« It’s been twenty-three years since the mugging. Sometimes I go for months never thinking about it. Sometimes every detail stays with me for weeks. And sometimes I tell the story again to put old demons back to sleep, and to force myself to keep going. » – Paul Dini
- Scénario : Paul Dini – Dessins, Encrage, Couleurs, Couverture : Eduardo Risso
- Vertigo Comics – Dark Night : A True Batman Story – 15 juin 2016 – 128 pages – 22.99$
Paul Dini. Qui est Paul Dini ? Si vous avez grandi dans les années ’90, Paul Dini est probablement l’un de ceux à qui vous devez votre passion d’aujourd’hui aux comics. Pour la plupart des gens, en revanche, ce n’est qu’un nom de plus dans les statistiques. Pas un grand réalisateur, ni un acteur connu de tous, une star de la chanson ou un écrivain plébiscité par les élites culturelles. Au milieu de la décennie, encore tôt dans sa carrière déjà couronnée de succès, Dini est agressé en quittant un restaurant où il avait dîné avec une femme qu’il espérait séduire. Ce qui n’a pas fait la une du journal télévisé et ne fera jamais partie de l’Histoire, ne restera que le souvenir de ses proches et une bande-dessinée pour témoigner de cette soirée où un homme a frôlé la mort sans que lui-même ne comprenne jamais pourquoi. C’est de ça que parle Dark Night : A True Batman Story, le récit personnel d’un type, dans une allée de Los Angeles il y a vingt-trois ans. C’est tout ? Non. C’est beaucoup plus que ça.
Ce volume part d’assez loin pour expliquer l’homme, et le personnage qu’il met en scène. Celui d’un enfant comme on en voit dans toutes les écoles, ni premier de la classe ni champion de sport. Sa passion, regarder les dessins animés et lire des comics de super-héros, avec une affection toute particulière pour Batman et son adaptation colorée. A l’école, en famille, à la messe, pour tenir face à l’ennui du quotidien, le jeune Paul s’imagine parler avec toutes ces créations nées de l’imaginaire graphique des BD et des cartoons, qui l’accompagnent au quotidien comme autant de facettes de son amour des histoires et de son envie de créer. Peu à peu, le gamin a grandi. Et fait son trou parmi les créateurs qu’il admire tant.
Avec une sincérité assez exceptionnelle, l’auteur fait ici le bilan de l’homme qu’il était, des choix qu’il a pu faire et des bons comme des mauvais souvenirs. La BD alterne avec adresse l’humour, les références aux comics que les passionnés attendent, avec la violence physique et psychologique de son agression ou de ses mauvaises décisions d’avant et d’après. Le mélange des tons porte une histoire complète, passionnante, souvent drôle et souvent plus vraie que la moindre oeuvre de fiction ne saurait le raconter – l’auteur ne cherche pas à enjoliver les faits ni à dramatiser, avec un certain recul sur une agression qui aurait pu arriver à n’importe qui. Il ne considère pas avoir été maudit. Lui-même l’explique : il a été tabassé, voilà. Ça arrive. Maintenant, il faut comprendre ce qui se passe après ça.
Au travers de sa narration, on retrouve une grande part d’auto-critique. Il défend son point de vue, l’intérêt que lui trouve à raconter cette histoire, et sur son propre parcours une grande humilité – après tout, qui est Paul Dini pour n’importe qui ne lisant pas de comics ? Mais, parce que ce genre d’aventures fait partie du quotidien de beaucoup de gens, pourquoi ne pas tendre la main et montrer comment lui a su relever la pente, peut-être donner des clés à d’autres victimes potentielles, et en fait, plus simplement, peut-être que ça lui fait juste du bien d’en parler.
