Off My Mind #22 – L’Humanité dans les comics

A défaut de ne pas parler de l’impact des comics sur l’humanité, ce qui serait assez prétentieux et difficilement défendable, il faut l’avouer, j’ai préféré me pencher sur le traitement de l’humanité dans les comics sous ses différentes formes. L’humanité représente l’intégration du personnage au sein des hommes, de la société, voir même du « peuple humain ». Il s’agit du sentiment qui fait que la personne, dans ce cas, le personnage, ressent vis à vis de ses ressemblances avec l’humain. L’humanité, le mot, désigne également ce peuple, cet ensemble de personnes et cette société, voire ces sociétés. Je vais présenter les différentes facettes de l’humanité que l’on peut observer dans les comics, chez DC, mais qu’il s’agisse de chez Marvel ou d’autres éditeurs, chacun se valent et ce traitement ne subit que certaines variantes selon les personnages.

Je n’écris pas pour coller une étiquette à un personnage, dire s’il est humain ou non. Ce n’est pas aussi simple, je me base uniquement sur des récits exposant le rapport entre l’humanité et le héros (ou anti-héros). Ce rapport est tellement nuancé, et il est fort probable que vous ne soyez absolument pas en accord avec ce que vous allez lire, qu’il varie et se contredit d’un auteur à l’autre. Ce n’est pas pour autant que cet auteur est mauvais, seulement, sa vision du personnage ou son envie d’insérer ce personnage dans ce contexte fait qu’il peut se développer de nouveau. Et quitte à parler de développement, autant parler du développement de l’homme. Le comics expose le concret, l’évolution scientifique, ce qui faisait vibrer la vision futur du monde il y a quelques décennies. Seulement, aujourd’hui, nous sommes restés là-dessus, et il serait bien plus intéressant de développer la partie humaine des personnages. Non pas pour se rapprocher d’une vision réaliste et vraisemblable, de rapprocher le monde du comics au notre mais pour créer un attachement, mettre en avant les sentiments de ce monde qui n’en est pas dépourvu, mais qui ne les exprime que trop rarement et de manière très brève. A l’exception de la mort de Damian qui aura été bien mise en avant, sans perdre son intérêt, ni sembler trop lourde. A cela, s’ajoute l’humanité telle qu’elle est, telle que nous sommes. Nous, les simples mortels, civils et victimes des pluies de débris et de grattes-ciels. La manière dont nous sommes représentés et dont nous nous représentons nous-même.

1. SuperBoys don’t cry

Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non, c’est la première partie. Traiter un personnage, le caractériser et l’approfondir ne peut que faire transpirer une part d’humanité, et ne permet que difficilement à en faire une personne complexe et réaliste. Ce n’est pas non plus l’objectif et ce qu’un lecteur peut rechercher dans les comics. Seulement, un personnage humain, aux réactions à la fois vraisemblables et imprévisibles feraient de ce personnage l’un des plus remarquables qui soient. Si cela peut sembler impossible, certains s’en sont rapprochés. Et des personnages tels que Superman, accumulent ces facettes, ces différents points de vue sur l’humanité qui, par la suite, ont créé une sorte d’intégrité du personnage au sein de ce monde d’adoption. L’humanité est l’affection que l’on porte à autrui, c’est une notion philosophique intégrée à la nature humaine. Le sentiment de compassion envers l’autre (Nok.) et le devoir d’aider. De par ce critère, il semblerait que tout super-héros, ou personnage portant secours à autrui ait une part d’humanité. Chez Superman, l’on peut tout d’abord prendre en exemple le célèbre récit d’Alan Moore sur le personnage Whatever Happened to the Man of Tomorrow ? publié en deux parties dans le Superman #423 et le Action Comics #583. Juste avant Crisis on Infinite Earths, qui servira de relaunch, Alan Moore tue Superman. Moins impressionnant, et moins épique que son affrontement face à Doomsday, le génie fou signera deux numéros incontournables. Le rapport humain est quasi-permanent, et se ressent particulièrement dans la discussion avec la légion venue apporter un trophée à Superman. Seulement, Brainiac V ne retient pas ses larmes et dans sa discussion avec Superman, lui apprend qu’il va mourir dans peu de temps. Une lecture religieuse que l’on retrouve encore, mais la représentation de l’humanité chez Superman dans cette histoire montre un Superman impassible, porteur d’espoir ne faisant que son devoir. Et cette image se brise en une page, lorsqu’il pleure, seul face à Krypto.

