Review VF – Batman Terre-1 Tome 2

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Les points positifs :
  • Excellent récit
  • Une réinterprétation d’ensemble qui tient bon
  • Plus pragmatique que moderne
  • Johns détaché de sa narration en série
Les points négatifs :
  • Aucun enjeu éditorial
  • Une suite qui prendra deux ans large
  • Imperméable à la vision classique

« Quelle pauvre énigme cela ferait ! » – The Riddler


  • Scénarisé par Geoff Johns – Dessiné par Gary Frank et Jon Sibal – Colorisé par Brad Anderson – Couverture par Gary Frank

Aventure éditoriale entamée il y a quelques années, Terre-1 (ou Earth One) continue d’empiler les briques de ce qui devait être un genre de renouveau au sein des parutions DC. Sur le papier, en tout cas. Dans les faits, ce pan de la publication reste encore à l’heure actuelle en phase de bêta, limité à une ou deux sorties annuelles. Édités en format graphic novel (comprenez, indépendamment d’une sortie par numéros préalable), l’un des grands intérêts de cette ligne se retrouve bloqué face aux impératifs économiques du marché Américain, d’une histoire qu’on rentabilise deux fois et de la productivité d’artistes occupés au jour le jour sur des séries à de plus vifs délais. Tel quel, Batman Terre-1 aurait tout d’une sortie événement au vu de sa qualité et de son propos – il laisse derrière lui un potentiel encore sous-exploité aujourd’hui.

Batman - Earth One v2-011

En pénétrant dans le récit de Johns, illustré par les crayonnés de Gary Frank, l’impression dénote de ce que le lecteur classique du DC Proper pense retrouver. Peu de gothique, peu d’art déco. Les années ’40 sont loin derrière, rangées, oubliées, sans que l’esthétique ne sacrifie à une modernité illusoire. On a souvent taxé les films de Christopher Nolan de « réalistes », là où ses ambiances et choix de décors restent plongés dans l’incrédulité accordée au cinéma. Sa Gotham des grands hommes reprend tout l’apparat de la cité des comics, et cherche même au plus près des symboles. Johns & Frank osent ici quelque chose de différent : plus pragmatique que réel, le bain de cette cité noire est en fait étouffant de crédibilité. Le dessinateur pose un décor d’apparence impersonnel, pour plonger sa ville dans un environnement que le regard reconnaît inconsciemment. Gotham perd en ampleur, son ombre écrasante, ses dirigeables et l’impression de cité XIXème entre Lovecraft et Kafka disparaissent derrière l’idée d’une ville concrète, un regard vidé de tout imaginaire au service d’un récit cohérent.

La mise en scène se met au service de la même intention. Ici, Batman n’est pas un colosse. Souvent représenté des pieds à la tête, il n’a même jamais eu à ce point l’apparence d’un homme dans un bête costume de carnaval. Le regard apparent du héros semble souvent perdu, son entourage peine à décerner le sens de son combat – Bruce Wayne réapparaît derrière Batman, l’homme est ici le héros de l’histoire, plus que le symbole et tout ce à quoi on l’associe. Peu à peu, tous tombent un à un : le détective, le bat-signal changé en bipeur, un garage pour toute bat-cave, et un Alfred transfiguré (l’une des plus grandes qualités du premier volume, avoir renoncé au domestique pour le changer en homme de terrain). Pas mal de lecteurs auraient alors envie de demander : en quoi est-ce une histoire de Batman ?

Batman - Earth One v2-073

La réponse à donner est que Terre-1 est peut-être le plus Batman des Batman. Associé à une idée simple, le personnage a toujours interrogé le bizarre des super-héros : c’est un homme dépourvu de pouvoirs. Devant les kryptoniens et accidentés de la science, il est celui-ci auquel le public s’identifie par une simple correspondance de « normalité ». Un homme dans un costume, depuis les années ’40 jusqu’à aujourd’hui, et que le cannibalisme de sa popularité l’a amené à quitter, pour devenir un héros invincible exagérément suréquipé, au point d’atteindre des sommets de n’importe quoi chez certains scénaristes en mal d’inspiration (« ceci est un costume robotique »). A sa façon, Johns revient à l’essence même de Bruce Wayne, un homme qui veut aider sa ville et choisit de masquer son visage. La correspondance de son univers répond à ce besoin. Le chevalier redevient alors un homme, le croisé en cape un simple être humain, et le reflet de ses actes épouse le même aplat de pragmatisme sans concessions.

