Off My Mind #39 – Que serait Batman sans Gotham ?

Après tout que serait Batman sans Gotham ?

Quand le monstre s’assombrit, que les sourires diminuent.

Il y a maintenant quatre ans, Oxmo Puccino, poète urbain originaire du Mali, soulève cette question : que serait Batman sans Gotham ? C’est à partir de ses paroles tirées de son titre Pam Pa Nam dans lequel, en plus de faire une description métaphorique de Paris, il compare la capitale à Gotham par cette façade de béton et trouve l’idée de chercher ce qu’est réellement Batman sans Gotham et Gotham sans son protecteur. Avant de répondre à cette question il serait temps de re-situer ce qui fait que Gotham est devenue celle que nous connaissons et que nous aimons tous, mais aussi son rapport avec le héros qui la protège et la soigne. Des réponses à trouver à travers de nombreux titres, de nombreuses périodes, elles-mêmes, comptant de nombreuses représentations (sans parler des Elseworlds).

Qui est Gotham ?

OMM Batman Gotham img 01 part 1

Le nom de Gotham apparait pour la première fois dans Batman #4. Tout d’abord à travers le Gotham Gazette, parmi d’autres noms de journaux apparaissant dans la même histoire, puis en tant que Gotham City l’histoire suivante. Pour rappel, à l’époque un single de Batman contenait quatre histoires différents pour 56 pages. A l’exception du nom, nous sommes encore bien loin de la Gotham que nous connaissons. Une ville comme une autre, avec un centre et ses alentours plus verts, ses grandes résidences et manoirs aux extrémités de la ville. Le nom de Gotham proviendrait sûrement d’une ambiance, et ce nom trouverait son origine à travers la représentation du personnage de Batman. Comme nous avons pu le voir, la peur en est un élément essentiel, et il est fort à parier que Gotham provienne du genre gothique. Si ce genre littéraire n’est défini que bien après la fin de celui-ci, c’est en 1938 qu’il est pour la première fois perçu comme matière littéraire avant d’être sérieusement étudié, grâce à The Gothic Quest : A History of The Gothic Novel de Montague Summers. Un pavé monstrueux réédité il y a cinq ans pour les plus anglophones intéressés. Pour rappel, les romans gothiques trouvaient leur spécificité majeure dans la création du sentiment de peur. Gotham serait donc descendante d’un genre littéraire lui permettant, elle aussi, d’inspirer la peur. Faisant de la ville, un soutien et un décor solide pour son héros, à l’époque, en collants. Il s’agit ici d’un sens que l’on pourrait intégrer au nom de Gotham. Cependant, rien n’est fondé.

More Fools pass through Gotham than remain in it…

De manière plus concrète, Gotham est un village d’Angleterre s’étant fait passer pour fou afin d’éviter la construction d’une route royale devant traverser leur village. Leur stratagème a fonctionné et les troupes ont contourné le village de peur de devenir fou à leur tour. On retrouve aujourd’hui quelques histoires tirées de cet événement dans un recueil intitulé The Merry-Tales of the Mad Men of Gotham. Ensuite intervient Washington Irving, et c’est là que se tient le lien au genre gothique, puisque l’auteur américain donne à New-York le surnom de Gotham dans son roman Salmagundi. Un roman majeur du genre en question. La popularité du roman donne durant un temps ce surnom à New-York et ses habitants. Une tentative de jumelage entre les deux villes fera son apparition mais n’aboutira jamais. New-York trainera ce surnom près d’un siècle. Comme je l’ai dit plus tôt, Bill Finger et Bob Kane ont installé leur création dans la ville de New-York, mentionné dès le Detective Comics #31. Serait-ce une erreur de dire qu’au final, les créateurs ont emprunté le surnom donné à New-York un peu plus d’un siècle auparavant ? Je ne pense pas. Pourtant Bill Finger affirmera qu’il a choisit ce nom en prenant un nom au hasard dans l’annuaire. Si de nombreux sites affirment telle ou telle version, la coïncidence reste tout de même troublante.

