Off My Mind #50 – Critiquer les comics

Lecteur comme rédacteur, la critique est un milieu apprécié, ou non, pour diverses raisons. Vue comme un développement sacré et unique pour certains, ou comme un ensemble de périphrases inutiles pour d’autres. Il faut déjà séparer critique et critique. Une forme de critique peut s’avérer intéressante pour sa vision d’une oeuvre et décortiquer ce que le rédacteur en a retenu ou a pu y voir. Des éléments à côté desquels certains ont pu passer. La vision du lecteur sur le critique ne concerne que le lecteur. Il peut s’y retrouver ou admirer sa vision des œuvres jusqu’à le suivre, le danger étant de ne plus réussir à avoir sa vision de l’oeuvre et de ne plus jurer que par une critique – ou plus précisément, la vision critique d’une unique personne. Ce qui peut sembler évident, mais qui parlera à chacun, puisque nous avons tous été insouciant jusqu’à une forme de réveil. C’est donc là le problème que peut rencontrer le lecteur, en faisant, inconsciemment ou de son propre chef, barrière à toute autre vision pouvant contre-dire la sienne et ne jamais remettre en question sa vision de l’oeuvre. On retrouve cette remise en question dans une forme d’adaptation de notre regard face à un style graphique d’un artiste qui nous déplaît et qu’une fois ressorti de la bibliothèque, après une seconde lecture, finit par nous plaire.

Cet article un peu particulier, et sans réelle structure, va tenter de comprendre le comics et fixer les attentes crées par les auteurs – qui sont les attentes créées du lecteur. Toutefois, je pars du principe que la critique est subjective. Et qu’une critique qui tente d’être objective est une critique incomplète, comme une critique essayant d’être subjective. Le ressenti compte tout autant que l’analyse. Et savoir séparer le ressenti du contenu, et inversement, est la base de la critique, pour les comics comme pour toute autre oeuvre. Le ressenti provoqué étant important, puisque recherché par les artistes/créateurs, tout comme le contenu répondant à une succession d’événement apparaissant de telle sorte, laissant un temps calculé pour provoquer ce ressenti à un degré estimé par le scénariste, en ce qui concerne les comics.

La première forme de critique de comics consiste de suite à séparer histoire et représentation graphique. Comme une première étape obligatoire, ce qui n’est au final qu’une analyse rapide d’un numéro ou d’un arc. Ce qui est au final une erreur, puisque si on peut vouloir opter pour cette analyse, brève mais efficace, elle reste une analyse partielle et réductrice dans la considération du comic-book. Hors, considéré comme sous-culture, dans le monde de la bande-dessinée, considérée elle-même comme sous-culture chez les grands esprits de diverses cultures savantes, il est difficile d’aller bien plus loin. Ceci étant bien sûr plutôt général. Mais cette vision négative du comics s’explique par son système de production rapide et de ses personnages destinées à l’origine aux enfants. Cette considération se limite à des préjugés ou à peu d’exemples. Et cette production massive de comics donne un sens à la critique, moyen de filtrer ces comics se rapprochant de l’art et ceux se limitant au divertissement. De la même manière qu’un critique de cinéma sépare les blockbusters des films d’auteur, délimitant la création à portée commerciale, et la création à portée artistique dans la recherche de reconnaissance, ou du beau, ou de satisfaction personnelle. De l’art.

Le premier problème qu’on peut rencontrer avec les comics est le manque d’investissement chez certains auteurs, créant ainsi un fossé entre les comics et l’art. Les comics, c’est une histoire d’industrie. Certains crieront au capitalisme, que le pouvoir est aux entreprises, et ils n’auraient peut-être pas tort dans cette situation. Et si l’histoire des comics possède bon nombre de contre-exemple, le sujet ne concerne pas l’histoire des comics. Dans le monde actuel des comics, un artiste peut demander telle série selon son influence, ses capacités. Cependant, l’éditeur peut imposer une série à une équipe, tout comme un artiste peut rejoindre une série demandée par un autre, alors que le premier n’a pas envie de travailler dessus. Roy Thomas l’avait compris dans les années 80 et choisissait ses artistes lorsqu’il le pouvait selon l’implication que pourrait avoir l’artiste. C’est aujourd’hui plus difficile, même si, à une époque, les chemins de Grant Morrison et Frank Quitely se croisaient beaucoup. Les comics produits par ces deux compères ont été de francs succès. Les critiques se sont emballés pour leurs histoires des X-men, et concernant DC, All-Star Superman reste une référence concernant le premier super-héros. Le premier facteur étant déjà l’implication de l’artiste en plus de son talent – comprenez, la technique. On peut dors et déjà séparer les comics produits par imposition, et ceux créés avec cette implication commune d’une équipe artistique.