L’on n’oublie trop souvent que Superman est un alien, de par son apparence, de par son intégration à notre culture. Je pense fortement que cela est du au fait que l’on nous a longtemps répété qu’il n’était pas humain, mais que cette planète est autant la sienne que la notre. Un message répété, mais trop peu développé d’une bonne manière. Alan Moore nous montre la face cachée de Superman, ce que l’on ne s’attend pas à voir mais qui est si nécessaire pour un homme qui se cache pour pleurer justement pour soigner son image, pour ne pas perdre sa crédibilité face aux regards des gens, comme pour ne pas briser cette sorte de contrat qu’il a passé avec Metropolis, pour ne pas briser ce qu’il représente chez ce peuple qui l’a accueilli. Alan Moore a parfaitement compris que montrer Superman pleurant sur son sort ne ferait que renforcer la crainte du lecteur. Confronter Superman à sa plus grande peur, celle de mourir. L’homme pleure. On le remarquera de temps en temps dans les comics, les civils, sous le poids de la peur et de la panique. Cette action est généralement liée à un enfant, mais une fois associée à Superman, cela ne le rend pas moins crédible, seulement plus humain. Et ce même si l’on lui retire son apparence humaine, un extra-terrestre qui pleure créé chez le lecteur un sentiment de compassion. Whatever Happened to the Man of Tomorrow ? peut être vu comme la source du célèbre All-Star Superman du grand Grant Morrison, dans un autre univers et autre contexte. Il serait difficile de les comparer en tout point, néanmoins, l’aspect humain de Superman reste plus en retrait par rapport au récit d’Alan Moore. L’on assiste à une succession d’histoires de l’homme d’acier tentant de réaliser tout ce qu’il peut avant le temps imparti, mais une fois face à la mort, il décide de l’affronter. Superman n’est plus tant rattaché au monde des hommes, mais reste muni d’un esprit de justice et de bien commun, et surtout du sens du sacrifice. Ces valeurs qu’il représente sont-elles liées à l’enseignement et à son éducation donnée par les Kent, ses parents adoptifs ? Ou font-elles partie intégrante de ce monde ? Quand je lis des comics, je n’y prête pas attention, mais le monde tel qu’il est représenté semble être dénué de ces valeurs dans les personnes représentées. L’homme est soit un civil effrayé, soit un malfaiteur ou autre criminel de bas étage travaillant pour le premier surhomme à la tête de la pègre venu. Ce sont les personnes que l’on voit le plus souvent, il est certain que l’on ne voit que peu de personnes inspirées par ces valeurs à l’action (à la douce exception de Blue Beetle vol.02, mais je serais terriblement méchant de vous inviter à lire ces épisodes).

Je pense par ailleurs aux épisodes de JLA : Pain of the Gods de Chuck Austen et Ron Garney qui confrontaient chaque membre de la ligue face à un échec dans leur mission de protéger le monde de lui même. L’étude de la déception, de l’imperfection de la ligue des dieux. Le défaut de cet arc est d’associer le même sentiment à chaque membre, mais il nous permet d’avoir un nouveau regard sur le monde des comics. Chuck Austen met en avant la place de l’homme dans les dangers courants de la vie. C’est, évidemment, mis en scène de telle sorte que le pompier qui court seul pour porter secours, prend des risques. Ce qui peut sembler surréaliste, de par le danger du milieu mais qui peut rester vraisemblable dans le sens où ces gens peuvent avoir un sentiment de sécurité plus grande de par la présence de ces dieux, et par leur influence, vouloir eux aussi exprimer ces valeurs humaines et les représenter. Je pourrais également parler de Superman : For Tomorrow de Brian Azzarello et Jim Lee, qui amène Superman sur ce même sentiment d’échec, et ce jusqu’à douter de ce qu’il représente. Une leçon d’humanité venant ici non pas de Superman, mais d’un prêtre venant lui même à douter de ce en quoi il croit. Un récit bien plus intelligent que ce que l’on pense, haï par de nombreux lecteurs certainement à cause des planches de Jim Lee et sa mise en page « Blockbusterisée« . Mais qui, même si sa démarche humaine vient à dérailler, part sur un bon raisonnement qui donne à réfléchir et qui finit par décevoir le lecteur de ne pas voir ce raisonnement plus approfondi.

Superman n’est pas uniquement un personnage représentant des valeurs. Il croit en ce qu’il représente, ou s’en persuade. Seulement, malgré son identité d’alien, il est l’un des personnages les plus humains dans sa façon d’être ou d’agir, en tant qu’homme réfléchi (Convergence #0 ne compte pas, et puis 2015 c’est fini) et surtout responsable. Il sait que son rôle est déterminant, mais comme tout homme il est facilement influencé par ses sentiments qui le poussent à des excès de colère. Ce qui peut sembler être un cliché n’est pas faux pour autant. Le plus grand point faible de Superman est son ressenti, sa facilité à se laisser emporter par ses sentiments, puisqu’il ne peut avoir peur avec les pouvoirs qu’il possède, puisqu’il sait qu’il a la capacité de réaliser tout ce qu’il souhaite, de créer comme de détruire. Là où les sentiments d’un homme peinent à se faire ressentir par beaucoup, ceux de Superman peuvent avoir un impact sur toute une planète. Et c’est par ailleurs, ce qui a pu arriver lors de Kingdom Come qui est une lecture obligatoire pour mieux comprendre, ou apprécier, le personnage de Superman ainsi que cet Off My Mind. Une conclusion qui concorde avec l’approche raciale que l’on peut avoir de Superman arrivant sur terre, victime d’un certain racisme, qu’il s’agisse de Lex Luthor comme de Glorious Godfrey dans Legends de John Ostrander, Len Wein et John Byrne.