Dans cette déconstruction de sa propre psychologie, l’auteur fait un usage formidable des figures du Bat-verse et de l’imaginaire cartoony. Chaque vilain et chaque héros transite un message sur ce contexte particulier. A la manière des films Play it Again, Sam ou de Looking For Eric, l’imaginaire devient sa bouée de sauvetage, sa thérapie personnelle. Faire parler ces héros qu’il connaît par coeur et dont le point de vue embrasse une autre vision des choses. Batman et le Joker sont là, l’un est aussi pragmatique qu’affectueux dans son héroïsme bourru, critique et cinglant, l’autre est l’incarnation de tout ce qui nous déplaît en nous, de cette tendance à l’auto-destruction ou à la peur qui paralyse la façon dont nous menons nos vies. Si Dini n’écrit pas ici un récit de super-héros au sens strict, cette BD en dit sans doute plus sur l’utilité de ces personnages que n’importe quelle histoire avec monstres ou gros vilains.
Impossible évidemment de résumer en détail, la BD étant très généreuse sur les références, personnages, blagues méta-textuelles ou clins d’oeil adressés au lecteur. Dans l’ensemble, on retrouve un scénariste pour qui ces créations sont réelles dans ce qu’elles ont à transmettre, et cette réalité prend autant la forme de géniaux moments d’humour que de piques désagréables ou dramaturges. Tout est réussi, du début à la fin. Une scène équivoque sur la relation de Dini aux femmes le dépeint comme un Vil Coyote cherchant à attraper le genre féminin, qui prend la pose de Bip-Bip ou Roadrunner, une autre raconte comment il a tenté de faire passer le Sandman dans un épisode de la série Batman en métaphore de sa propre agression – on trouve bien sur une Harley, qui l’attend au bout du tunnel le sourire aux lèvres, comme une fille retrouverait son papa blessé à la sortie de l’hôpital. Une déclaration d’amour à DC, à Batman, aux super-héros, aux cartoons et au monde des studios d’animation (où l’aspect « backstage » ravira les fans d’entre vous).
Côté graphique, j’avoue m’en vouloir de dédier une place si étroite à Eduardo Risso (mon dictionnaire de dithyrambismes commence à me lâcher), mais là-encore, impossible de trouver quoi que ce soit à redire sur les planches de l’artiste, qui assure aussi bien l’encrage et la colorisation – point important, le bouquin étant servi par un travail assez incroyable de ce côté là. Avec un style qui ne cherche le réalisme qu’aux moments nécessaires, Risso charge l’écriture de Dini d’une puissance et d’une véracité irréprochable, gavée d’idées de mise en scène, s’appropriant les faits, les personnages et les dialogues avec le rythme de tous les bons page-turner. Ca se lit d’une traite, les pages se dévorent des yeux et l’esthétique générale vaut à elle seule le coup si vous êtes fans de bonnes BD.
Qui est Paul Dini ? Il y a vingt-trois ans, Paul Dini est le type qui s’est fait attaquer dans une ruelle pour de sombres motifs – c’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Vous pouvez ne pas le connaître, ou même ne pas apprécier ses dessins animés, ce comics n’est pas là pour ça. Il raconte juste une aventure humaine, que beaucoup ont vécu et continueront de vivre, et de comment un fan des cultures de l’imaginaire et de Gotham City a réussi à s’en sortir et à aller de l’avant. C’est drôle, c’est triste, c’est violent et léger à la fois, riche en anecdotes et en personnages, l’écriture et le dessin marchent d’une seule voix, c’est incroyable et sans doute l’une des meilleures BD de cette année à porter le sigle DC ou Vertigo. Donc je vous le conseille, au cas où vous n’auriez peut-être pas suivi.
Je n’ai pas vu les deux films cités du coup, même si la review est très bien écrite j’ai un peu du mal à comprendre en quoi consiste ce comics exactement.
En gros Paul Dini raconte sa vie en incluant les personnages du batverse comme commentateurs de ses souvenirs ?