Les comics écrits avec le sentiment d’imposition sont déjà remarqués par le rôle joué du titre et le fil rouge relié, de plus ou moins près à une forme d’événement dans lequel les artistes ne se sentent pas réellement impliqués, encore une fois, mais y voit en plus une gêne dans leurs projets si jamais ils avaient cette envie de développer une histoire autre que celle-ci autour des personnages dont ils ont la charge. Ces situations sont généralement le cas de ce qu’on appelle les « seconds couteaux ». Dans ces titres on peut y trouver des bonnes et des mauvaises surprises comme le Justice League Dark de DeMatteis ou la Justice League United de Jeff Lemire. Il en va de même concernant les remplacements. Ben Percy qui a travaillé avec John Paul Leon sur un arc en deux parties intitulée Terminal dans Detective Comics #35-36 étaient deux numéros surprenants. Un arc tenant le rôle d’interlude pour les vacances de Buccelato et Manapul, stars du titre, alors que cet interlude surpasse les arcs écrits par ces dites « stars » par un thème pertinent dans l’époque où il se situe. On peut reprocher son manque de profondeur, mais le symbole de Batman, comme l’ambiance et la fragilité de l’homme est prise en compte sans jamais trop en faire.

Le comics d’aujourd’hui ne dénonce qu’en sous-entendant. Si bien que le moindre thème, la moindre référence est si surprenante qu’il en devient souvent un coup de cœur. Et sur ce plan, Marvel tient tête et surtout en ce moment. Comme a pu me le dire une connaissance que j’apprécie à propos de Secret Empire et de l’écriture de Nick Spencer sur Captain America : « Il y a le fait que c’est aussi le seul auteur actuel (avec Priest dans une moindre mesure) à réussir à intégrer de façon intéressante de la géopolitique et des questions d’actualité tout en conservant l’ADN Marvel du héros proche des personnes, la déconstruction du personnage de Rage – c’est incroyable comment il en a fait un martyr, le moment où Steve Rogers fait une méta-critique de Civil War 2 dans The Oath, l’intégration des réseaux sociaux (c’est à dire un flux constant de négativité, de haine et de délation), la questions des sans papiers et réfugiés de tout types (du sidekick clandestin), la nuance des discours populiste qui ne sont qu’une réponse logique à un système déconnecté des gens, … C’est loin d’être le divertissement brainless, Spencer a vraiment réussi à faire un truc ancré dans son époque. »

On touche ici à un autre degré de la critique, car on touche à un autre degré du comics. Et ce qu’a su démontrer mon cher Kira, est qu’au travers de Captain America et l’événement Secret Empire, Spencer a su trouver en Captain America une réaction face à notre monde, ce qu’au final a toujours cherché à retranscrire Marvel. Et face à un monde évoluant de la pire des façons, Captain America devait en faire autant pour agir de manière radicale. En faire une critique sous-entendrait de comprendre l’ensemble du run de Spencer. Mais on touche à un autre domaine que celui du simple divertissement. Et c’est une autre approche qu’il faut savoir établir entre le comics ayant pour but de divertir de celui qui a une autre prétention. Il s’agit donc des attentes mais aussi d’une forme de classification du comics, qui conserve cette forme de divertissement, mais avec la volonté d’être une réécriture (All-Star Superman), d’être une critique politico-sociale (Captain America) ou du divertissement  de qualité où les scénaristes travaillent leur intrigue et son approche (Justice League United, Superman, Batman).