Ce lien étroit que Gotham entretien avec le genre gothique émane donc d’une référence littéraire devenue populaire. Un lien qui se verra de plus en plus renforcé. Gotham est une ville polymorphe. En constante évolution, elle possède de multiples représentations. Un élément reste essentiel la taille démesurée des bâtiments et immeubles. Les premières aventures se veulent réalistes avec des maisons de tailles moyennes à un étage ou deux, généralement espacés. Rapidement ces espaces sont réduits, jusqu’à ce que se dégage de la ville une oppression permanente. L’utilisation des décors et la gestion du suspense chez le spectateur devient un élément phare du titre Batman. Et Gotham s’impose comme décor idéal du crime, auquel le lecteur peut s’attacher, tout en répondant aux besoins des créateurs. L’architecture n’est pourtant pas réellement définie. Aucune âme ne se dégage de la ville en elle-même. Ce ne sont ici que les prémices d’un long travail qui ne trouvera sa fin qu’avec Year One de Miller mélangeant ville urbaine ultra-moderne, et bâtiments démesurés. Cette représentation devient une référence, et cette Gotham sale, remplie de prostituées et de malfaiteurs sera rapidement réutilisée, comme dans Gotham Nights dont on reparlera. Tim Burton jouera fortement de ce sens gothique que possède Gotham et sera vu comme visionnaire aux yeux des fans comme des créateurs. Sa Gotham City devient vite une référence qui inspirera fortement Bruce Timm, sur un ton bien plus édulcoré, jouant bien plus sur la démesure de la taille des bâtiments.

OMM Batman Gotham img 02 part 1

L’histoire fictive de Gotham est assez tordue, mais bénéficie d’une base définie, et officielle. Tordue tout d’abord par les différentes influences, par un passé globalement sombre dont on ne peut connaître au final que les grandes lignes. Bien évidemment, ces fondations sont établies pas Alan Moore dans son célèbre run sur Swamp Thing, puis sera réutilisé par Rick Veitch dans le numéro #86 du même titre. Gotham trouve son origine, fondée par le Capitaine Jon Logerquist, un mercenaire norvégien. Là où ça se complique, c’est que suite à ces éléments, Dennis O’Neil souhaite vers 1990, alors qu’il a déjà bien écrit sur le personnage de Batman, écrire désormais Gotham. Il redonne à la ville son origine anglo-saxonne dans Batman Chronicles #6 à l’aide d’une lettre trouvée par Robin. Le scénariste va plus en profondeur avec Destroyer. Un arc en trois parties regroupant Batman 474, Legends of The Dark Knight 27 et Detective Comics 641, où Bruce découvre que l’un de ses ancêtres est responsable de l’architecture actuelle de la ville de Gotham. Celui-ci ayant soutenu un architecte mal vu à l’époque, nommé Cyrus Pinkney, pour son approche visionnaire de la ville, imaginant un futur dans des bâtiments d’une grandeur démesurée. Une approche qui plait énormément à Solomon Wayne, faisant de Solomon Wayne le fondateur de la Gotham moderne.

Dit de cette façon c’est beau, mais le soucis arrive par la suite. En effet, vous connaissez certainement Scott Snyder. Le bonhomme va venir tout chambouler (à son habitude) avec Gates of Gotham faisant de Wayne et Cobblepot les fondateurs de Gotham. La popularité du scénariste et de sa mini-série prennent le dessus sur un arc en trois parties des années 90 (qui s’opposait déjà au récit Dark Knight, Dark City de Peter Milligan). Et c’est bien dommage. Pourtant, Snyder a ramené une notion intéressante, même si très prétentieuse (à son habitude) de redonner à Gotham une nouvelle étymologie, la même étymologie que celle du village anglais étant Goat-Home. La maison du diable. Cet élément est tout à fait pertinent puisqu’il correspond en tout point à l’approche horrifique de l’auteur. Le soucis étant qu’aujourd’hui nous prenons pour acquis ce que nous lisons de plus récent et avons tendances à oublier les origines premières de ces lieux et personnages fictifs. Ce qui amène à cette rupture de continuité. Un défaut, permettant néanmoins d’amener de nouveaux éléments qui ne sont pas à négliger et faisant la richesse de cet(s) univers.