Si l’histoire est étonnamment bien tenue – on se plaît au passage à voir Johns obéir à un story-telling de longue haleine, dépossédé de son rythme de sérial – le scénariste reste encore et toujours meilleur sur les fins que sur les débuts. Plusieurs portes ouvertes sur l’avenir, et une impression de saga en plusieurs volumes palpable, qui diffère énormément d’autres parutions Urban. Terre-1 n’est pas spécifiquement un arc de six numéros à isoler de la continuité, il bâtit son propre cheminement scénaristique et une forme presque inédite de concevoir l’approche des vilains ou de la causalité scénique (difficile d’imaginer revoir Nygma après ce passage). Le graphic novel offre une autre expérience de lecture, pas seulement pour la disparition des entrées et sorties habituelles de numéros à numéros, mais simplement dans la conception et la progression du récit. C’est à ce moment là qu’on bute contre le défaut le plus énorme de l’entreprise : combien de temps avant de voir les Terre-1 enfin pris au sérieux ?

Batman - Earth One v2-084

Publiés à des années d’intervalle, chaque tome de Batman ou de Superman publiés dans ce catalogue a l’effet d’une suite qu’on attendait beaucoup, puis qu’on attendait plus. Excellente idée, excellente initiative, et une réponse à demi-mots un marché du single qui bat de l’aile dans la surproduction moderne, mais une idée qui prend la poussière à l’ombre des relaunchs. Constamment ramené au numéro #1 sous un argumentaire variable (la diversité, puis le retour aux sources), DC Comics, comme son concurrent, s’accroche à un format de 24 pages entre trois et six dollars, sans considérer l’opportunité du marché TPB, pourtant assez bien mis en avant par les sorties d’Image Comics au devant des listings. Telle quelle, la modernité des Earth One interpelle dans le fond – rarement dans la forme. Pourtant, l’opportunité que représente l’innovation d’une ligne seulement faite de TPB pourrait être la secousse attendue par le marché, pour peu que l’éditeur se donne les moyens de la faire fonctionner. Occupé par différents projets, on peine à croire que Johns mettra moins d’un au ou deux pour offrir la suite de son histoire (déjà sortie l’année dernière en VO, et sans nouvelles depuis), et malgré les intentions louables déployées lors de la dernière SDCC, on se souvient que Wonder Woman Earth One n’est, elle non plus, toujours pas arrivée.

Ces problématiques mises de côté, Batman Terre-1 volume 2 reste une très bonne histoire. Bien dialoguée, bien rythmée, servie par une réinterprétation soit juste soit suffisamment osée pour aller au-delà du simple pamphlet modernisateur, où l’archétype du Bat-fan grognera ou saluera l’audace. Quelques moments seront fédérateurs (une certaine brune dans une certaine situation), d’autres plus segmentants (un Croc qui se heurte au couplet réaliste), mais il en ressort un récit assez à part, différent d’une origin-story classique mais néanmoins propice à s’ouvrir un autre imaginaire, celui où Bruce est et Batman n’est pas, sans trahir ni bouleverser les codes, mais en les réajustant sur un facteur essentiel : Batman n’est qu’un homme, et si on veut y croire un minimum, il faut aussi passer par là.

Comme les All-Star avant eux, les Earth One vivent en marge, dans le pourparler des visions d’auteurs et du classicisme obligatoire, entre deux âges et entre deux idées. Batman Terre-1 est autant une réussite qu’elle représente un échec éditorial, et autant une bonne réinterprétation qu’elle nous ramène à tout ce que nous aimons dans le Batman Proper. Gorgé d’imaginaire gothique et de récit pulp en continuité, parfois teinté d’horreur et de surnaturel, il est ici abordé sous la facette du réalisme, celle du héros qui craint les mitrailleuses et ne pourrait surement pas mettre une race à Superman, dans un environnement prompt à obéir à des lois où un homme vêtu d’une cape et d’une cagoule pourrait, à défaut d’être super, se révéler héros. Excellente histoire, excellente sortie, c’est très bon, mangez-en. 

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Corentin

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17 Commentaires
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urbanvspanini10
urbanvspanini10
8 années il y a

Oh mon dieu,Corentin est Flash!!Tas mis combien de temps a lire et a faire la review? :o

darthfry
8 années il y a
Répondre à  urbanvspanini10

Il triche !

urbanvspanini10
urbanvspanini10
8 années il y a
Répondre à  Corentin

Je sais, tu est enfaîte un rédacteur d’Urban comics,donc tas lus le bouquin en avance.