Dans ce cas, un bon comics devrait-il être uniquement une critique sociale, dénonçant notre système, les inégalités dont elle regorge ? Non. Absolument pas. Même si, pour ces raisons, Dennis O’Neil et Neal Adams seront des artistes aux noms gravés sur une roche sacrée, le comics trouve son origine dans le divertissement, et vous apprendrez que le créateur de DC Comics avait cet objectif de divertir et d’instruire. Donc, la réécriture est tout aussi importante, tout comme le divertissement. La critique d’un comics est donc la critique d’un divertissement et du plaisir qu’on y trouve. La critique du comics concerne donc la gestion de l’intrigue, l’utilisation du symbole, le respect qu’on y porte, comme l’évolution et les variations qu’on y trouve dans les aventures du héros. C’est d’ailleurs pour cela que nous parlons plus de scénariste que d’auteur. L’auteur sous-entend la création et la problématique, que nous pouvons tout de même retrouver chez le scénariste, mais qui ne s’impose pas.

C’est donc, je pense, à travers l’analyse de l’intrigue et des éléments pouvant se trouver dans un comics que nous pouvons ainsi le juger. Les attentes se limitant à celui du divertissement, ce qui explique l’effet de surprise de thématiques relevant d’un regard critique sur le monde réel. La représentation graphique dépendant de bien d’autres facteurs dont Wonder Woman Earth One témoigne parfaitement (plans, cases, mise en page). Et sur ce plan technique, Scott McCloud expliquera mieux et plus en détail ce qu’il faut savoir du storytelling dans ses travaux que vous pouvez trouver chez Delcourt, à travers lesquels il décortique le comics de l’idée à la construction des scènes, leur représentation et l’origine des effets produits. L’analyse de l’image se faisait par le biais de la photographie, la peinture, ou le cinéma, il ne faut cependant pas se limiter à une catégorie et multiplier ses connaissances pour améliorer son regard. Car au final, nous devons l’existence des comics grâce aux cultures qu’ils vulgarisaient.

Les comics ont cet avantage, justement, de faire le lien entre la littérature et l’art pictural, en témoigne Alex Ross avec Icones, sortie il y a peu chez Urban. Un moyen de jouer entre le langage du corps, de la représentation (on parle bien de plan en cinéma comme en comics), et à cette utilisation de la mise en page qu’on su utiliser bien des auteurs et des artistes. Et pour cela je prendrais le récent Batman #21 qui m’a redonné la sensation de ce qu’est un vrai comics liant divertissement inscrit dans une continuité avec un sens de la représentation et de la gestion de l’intrigue qu’il est rare de voir de nos jours chez les Big Two. Critiquer un comics, c’est critiquer avec les émotions ressenties, et les éléments ayant provoqués ces émotions. Savoir adapter son jugement selon ce qui nous est donné à lire, et apprendre des scénaristes comme des dessinateurs pour relever les défauts et les qualités de certains qui peuvent cependant plaire à certains ou ne pas les déranger dans leur lecture.

Pour approfondir le rôle de la culture populaire et des héros de notre siècle, je profite de cet article pour vous recommander « De Superman au Surhomme » de Umberto Eco. Un essai qui date, qui ne parle pas uniquement de comics, mais qui est un des premiers essais développant un regard positif sur le super-héros et sur ce qu’il représente. Mais aussi sur le rôle du comics et, au long de ce recueil d’essais, la gestion de l’intrigue et son importance dans la culture en général.

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Watchful

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Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
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crazy-el
crazy-el
6 années il y a

Que je suis donc d’accord avec ce que tu apportes. Il aurait tellement à dire, beaucoup de chapitres. lol Pour ma part, je respecte un Critique quand il sait s’effacer devant les auteurs, il ne tente pas d’exprimer ses attentes ou d’élaborer ses connaissances(il peut toujours le faire en conclusion, mais ne doit pas transpirer toute sa critique). J’aime sentir et connaître son point de vue sur la vision des auteurs. Ceci est plus fragrant pour les périodes du Golden et Silver Age, il a quelque chose de redondant:  »c’est cool »,  »c’est le fun »,  »c’est ridicule ». Un vrai Critique de longue date, avec expérience sur ces périodes, peut vous faire comprendre ce qui est sous-entendu et il a une clé essentielle pour le décoder: une ou deux cases peuvent donner une réponse à la compréhension du titre, le reste est d’une évidence que c’est un divertissement, mais il a un plus. Il faut lire les réponses du courrier au lecteur dans les comics DC au cours du Silver Age: savoureux et sarcasmes de la part des auteurs qui répondaient à certains lecteurs qui critiquaient sans avoir compris. lol Ça pas beaucoup changé en fait. lol Ceci étant dit, que j’aime ce billet Watchful, merci.