La Cité de Dieu

OMM Batman Gotham img 01 part 2

Gotham s’est vue changer du tout au tout depuis sa création. Ville assez colorée, c’est avec l’arrivée du titre Batman qu’elle devient dès le premier numéro légèrement plus sombre. C’est lorsqu’elle acquiert son nom que l’apparence gothique prend le dessus et évoluera de manière inconstante au fil des années. Le Silver Age redonnera les formes très rectangulaires des bâtiments, faisant perdre à Gotham cette architecture particulière qu’on lui connait aujourd’hui. Ce n’est que dans les années 70, sous les crayons de Dick Giordano et Neal Adams que l’univers de Batman trouve l’ébauche de ce qui va définir l’univers moderne de Batman. Les dessinateurs réintègrent le ton sombre que lui avait inscrit Bill Finger et Bob Kane. C’est un premier lien unissant le chevalier et sa ville. Dans cette reconstruction du mythe, la ville est aussi importante que son protecteur. La victime est toujours l’élément centrale de l’enquête, et cette victime reste Gotham. Ce qui est assez paradoxal puisque Gotham est également représentatif du mal qui y règne et est d’une certaine manière définit par ce qui la ronge. Des nuances qui ont rarement été aussi bien travaillées autrement que par John Ostrander dans sa mini série Gotham Nights (je ne conseille que la première mini-série, la seconde étant très anecdotique, que ce soit pour Gotham comme pour Batman).

Ce récit trouve son importance, non pas dans ses conséquences, mais dans le rapport entre la légende et les habitants de Gotham dont nous suivons la vie de certains. Si Gotham est un ensemble de rues et de quartiers, elle est vivante de par ce qui grouille en elle. Je parle donc de ses habitants. Si Gotham possède un mal qui grouille en elle, c’est bien à travers l’homme. Ostrander réussit avec brio à user des nuances entre l’homme mauvais depuis le début en quête de rédemption, un autre regrettant une Gotham passée qu’il voit comme meilleur. Alors qu’au final, on ne peut imaginer Gotham avoir été meilleure un jour. Il s’agirait plus d’une évolution vers un regard porté sur l’ensemble de ces mythes. Un recul nous permettant de comprendre que les bons citoyens de cette ville, tout comme Bruce Wayne ou Batman, ne sont ici que pour tenter désespérément de contrebalancer le poids assommant d’un mal profond.

OMM Batman Gotham img 02 part 2

La relation entre Gotham et le chevalier s’est construite petit à petit. Premier facteur, l’enfermement au sein de cette ville. Si on compare aux premières aventures, Batman et Robin n’étaient attachés à Gotham par nécessité d’un lieu de résidence. Au fil des années, et des ages, Gotham prend une autre valeur. Le héros devient attaché à sa ville. Si bien qu’il en devient difficile de se dire que Batman va sauver le monde comme pourrait le faire Superman. Gotham est le centre de toutes ses motivations. Une ville qu’il s’approprie et devient un décor essentiel pour le chevalier noir. Le concept, comme on a pu le voir à travers les exemples, se développe plus particulièrement fin 80 début 90. S’enchaine suite à Knightfall une série de crossover dans l’univers du chevalier noir. Par Contagion, on assiste à une forme de chute de Gotham. Atteints d’un virus mortel, les habitants de Gotham sont en grand danger. D’échec en échec, Batman et toute sa petite famille va tenter le tout pour le tout afin de trouver un antidote. Si l’événement n’est pas un grand moment de lecture, le principe est intéressant. Batman se sent sur le point d’échouer et se rattache à tout espoir capable de l’amener à quoique ce soit, même s’il peut s’agir d’un mirage. Et c’est ainsi qu’est Batman sans Gotham. Le principe de Contagion a été également exploité dans la série animée The Batman dans l’épisode Le Fléau. Où Gotham est en flammes, et en proie à un virus. Batman tente de trouver l’antidote et de le diffuser. L’un des meilleurs épisodes de la série.

