Off My Mind #53 – La représentation du mouvement

Au-delà de l’artiste, de l’équipe créative et du créateur une chose surpasse cet ensemble. Cette chose est la technique. Une technique touchant à l’écriture comme au dessin. Si Joan Lee n’avait pas poussée Stan à user d’une forme de lyrisme dans les comic-books, ils n’auraient certainement pas eu le succès actuel – un bisou au commis pour la réf. Sans être le créateur de cette technique, il a permis au bon développement et à l’insertion de celle-ci. Passons au sujet de notre article, touchant à une technique qui me semble primordiale dans l’expression visuelle du comic-book. Si nous cherchons à différencier les comics d’une Bande-dessinée, ce qui saute aux yeux est généralement un mouvement continu d’une page à l’autre. Le dynamisme de l’aventure, provoqué par diverses techniques scénaristiques et graphiques. Et la technique graphique première est bien celle de la représentation du mouvement. Parce qu’il ne suffit pas de tirer trois traits derrière une cape, ou d’estomper les traits représentants un corps pour lui donner du mouvement. Retraçons les origines de ces techniques et leur application dans un certain ordre chronologique.

Le mouvement dans l’art, origine technique

Dès les premières créations dans l’art préhistorique, lors de représentations de scènes de chasse, le corps est bien souvent représenté en mouvement. Qu’il s’agisse de l’homme qui accourt, ou du mouvement du troupeau, la simple présence d’une direction unique suggère la présence de mouvement. Le mouvement se perd au profit d’une représentation iconographique représentative d’un système social, d’une hiérarchie. La représentation est bien plus statique, et le mouvement uniquement présent par l’analyse de la scène et sa compréhension. Dans sa technique et représentation, le mouvement n’est alors pas encore réellement défini, mais on peut dès lors voir le mouvement créé à partir d’une rupture de la représentation statique. C’est à dire grâce à la disposition du corps, à la posture du sujet. La représentation du corps se fonde sur une asymétrie, un étirement des membres dans une direction. Les artistes usent de divers éléments pour accentuer la présence de mouvement. Ils exagèrent plus ou moins la forme du corps, utilisent souvent des draps de couleurs vives poussés par un vent créant de ce fait de nombreux plis. Ces plis composés de traits s’étirent. Le contraste entre le sujet immobile et le tissu, poussé par le vent, est courant dans l’art pictural. A titre d’exemple, les comics usent encore aujourd’hui de cette technique pour tout super-héros muni d’une cape. Nous reviendrons sur ceux-ci plus tard. Dans l’art antique égyptien, grec, le mouvement est très souvent représenté. Qu’il s’agisse d’une masse se dirigeant dans une direction indiquée par un personnage iconique, ou de prouesses de héros, la mise en valeur d’un personnage passe généralement par le mouvement, par la posture le mettant en valeur.

La vague impressionniste jouera sur le mouvement, en tant qu’effet secondaire. Face à un tableau inscrit dans ce courant, la technique du peintre impressionniste, par l’effet de flou intense, procure une facilité à imaginer l’image en mouvement par l’absence de contours, et une domination totale de la couleur sur le trait. Les Coquelicots de Claude Monet, terminé en 1873, joue sur différents plans avec cette notion du mouvement. La répartition des couleurs sous-entend un vent fort et un mouvement des champs déplaçant uniquement cette vague de couleur. Les personnages présents en premier plan sont sujets à un mouvement indiqué par une longue traînée de couleur laissée derrière eux. Il est possible qu’il puisse s’agir d’un simple chemin, comme il est probable d’y voir un flou si nous prenons en compte les personnages en arrière-plan et imaginons qu’il s’agisse de ces mêmes personnages. De ce point de vu, Monet use d’un principe qui deviendra bien à la mode quelques dizaines d’années plus tard, concernant le mouvement.

Pendant que Monet peignait ce célèbre tableau, Etienne-Jules Marey s’intéresse au mouvement du corps, et s’intéresse à sa décomposition à l’aide d’instantanés photographiques. Il créera de ce fait bon nombre d’appareils ensuite utilisés dans d’autres domaines, mais aussi la chronophotographie. Ce qui engendrera une série de courants sous diverses formes, ainsi que le début d’une passion pour l’image en mouvement. La chronophotographie est donc la division en images d’un sujet en mouvement, le mouvement est lui-même compris par la pose du sujet, mais il s’intensifie par la présence répétée de ce même sujet dans diverses positions se succédant, donnant au mouvement un ordre, une direction et une série d’actions différentes.

Le mouvement devient centre d’intérêt, jusqu’à ce que le cinéma ou le futurisme s’approprient le mouvement dans des représentations plus ou moins abstraites. Le mouvement, difficilement perceptible, brise le réel. Plutôt que de représenter un sujet en mouvement, l’artiste va se concentrer sur cette difficulté que nous avons à le percevoir. Le mouvement devient art à part entière dans les années 60, et cette technique de la chronophotographie, cette division du mouvement par la multiplication de représentations sur un intervalle, devient sculpture, peinture de plus en plus abstraite sous le nom d’art cinétique. Ce n’est pourtant pas à travers cette technique que le mouvement trouve sa représentation à travers l’évolution des positions du corps. Cette technique était déjà présente dans les vitraux illustrant quelques récits bibliques.

Comic-books, une même technique du mouvement

Les comics, c’est l’histoire d’une image dépendant d’autres images. Une case doit nécessairement être soutenue par une autre pour une bonne compréhension de l’histoire racontée. L’art séquentiel est le cœur du comic-book. Et ce cœur est composé de la notion de mouvement. Pour cela je vous renvoie au roman/essai graphique de Scott McCloud, qui n’est plus à présenter, ou à l’essai d’origine, qui n’est autre que celui de Will Eisner lui-même, pour plus de détails.