Mortphine
Mortphine
6 années il y a

Article cool sur un theme qui minterese, je voudrais revenir sur un détail quand tu parle du fait que dans une critique il faut de l’objectivité/analyse et de la subjectivité dans une critique mais je pense que lobjectivité n’existe pas et que met une analyse releve de notre interpretation et du jugement de valeur qui permet de designer quelque chose de bon ou mauvais, et donc que cest subjectif. A moins que lon considere que lobjectivité cest analyser une oeuvre par rapport a des choses qui sont bonne ou mauvaise selon le consensus (quel consensus?), ca peut avoir un certain interet mais je naime pas trop les consensus cest avec les divergence, dopinion quon fait avancer le debat.
Le hasard a fait que en ce moment je lis un livre dhumberto eco « les limites de linterpretation » qui parle de litterature mais qui peut etre interesant avec  » superman au surhomme » a moins que ce soit hors-sujet
En tout ca cest cool comme article jespere que yen aura d’autre comme ça
Et jespere que ce que jai ecrit est comprehensible et que je nai pas fait trop de faute mdddr

crazy-el
crazy-el
6 années il y a
Répondre à  Watchful

Je ne crois pas que les auteurs de Comics ont cette ambition philosophique quand ils pondent leurs histoires. lol Ces gens sont purement dans la créativité, ils doivent créer sur le même personnage des histoires depuis sa création, le seul point qu’on leur demande est qu’on reconnaisse la  »marque » de DC. Dans les entrevues avec les auteurs sur les Web magazine, il a quelque chose de récurrent chez eux quand ils disent  »je voulais livrer une histoire, dont on aurait plaisir à partager. J’espère que les gens apprécieront », on lit très souvent ce genre de choses, pas plus que ça. Ces scénaristes doivent à quelque part enlever leurs verrous pour pouvoir raconter des trucs mille fois vus et revus. Ils doivent le faire pour les nouveaux lecteurs, qui est un faux débat dans la critique, quand on entend dire  »rien de nouveau »,  »mal écrit »(comme si on savait comment l’écriture d’un Comics book était construite, comme s’il avait un absolu dans l’écriture, etc). Dans ce sens il est possible d’être objectif. En tout cas ici je partage l’idée de Paul Levitz qui enseigne justement l’écriture et la conceptualisation du Comics Book à l’Université.

crazy-el
crazy-el
6 années il y a
Répondre à  Watchful

Je ne dis pas que tu peux pas faire de la  »philo » avec ça, tout est philo dans la vie et des activités humaines. Je souligne volontairement le travail du créateur en soi, ce processus qui me permet de sentir/ressentir qu’il prolonge ce long héritage. Pour moi la création artistique comporte toujours le passé, présent et futur dans son discours. Pendant que l’artiste fait une récréation de ses prédécesseurs, avec son acte et son geste, il assure désormais le langage de ceux qui viendront après lui. Ce qui est malheureux pour moi lol lol il existe une rupture de ce processus dans l’esprit des lecteurs et certains critiques en  »herbes » qui ne tiennent pas compte de ce passé, je lève mon chapeau à ces créateurs qui soutiennent cet héritage passé, présent. C’est difficile pour moi de me faire comprendre dans ce sens là lol Morrison résume bien ce processus créatif au sujet de Damien, il disait ceci à chose près: mon travail créatif sur Damien est terminé, maintenant je sais qu’on poursuivra cet héritage laisser à l’Éditeur. Ça va de soi qu’on rencontrera des moments plus  »faibles » pour un lecteur, mais pas pour un créateur, ce dernier saura poursuivre ce qui était  »faible », il saura y trouver un moment lumineux dans ce moment.

ian0delond
6 années il y a

Très bon Off My Mind

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superman
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