DarkChap
DarkChap
8 années il y a

Je ne suis pas d’accord avec ton affirmation voulant que ce Batman soit une sorte de retour au personnage du Golden et à l’essence du personnage.
Je te renvoie à la lecture de la toute première origin story de Batman, écrite par Bill Finger dans Detective #33. Batman n’a jamais rien eu d’un homme « normal », ça n’a jamais été Kick-Ass. Non, Batman, c’est un homme qui à partir du soir de la mort de ses parents a préparé son corps « to physical perfection » et son esprit « becomes a Master Scientist » jusqu’à devenir l’homme parfait.
En cela, il est même plus proche de l’Übermensch de Nietzsche que Superman qui est né plus parfait là où Batman a dû le devenir.

DarkChap
DarkChap
8 années il y a
Répondre à  Corentin

Il n’a jamais eu de pouvoirs, pas plus dans les comics que chez Johns donc selon ta logique, je ne vois pas en quoi le personnage de Johns serait plus proche de son essence qu’un autre.
Ce qui rend celui de Johns différent, c’est le fait qu’en plus de ne pas avoir de pouvoirs, il n’ait plus rien d’exceptionnel, qu’il ne soit ni particulièrement intelligent, ni super athlétique, qu’il ne soit plus qu’un homme normal dans un costume, à la Kick Ass.
Et si, dans ton texte, tu ne parles pas que de perception, tu parles aussi de continuité, d’un changement depuis les années 40 :
« Un homme dans un costume, depuis les années ’40 jusqu’à aujourd’hui, et que le cannibalisme de sa popularité l’a amené à quitter, pour devenir un héros invincible exagérément suréquipé, au point d’atteindre des sommets de n’importe quoi chez certains scénaristes en mal d’inspiration (« ceci est un costume robotique »). »
Sur le fond, je te rejoins partiellement, le personnage actuel est plus invulnérable que par le passé (jusqu’à Crisis, il lui arrivait régulièrement de se faire assommer d’un coup derrière la tête) mais c’est pas pour autant qu’il n’a pas toujours été écrit comme l’homme parfait, à la différence du personnage de Johns qui ne peut en cela pas être un véritable retour à l’essence du personnage.

Mocassin
Éditeur
8 années il y a

La review est très bien écrite, ça donne envie.

Wlad
Wlad
8 années il y a
Répondre à  Mocassin

J’ai peur que le livre soit moins agréable à lire que sa critique (déjà que sur le tome 1 j’ai été horriblement déçu que le scénario n’appuie jamais sur le fait que la mort des Wayne est entièrement due au fait que Bruce est un petit con arrogant).

kriskent
kriskent
8 années il y a

je viens de le lire et quelle claque encore une fois,c’est sublime!!!!
les dessins sont magnifique et on en prend plein les yeux a chaque page(le detail apporté au visage)
pour l histoire je dois dire pour une fois qu on a pas un super-batman mais un batman debutant et meme maladroit c’est genial,il craint les balles et peut etre assomé par une simple pelle,ça le rend humain et c’est génial.
le nouveau alfred il est génial et vraiment tres bien développé.
bref ça me derange pas d attendre si c’est au final pour avoir se genre d album aucun soucis et patience.

Piratski
Piratski
8 années il y a

Superbe review pour une superbe série, dommage comme tu le dis que l’attente s’annonce maintenant interminable.
Merci DCP et merci Urban

manu80
manu80
8 années il y a

je l’ai dévoré celui la. Je trouve ca intelligent, bien écrit et malin. Dessins assez réalistes qui collent bien au recit. Dommage qu’il faille attendre 10 plombes avant le Tome 3, ca me fait penser au Sentinelles de delcourt niveau delai, mais vraiment top.

Wlad
Wlad
8 années il y a
Répondre à  manu80

Parfaitement d’accord. Je n’ai pas subi de déception comme avec le tome 1 ; au contraire tout est ici fluide et exploité jusqu’au bout. Il me tarde de voir si les deux adversaires magnifiquement présentés dans les dernières pages seront de la partie pour le grand final !

Wlad
Wlad
8 années il y a
Répondre à  Wlad

Bon point, aussi, pour la scène d’intro qui reprend celle du tome 1.

FunNyKiss
Invité
FunNyKiss
3 années il y a

Plus de 4 après on attend toujours le tome 3 XD

Sledgy7
Invité
Sledgy7
3 années il y a

Ça ne devrait pas tarder, il serait terminé selon Geoff Johns

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