L’Humeur du Lundi #23 – DCEU et double expresso

Situation commune dans une rédaction lambda : tandis que le chef enfile ses habits de lumières en vue d’une AVP événement, c’est à l’assistant éditorial de se taper le papier de la semaine, avec comme consigne « sujet libre, mais sois racoleur, on a une réput’ à défendre ». Devant l’inconstance de films qui vont, viennent, repartent et reviennent, l’ascenseur émotionnel du fan qui est content, puis déçu, puis surpris et recontent, se tape coup sur coup deux cérémonies aux polarités inversées, des séries TV qui avancent et des comics que pas grand monde n’a l’air de lire, la question est donc sur la table : de quoi va-t-on bien parler ce lundi ? Inspiré comme jamais, le jeune rédacteur part se documenter sur le terrain, auprès de la sagesse populaire toujours fiable quand on lui demande si elle a un truc intéressant à dire (que ce soit vrai ou non).

Autour de machines à café virtuelles, le web fait son état des lieux d’une semaine (de plus) passée dans le DC Comics de 2017. Commençant par le débrief’ d’un mois de février riche en cinéma, Boubakar du service commercial lance la discussion autour de Batman en secouant une sucrette avec avidité. Ben Affleck n’a plus l’air si emballé par l’idée d’être partie prenante du DCEU. Il s’en va, mais reste, mais est tout de même parti : les avis mitigés disent « tant mieux, Live by Night n’était pas si bien », et en soi, leur opinion reflète peut-être une réalité que la parano’ autour d’un studio qui n’arrive plus à garder ses artistes dissimule à moitié : Affleck, affecté par les retours négatifs de Batman V Superman et de son dernier film l’un après l’autre, en plus d’un mariage qui se délite et d’une prise de masse musculaire qui l’a amené à se retailler une collection complète de smokings, serait peut-être le principal pivot chancelant de toute l’affaire. C’est ce qu’en disent les pragmatiques, et ils n’ont sans doute pas tout à fait tort.

Tout à coup, ce brave Michou de la compta arrive lui aussi se taper un expresso-twitter double arabica. « Mais Matt Reeves, en définitive, c’est un bosseur. Avec un scénario d’Affleck et Terrio, le doublé gagnant de Argo, y aurait-il moyen que tout ça soit finalement de bonne facture ?« , ajoute-t-il, en sucrant son retweet d’une émoji de qualité. Emballement et désarroi parmi le public. Parce qu’on ne peut pas définitivement condamner la carrière du réalisateur en charge, qui a fait des allées et venues auprès du studio, sans doute pour exiger tantôt un meilleur cachet, tantôt une liberté de parole dans la façon de tenir son pied de grue. Le web est divisé : dans l’écurie des faiseurs, le gars est compétent. Mais un faiseur, et qui n’embrasse toujours pas la politique initiale de Warner, celle de ne faire de son palmarès qu’une série de Chris Nolan bis et d’enterrer la concurrence à coup d’Oscars répétés.

« T’façons, moi j’vais vous dire », assène tout à coup Bertrand des ressources humaines en tripotant sa touillette d’un air plutôt malsain. « Le seul bon film DC depuis The Dark Knight, c’est Lego Batman, on va arrêter de tortiller et poser les balloches sur cette vérité inaltérable« , balance-t-il tout sec de sa bienveillance habituelle. Salué par une folie de pouces bleus, son intervention s’accompagne de commentaires encourageants : mais oui, tu fais bien de le dire, Béber’ ! Et Chris McKay, le réalisateur de Lego Batman, qui annonce un film Nightwing dans la foulée, c’est pas de la bonne nouvelle, ça peut-être ? Instant mitigé de la part de certains fans, pour qui le studio va trop vite et aurait peut-être du statuer sur des noms pour Flash et Shazam avant de poser cette charrue devant ces boeufs.

Or, tandis que personne n’écoute Jessica, la stagiaire de 19 ans qui discute des pecs de Stephen Amell avec la réceptionniste et se demande si les fesses de l’ancien Robin auront droit au même traitement surgonflé, Serge, le psychologue-STG d’entreprise entre dans la pièce de l’espace détente virtuel pour expliquer avec forces et fracas. Selon lui, le DCEU est de toutes façons allé trop vite, a changé de directions trop rapidement, et synthétise à son sens une dérive de l’Hollywood qui pense ses films en milliards de recettes, quitte à ôter au réalisateur le statut d’artiste, pour n’en faire qu’un maillon salarié de la chaîne. Une sorte de technicien sur un projet de chantier sans architecte, et dans ce contexte, pas étonnant que ceux qui auraient des velléités d’artistes préfèrent bosser en solo’ de leur côté. Le souci ne devient plus alors de savoir si les films vont ou non marcher, mais surtout de quand ils vont sortir, sans personne pour les réaliser !

Cette démonstration digne d’un oral de philo ou d’un dossier Durendal est interrompue quand l’assistance semble se déchirer en deux. D’un côté, une partie dit que de toutes façons, DC, c’est de la merde, le bi-mensuel c’est sale et ça étouffe tout le monde, en série TV y a rien de bien et que les films, c’est n’imp depuis Man of Steel, avec en face ceux qui au contraire aiment tout et tout ce qui s’est fait, et accusent l’autre camp de « pro-Marvel », qui refusent de trouver des défauts à ce qui sort en BD, série ou ciné de la maison de Spidey, et que nique sa mère, c’est vraiment du bashing toute cette histoire, y en a ras la charrette. Ce brouhaha sans fondement ni recul ni esprit critique étouffe Arnaud et Coco, qui espéraient tranquillement savourer un thé vert en parlant BD avant de se remettre au turbin, et ceux ci quittent la pièce, en ignorant ceux qui les regardent partir en les accusant de loin (parce que c’est plus simple) de ne bosser que pour l’argent.

Bref, une semaine bien normale où les discussions de comptoir, les invectives et les réseaux sociaux n’auront pas empêché les vrais bons films d’être récompensés, les vraies bonnes séries d’être regardées, et dont au final le microcosme du web qui a tendance à passer un peu trop de temps à se prendre la tronche pour des trucs de moindre importance n’arrive même plus à inspirer les éditorialistes amateurs comme cela était autrefois le cas. Bonne semaine à tous, spéculez bien et à la prochaine pour de nouvelles aventures.