Batman sans Gotham c’est un homme perdu. Sans but. Gotham est l’âme de son chevalier. Détruire Gotham revient à envoyer de nouveau Bruce vers ces sentiers de la perdition qu’il continuera à parcourir. Le sujet pourrait être intéressant à développer, puisque agissent alors bon nombre de probabilités. On pensera au film Batman et le Fantôme Masqué. Bruce semble là avoir déjà eu une vie, des sentiments pour une femme. Le sentiment amoureux a donc déjà pu faire sortir Bruce de cette errance dépressive. Et une fois Bruce perdu, il finira certainement à un moment ou un autre par se rattacher à quelque chose de nouveau. L’interminable errance n’est qu’une image. Toute errance a une fin. Celui qui marche tête baissée finit toujours par percuter quelque chose qui le forcera à lever les yeux. Grant Morrison dans son run sur Batman donne une vision très précise de Gotham. Il la voit comme vivante, d’où l’image de personnage que je lui donne ici, en constante évolution. Il arrive à ce statut en présentant Gotham comme terrain de guerre, comme un plateau de jeu, dont Batman connait tous les secrets, toutes les structures, et ruelles. C’est également ce qui aura fait la force de The Cult de Starlin, mais aussi la Cour des Hiboux, puisque Snyder donne donc un nom, une image de prédateur au mal de Gotham en total opposition avec son chevalier.

OMM Batman Gotham IMG 03 PART 2

C’est donc une relation amoureuse étrange qui lie Batman à Gotham. Relation étrange, mais qui se tient tout d’abord par le genre du nom propre. Il me parait plus censé de dire « la Gotham » que « le Gotham ». Gotham pourrait atteindre le statut de personnage féminin, de par ses sonorités, mais aussi par son double visage. D’une part, Gotham est le plus souvent vu comme une infection, une ville que la corruption parcourt à chaque ruelle. D’une autre, elle a toujours eu celui de princesse en danger permanent. Le chevalier noir vole toujours à son secours, sans jamais parvenir à la sauver. Le fait de ne jamais y parvenir devient une obsession, et cela entraine une attraction permanente. On espère toujours, et si Batman conserve une image de prédateur dominant sa ville, il reste tenu en laisse par une ville qu’il s’efforce de protéger ou bien même de diriger par la peur. Or il s’agit plus d’une forme de servitude volontaire, par amour de sa ville, par amour envers sa famille. Gotham est à la fois l’amante et la mère de Batman (on rentre encore une fois dans ce complexe d’œdipe). Une mère à la fois parce qu’il s’inspire de l’esprit sombre de sa ville, mais aussi parce qu’elle donne un sens à sa vie. Elle le couve et le retient. Donc Batman ne serait rien sans Gotham, or, Gotham resterait Gotham. Que Batman soit présent ou non, la ville est destinée à se dégrader jusqu’à sa destruction. Batman sans Gotham, pour en revenir à Oxmo Puccino, c’est un peu un Roi sans Carrosse.

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Rédacteur depuis 2015, j'écris dans le but de partager ma passion pour les comics et entretenir ce sentiment de découverte. Bercé par Batman, mon cœur se dirige toujours vers l'éditeur aux deux lettres capitales.
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The Bat
7 années il y a

Bravo ! C’est complet mais synthétique (parce qu’il y a matière pour écrire des pages et des pages). Tu m’as appris pas mal de choses et je trouve que beaucoup de récits cultes sur le Chevalier Noir ont Gotham comme personnage (presque littéralement). En parlant de Pinkney et Solomon Wayne, tu m’as rappelé une mission secondaire de Arkham Origins qui était vraiment belle où l’on apprend plus sur la ville. Même chez Azzarello dans Broken City (qui sort bientôt en vf !!!) Gotham devient un personnage et est décrite comme tel. Bref un OMM très bon !

The Bat
7 années il y a
Répondre à  Watchful

Oui je sais mais en fait c’est un vrai coup de coeur ! J’aime tellement les comics Batman qui font de Gotham City un personnage en fait. Mais promis j’arrête (jusqu’au prochain OMM :p).

Billy Batson
7 années il y a

C’est ironique que le point de départ de cet édito parlant d’une ville américaine soit le morceau « Pam Pa Nam » et que l’image de couverture soit Batman avec des tours Eiffel :P

Sinon très bon édito Fuful, très bien écrit et très intéressant à lire car très bien référencé. Comme le dit 293, il y aurait moyen d’en faire tout une thèse mais tu as réussi à résumer le tout en quelque chose d’assez complet.

Batman31
Batman31
7 années il y a

Très bon article, très intéressant à lire.

Mocassin
Éditeur
7 années il y a

Merci pour l’article, c’est vraiment intéressant de tenter de décrypter cette relation ambiguë !

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