalistes de l’histoire. Car c’est bien un autre aspect très proche des créations de Ted McKeever. Si vous avez lu un de ses titres, ou même vu une de ses créations, on ressent facilement un esprit révolté mêlé à une folie crasseuse. La révolte, Ted McKeever en fait une force continue à travers ses titres. La révolte se fait ici contre l’illusion, pour un sentiment créé, laissant place à une haine pour ne laisser que la paix avec soi. Un esprit qu’on pourrait même qualifier de punk si on s’intéressait à Junk Culture, du même auteur chez Vertigo. De cet esprit de révolte, entraînant cette fuite de la prison, découle la vie en marge de la société, et l’aventure qui nous fera découvrir, par la suite, d’autres personnages déjantés.

Industrial Beauty

La beauté elle-même se retrouve bousculée. On se retrouve attiré par le personnage de Nickel, qui apparaît comme un idéal féminin au sein de cet univers alors que la retranscription de notre société la rejette. Aucun message moralisateur, ou recherche de prise de conscience pour quoique ce soit, Nickel est un personnage féminin comme un autre. Elle possède son caractère, ses désirs, ses peurs, et ne conserve qu’une légère part de mystère créée à partir d’un rien lui procurant un certain charme. Ted McKeever accentuera l’écart entre Nickel et l’idéal consensuel, à travers une représentation parfois érotique du personnage malgré l’absence de ses membres. Changement radical de vision de la beauté, une beauté enfin sorti de sa vision idéalisée profondément inscrite dans une société aux codes rigides. Il ne s’agit pourtant pas de l’unique personnage féminin, mais l’obsession créée autour d’elle, à partir de Pencil, expose bien les talents d’écriture du scénariste/dessinateur.

Parlons donc du dessinateur. Ted McKeever use d’un style épuré, nous laissant une perception floue du monde, en accord avec le personnage principal. Ceci par un style généralement peu détaillé, mais à la mise en page fabuleuse. Une perception agissant beaucoup dans la sélection de gros plans, majoritairement. Beaucoup de faces à faces, et l’impression courante d’être un personnage extérieur, ou de voir à travers les yeux mêmes de Pencil. Seuls certaines cases se permettent un plan large pour exposer les faits. Une perception floue fortement remarquée par des transitions soignées, de cases hautes et fines, qui s’affinent plus encore, et se tordent au fur et à mesure, pour disparaître et nous laisser revenir à nous brutalement. Tant de choses aussi insignifiantes, mais réalisées avec minutie. Ce soin du détail, créant une forme de beauté incrustée dans cette oeuvre derrière son aspect à première vue sale et négligé. Une technique si propre, en contraste avec les traits brutaux, renvoyant à l’essentiel du dessin, et à l’unique perception du trait. Un fait désiré, puisque l’artiste se dévoilera capable de travaux bien plus complexes dans cette mini-série. En particulier dans la représentation de nus, où le détail semble être nécessaire pour représenter l’essentiel.

Les qualités du titre peuvent aller encore plus loin puisqu’il possède, en particulier dans son introduction, toutes les caractéristiques brutes du roman graphique. Au delà des thèmes, c’est un condensé de techniques narratives, de styles graphiques incrustés finement. Et ce comme les multiples références incrustées. Un titre qui plaira aux lecteurs en quête de « nouveautés » Vertigo, ou aux amateurs de Garth Ennis, de lectures étranges  (ça va avec, non ?) comme de qualité. Et même si la mini-série est malheureusement courte pour l’exploration de cet univers fantasque. Même si celui-ci peut vous dérouter. L’univers de Ted McKeever s’explique. Il rend physique, à travers ces représentations, ce qui est dans le monde réel invisible. Et pour ce critère, comme pour la réalisation de ce projet, Industrial Gothic est un titre qui mérite sa place sur le podium, et qui sait, une réimpression ?

En passant par les liens affiliés BDfugue/FNAC/autres présents sur le site, DCPlanet.fr reçoit une faible commission. Qu’importe le montant de votre panier, vous nous aidez ainsi gratuitement à payer l’hébergement, modules, et autres investissements pour ce projet.

Watchful

Watchful

Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
DC COMICS : L'ENCYCLOPEDIE ILLUSTREE

DC COMICS : L'ENCYCLOPEDIE ILLUSTREE

amazon
Voir l'offre
Patientez... Nous cherchons le prix de ce produit sur d'autres sites

À lire aussi

Shazam : La Rage des Dieux [DVD]

Shazam : La Rage des Dieux [DVD]

amazon
Voir l'offre
Patientez... Nous cherchons le prix de ce produit sur d'autres sites

Rejoignez la discussion

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

3 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Blue
6 années il y a

Askip c’est bien, faudrait peut être en faire un podcast…
comment image

Harley
Éditeur
6 années il y a
Répondre à  Watchful

HAN. SPOILERS. SPOILERS EVERYWHERE.

DC Universe FRA

Rejoignez la première et la plus grande communauté non officielle DC Comics Francophone et participez aux discussions Comics, Films, Séries TV, Jeux Vidéos de l’Univers DC sur notre Forum et serveur Discord.

superman
3
0
Rejoignez la discussion!x