Review VO – Batman/Deathblow : After the Fire

Les points positifs : Brian Azzarello & Lee Bermejo Entre polar et espionnage Se démarque des crossovers habituels Les points négatifs : Un récit qui demande de s’impliquer Bermejo cherche encore sa patte Difficile d’accès sans une bonne maîtrise de l’anglais

« Meaning you only see the faults. That’s a shame. Like becoming bored with the gorgeous woman who shares your bed… You’ve forgotten how spectacular it is.  » – Max Kai

• Scénario : Brian Azzarelo – Dessins : Lee Bermejo – Encrage : Peter Guzman, Richard Friend, Lee Bermejo –  Couleurs : José Villarrubia – Couverture : Lee Bermejo

• DC Comics – Batman / Deathblow : After the Fire Deluxe Edition – 20 février 2013 – 168 pages – 22.50$ –  Contient : Batman/Deathblow : After the Fire #1-3

Quelques années avant de collaborer sur Joker et Lex Luthor, Brian Azzarello et Lee Bermejo s’étaient déjà croisés à deux reprises. Une première fois, en 2000, où l’artiste faisait une courte apparition dans 100 Bullets #26. La seconde, à l’occasion d’un crossover entre Batman et un personnage issu des industries WildStorm – Michael Cray, alias Deathblow, introduit au monde des comics par Jim Lee et Brandon Choi en 1992. L’un et l’autre des deux artistes de cette collaboration a depuis fait du chemin. Le premier s’est intronisé comme l’héritier de George Pérez et Frank Miller dans le DC Proper, l’autre a fait ses classes de scénariste (accompli) sur Batman Noël, We Are Robin ou l’extraordinaire Suiciders. Le rétro’ se braque aujourd’hui sur leur premier véritable travail commun, qui s’engage en 2002 pour un triptyque plutôt bien foutu.

Au début des années 2000, DC Comics digère les parutions WildStorm Comics, absorbées quelques années plus tôt après l’accord passé par Jim Lee. Quelques rapprochements sont faits, souvent traités par dessus la jambe, entre les héros de l’une et l’autre des deux maisons. Bermejo a déjà participé à l’un d’eux, avec Superman/Gen13 deux ans plus tôt, aux côtés d’Adam Hughes à l’écriture, inconséquent comme jamais. Parmi la galerie de personnages étrangers qu’a déjà croisé Batman au cours de ses incursions dans le multivers éditorial, on lui adjoint Deathblow, un soldat de l’I.O. (International Operations), figure typique du héros actionner des années ’90. Le mélange de genre s’amorce sous la plume d’un Azzarello encore empêtré dans les munitions de sa série indé’ en parution sous l’imprint Vertigo, et déjà à l’époque très acclamée.

A Gotham City, un ami de Bruce Wayne est attaqué dans un club de la ville, brûlé au troisième degré et condamné à mort. Transporté à l’hôpital, il n’a que quelques instants avant de pousser son dernier soupir, juste assez pour souffler à Bruce un nom qui le mettra sur la voie : Deathblow. Le récit suit l’enquête d’un Batman détective, qui recolle les morceaux d’une opération menée il y a dix ans par cet ami, Scott, lui aussi membre de l’I.O. et partenaire de Deathblow sur le terrain. Chargés de démanteler une cellule terroriste à Gotham, l’action des deux agents n’avait pas été couronnée de succès, incapables de retrouver le chef des extrémistes (un certain Falcon) ni Max Kai, son homme de main aux pouvoirs pyrokinétiques. Batman reprend l’affaire dix ans plus tard, quand Max Kai semble être le responsable de la mort de Scott.

Si la plupart des crossovers inter-maisons se présentent sous un jour peu favorable (héros rencontre héros, héros combat héros, héros réalise que héros est comme lui. Team-up, combat, générique de fin) Brian Azzarello fait l’effort de prendre son récit au sérieux, embarquant l’ambiance polar de Batman dans un démêlé de thriller d’espionnage, où les habituels retournements de situations et autres crasses d’agences de renseignements s’alignent, fidèles au genre. Fort de son expérience sur 100 Bullets, le scénariste livre un condensé parfois confus, qui ose une narration à deux têtes. D’un côté, l’opération de Scott et Deathblow, il y a dix ans, de l’autre, l’enquête moderne. Le lecteur moyen (et le moins anglophone) se perdra facilement dans ce récit, qui livre toutes ses clés au troisième chapitre, et demandera d’être relu avec les informations en tête. A l’envers du récit hypra-simplistes des crossovers lambda, celui-ci prend la posture d’être compliqué, et réalise un travail d’écriture intéressant pour assimiler les divagations « services secrets militaires trahisons cliffhanger » et habituelles schémas des années ’90.

C’est cependant le dessin qui emporte l’intérêt du titre. A l’aise dans son élément dans les gratte-ciels de Gotham entre deux dirigeables, Lee Bermejo peint la cité noire comme une Chicago des années ’40, superbe décor d’un polar réussi. On retrouve le travail d’ambiance de l’artiste, quoi que celui-ci ose moins et reste compartimenté entre les cases, pas encore aussi à l’aise que dans ses essais ultérieurs sur la ville. Fidèle à lui même, il reproduit ses personnages encore héritiers de l’école WildStorm, musculeux et carrés, mais amène sa touche personnelle aux rendus hyper-réalistes qui subliment le trait caricatural de l’époque. La seule création originale du bouquin, Max Kai, a tout du personnage « à la Bermejo« , un style de gangster de cinéma à qui ne manque que les tatouages de Los Angeles pour paraître encore plus personnel. S’il n’est pas le seul à opérer à l’encrage, on sent également l’exigence d’un artiste qui affirme son style peu à peu, très différent du rendu de son travail sur Superman/Gen13 réalisé auparavant.

En bref, la première collaboration de haute volée de deux artistes amenés à se retrouver ne commence pas là où on l’attend. A l’ombre des phénomènes d’un éditeur qui tente de rationaliser un imprint qui dénote de ses héros intemporels, Batman/Deathblow est une jolie surprise où on reconnaît, malgré ce qui aurait pu ou du être un boulot de commande bâclé ou caricatural, une envie de réaliser quelque chose de valable pour le lectorat. Azzarello s’applique à l’écriture, capable de faire tenir ensemble ces deux entités contradictoires, DC d’un côté, WildStorm de l’autre, soutenu par le trait de celui qui deviendra, plus tard, un de ses meilleurs élèves. A posséder pour les complétistes de l’auteur ou du dessinateur, loin devant Batman/Spawn ou la plupart des collaborations mémorables dont la setlist d’auteurs ne suffit pas toujours.