Conceptuellement, pourquoi pas ? Mais là comme ça, à froid, j’ai du mal à saisir l’intérêt. Aurais tu des exemples à nous donner parce que tel que je vois les choses, suite à son agression l’auteur à du se dire « ça arrive, j’ai pas eu de chance », Batman a du lui dire « tu aurais du faire plus d’exercice » et le Joker « quitte à prendre des coups, essaie d’en rendre un maximum ».
Le meilleur moyen de te faire une idée, c’est de le lire.
Et si tu veux que je te décrive ça mieux, disons que chaque figure du bat-verse joue le rôle d’ami imaginaire, comme une voix dans sa tête qui incarne un certain point de vue. Alors ok, Batman lui dit « fais de l’exercice », mais ça ne se résume évidemment pas qu’à ça.
J’essaye de te trouver un exemple (après je te conseille aussi de regarder au moins Looking for Eric qui est un pur film de Ken Loach ^^), on va dire que ça ressemble assez à la scène de voiture dans Sin City entre Dwight et Jackie Boy, ou à Gousteaud avec Ratatouille – j’essaye d’être aussi large que possible.
En gros, une figure d’ami imaginaire qui a conscience de n’exister que dans l’inconscient du héros, à l’inverse des figures de schizophrénie comme Tyler ou Elvis dans True Romance.
Le Joker incarne à la fois la procrastination, la peur et l’apitoiement personnel, il torture le héros comme l’image du monde extérieur. Après d’autres figures apparaissent comme Ivy, qui joue le rôle des dangers de la séduction (ce qui est là encore super bien fait), le Pingouin incarne la tentation de l’alcoolisme, Batgirl le fait de s’être remis d’une grosse agression, etc. C’est par petites touches. Mais à nouveau, je t’invite à le lire – avant de l’acheter pour la review, je me demandais si ça allait être une simple BD biographique lambda, mais c’est un vrai exercice de style assez génial et très complet où l’auteur présente mieux que je ne saurais le faire l’intérêt de son exercice d’écriture.
(j’essaye aussi de ne pas trop en dire pour laissez aux gens la découverte de comment tout ça est mis en place. Par contre, qu’on se comprenne bien, ce n’est pas une aventure, ce n’est pas un film d’horreur et ce n’est pas un drame humain non plus, c’est vraiment un genre de hors-série qui reprend un peu au cinéma d’auto-fiction, à la BD méta’ façon Air Boy et au récit personnel façon It’s A Bird. Faut pas construire une attente spécifique, juste l’aborder pour ce que c’est et laisser le mec te raconter son histoire)
Ah, génial ça ! Je me le suis pris, mais je ne l’ai pas encore commencé. Du coup, cette review me conforte dans mon achat ! J’ai hâte de le lire !
Lu hier et effectivement, une très bonne lecture mais peut-être pas 5 étoiles pour moi… Risso est au top là-dessus, la partie graphique est exceptionnelle!
Ce bouquin m’intéresse ! Une idée de la date en vf ? Après je peut me le prendre en VO pour essayer, ce serait une première, à votre avis c’est un bon début pour commencer les comics en anglais ?
Je voulais me prendre rebirth ( le premier numéro, DC universe #1) pour debuter mais je ne le trouve plus ( plus disponible sur original comics …) :-(
Cela vient juste de sortir en VO donc impossible d’avoir une date en VF mais c’est sur a 100 % que cela sortira chez nous, et cela devrait arriver rapidement
Pour avoir déjà essayé les comics en anglais, ça va c’est pas trop dur, même si maintenant je préfère qu’ils sortent en français ( sauf exception TDKM)
Mais bon faut quand même avoir une petite base..
Vivement sa sorti FR
Disons que le style n’est pas inaccessible, mais Dini joue aussi beaucoup avec l’anglais parlé, les jeux de mots et les expressions figées (c’est un style « oral » en gros). Donc oui, comme dit Greeciel, petite base nécessaire, et c’est sur qu’Urban le publiera en VF vu le spotlight accordé à Dini lors de la dernière PCE.
Oui mais quand va tel sortir?
L’attente à la suite de TDKM est insupportable ^^