Pour autant, le mouvement ne dépend pas uniquement des cases, mais par dessus tout, de ce que celles-ci contiennent. On peut créer ici un lien entre les enluminures et les cases de bande dessinée pour cette relation entre le texte et l’illustration, pour cette relation continue entre les enluminures. Il n’est pas question de mouvement, les poses sont très souvent statiques, mais ces images témoignent d’une progression dans l’histoire racontée, et une évolution des personnages dans l’espace. A l’origine, le mouvement, dans les comics tout comme dans l’histoire de l’art, se manifeste par les posture des héros, et quelques traits tirés derrière lui indiquant le mouvement. Code classique, et poses héroïques, aujourd’hui, grand cliché du genre. Les postures créent une action, et un dynamisme flagrant à titre de comparaison. J’en prends pour exemple les premières aventures de Superman ou Batman, où les sauts exagérés de Superman sont exprimés par un décor éloigné, une pose, mais surtout, par une série de trois traits noirs épais ou plus, dont l’espace les séparant est parfois rempli de blanc. Il en va de même, lorsque Batman envoie un ennemi dans le décor. L’utilisation de ces lignes dans la bande dessinée est officiellement attribuée à « L’Histoire de Mr. Vieux Bois » de Rodolphe Töpffer en 1837, alors que cette technique venait à peine de se développer dans le monde de l’Art.

L’entrée dans le Silver Age est particulièrement marquée par l’évolution de la représentation du mouvement. Ce n’est pas un secret si je vous dis que Carmine Infantino en est le premier responsable. En plus de redéfinir le costume de Flash et le personnage en lui-même, l’artiste associe deux techniques pour exagérer la chose, provoquant un sentiment de mouvement imperceptible. Deux techniques empruntées à l’art cinétique et au dessin. Carmine Infantino reprend cette représentation classique du mouvement, qui est l’association de traits. Il les rend droits, raides. Étire ces lignes le plus possible, et les multiplie dans cette même rigueur, ce même ordre parallèle. A l’intérieur de ce mouvement d’ores et déjà flou, il représente d’un trait fin, à peine perceptible, la silhouette du héros. L’impression de vitesse ne se limite pas à ce travail minutieux. Avec cet art cinétique, Carmine Infantino sait que la couleur doit jouer sur les nuances pour amplifier cette sensation de vitesse extrême. Les nuances sont difficiles à réaliser et Flash devra se contenter d’un rouge vif et une nuance rosée, visible dans l’édition d’Urban Comics, Flash, La Légende Tome 1. Et tout ceci, en représentant Flash dans les postures les plus dynamiques possibles. Carmine Infantino a gagné, avec cette association condensant une grande partie des techniques de représentation du mouvement, en plus d’un nouveau design faisant de Flash, un sujet apte à rendre optimal la sensation de vitesse, dans une forme d’harmonie entre le rôle de la couleur et du trait.

Avec le temps, d’autres techniques apparaissent, incluant ces petits traits fins, visibles à l’extérieur des traits délimitant les formes d’un corps, afin de lui donner un effet de mouvement. Ces traits sont souvent utilisés pour représenter un mouvement bref, ou un tremblement. On retrouve cette technique très présente dans les mangas, et pour ce qui est des comics, chez Jim Lee. Un rapport entre l’artiste et un genre auquel on le rapporte souvent. Ils peuvent être isolés, multipliés selon l’effet recherché. Une dernière technique, dont je n’ai pas parlé car très peu efficace, et difficile à percevoir, le mouvement indiqué sur l’élément en mouvement. Il peut s’agir d’une succession de traits courts, et fins, dans le but d’indiquer le mouvement. Cette technique est rarement efficace car s’il s’agit d’un personnage en mouvement, la position de son corps suggère le mouvement de manière bien plus probante. Pour prendre un exemple où cette technique est remarquée, prenons un Batarang lancé. Celui-ci aura donc quelques traits tirés vers l’endroit d’origine, marquant un mouvement vers une destination approximative ou inconnue. Le mouvement peut être accentué justement par la présence de traits, fins et courts, présents vers l’avant du Batarang, tirant vers l’arrière de l’objet. Cela vaut pour un Batarang comme pour le mouvement d’une cape.

Aujourd’hui ces techniques ne se perdent pas, mais sont de plus en plus remplacées par un effet de flou informatique. En tant que nouveauté ou parti pris artistique, la chose est bienvenue. Malgré mon avis mitigé envers Justice League Origins de Geoff Johns, je suis forcé d’avouer que les planches de Jim Lee sont surprenantes, et les effets informatiques, efficaces. Le plus dérangeant serait la domination de ce flou moderne sur l’ensemble de ces techniques qu’on pourrait qualifier « d’artisanal ». Le dessin viendra toujours de la main de l’homme, mais une main sans technique ne livrera jamais une performance d’artiste telle que ceux qui ont fait l’histoire du comic-book.

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Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
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jb681131
jb681131
6 années il y a

Inintéressante idée cet article, mais une autre représentation du mouvement que tu ne mentionnes pas c’est le dessins de plusieurs fois le même personnage dans la même case à différent moment de l’action avec le premier étant plus claire en couleur et le dernier en couleurs standards.

comment image

On vois aussi parfois la multiplication des bras et des jambes pour induire une course rapide ou quelque chose fait à plein vitesse.

Egalement il peut aussi y avoir l’utilisation d’onomatopées.

Ensuite je sais que tu dois parler que de Comics uniquement mais je trouve que Franquin dans Gaston Lagaffe était aussi très très doué pour représenter le mouvement:
http://images.lpcdn.ca/641×427/201705/08/1399153.jpg
comment image

jb681131
jb681131
6 années il y a
Répondre à  Watchful

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