DC Spotlight #1 – Batman : City of Crime

Les fêtes sont finies, c’est la rentrée et une nouvelle année, que l’on espère excellente, débute sur DC Planet. Le moment semble donc bien choisi pour le lancement de ce DC Spotlight. Mais DC Spotlight, qu’est-ce que c’est ? Tout simplement une bonne occasion, sous forme de chronique mensuelle, pour mettre en lumière les histoires injustement oubliées ou sous-estimées, chez DC et qui méritent pourtant le coup d’œil. Non, il n’y pas que les All-Star Superman, les Watchmen ou encore les Batman : Year One dans le monde de la bande dessinée américaine, il existe aussi tout un tas de récits rarement réédités et/ou laissés de côté qui sont pourtant dignes d’intérêt. Alors bienvenu dans le royaume des œuvres imparfaites mais attachantes et des chef d’œuvres oubliés et pour cette première c’est bien une oeuvre de la première catégorie qui nous intéresse.

En effet pour débuter avec une valeur sûre, c’est Batman qui est à l’honneur aujourd’hui (oui encore et toujours lui !) avec un arc rarement mis en avant dans l’imposante liste d’histoires sur le personnage, Batman : City of Crime de David Lapham, Ramon Bachs et Nathan Massengill. Publié entre Janvier 2005 et Février 2006 dans les pages de Detective Comics #800 à 808 et #811 et 814, cet arc représente le run entier de l’auteur sur le titre et n’est, en fait, qu’une seule et grande saga. Cependant, avant de s’intéresser de plus près au récit en lui-même, revenons d’abord sur l’auteur à la base du projet.

Passé par Marvel, DC et même Valiant, c’est bien en indépendant et loin des univers partagés que David Lapham va se faire un nom au milieu des années 90 avec Stray Bullets. Cette série chorale, anthologie de récits noirs, nous racontant généralement les déboires de gens « normaux » qui au choix devront faire face à la perte de leur innocence et/ou se retrouveront embarqués dans un cycle de violence par un coup du sort, nous montre Lapham à son meilleur et paraît indispensable pour comprendre sa profession de foi dans le monde dans la bande dessinée. L’intérêt de Lapham ne se porte par sur les héros mais bien sur les êtres brisés par la vie et qui, essayant de se reconstruire, ne trouvent sur leur chemin que plus de violence et de folie. En y regardant de plus, cela semble une description valable de Batman et, vu sous cet angle, l’arrivée de l’auteur sur Detective Comics, début 2005, semble somme toute logique. 


BATMAN ET LA VILLE DU CRIME

City of Crime est bien à sa place dans Detective Comics. En effet. le pitch, en surface, est une enquête autour de la disparition d’une jeune fille impliquant aussi bien les bas-fonds de Gotham que les grands noms de la ville. L’enquête, véritable moteur du récit, nous montre en détail à quel point la ville est gangrenée et pourrie à tous les niveaux par le crime. Lapham joue ici la carte du mal tellement profondément installé dans la vie que la menace qui pèse dans City of Crime ne trouve pas sa source dans le monde des gangsters et des super-vilains mais bien dans celui des gens banals. Tout commence alors que Lapham insiste sur le sentiment de culpabilité de Bruce Wayne lié à la mort de ses parents en le transposant sur la disparition d’une jeune fille qu’il a repoussée lors d’une soirée mondaine. Cette dernière avait, en effet, approché Bruce en lui faisant des propositions pour le moins directes, le forçant à la rembarrer violemment sans comprendre qu’en agissant ainsi l’adolescente cherchait peut-être simplement de l’aide. Avec ce point de départ, l’auteur va amener son personnage dans une enquête labyrinthique forçant Batman à exercer un travail d’enquêteur mais le poussant aussi à une profonde introspection sur son rôle, sa mission et ses propres limites. Avec son style bien à lui, le scénariste poussera aussi le lecteur à s’interroger sur les véritables motivations et agissements du personnage principal.

Un point de départ très intéressant donc mais qui ne se révèle pas être le principal intérêt de ce City of Crime. Vous en conviendrez, les thèmes et les enjeux cités plus haut ont déjà été largement explorés par beaucoup d’auteurs. Ce qui démarque alors le travail de David Lapham des autres réside dans le traitement jusqu’au boutiste de son sujet. D’abord, il met un point d’honneur à mettre sur page le travail laborieux de détective, prenant son temps, montrant un héros suivant piste après piste. L’auteur joue en permanence sur le sentiment de frustration de son personnage, qui arrive régulièrement trop tard pour faire une réelle différence durant les divers tragédies qui parsèment le récit.

C’est, en effet, un Batman très humain qui apparaît ici. L’auteur force son personnage à agir plus souvent avec son instinct qu’avec préparation. Il expose alors ses failles et ses sentiments à fleur de peau alors que le Dark Knight n’est montré que comme un être qui agit en réaction aux crimes sans pour autant parvenir à les empêcher. En poussant ce procédé jusqu’au bout, Lapham questionne alors la santé mentale et la fiabilité de son héros, qui exerce ce qu’il croit être son devoir entre colère, frustration et plaisir malsain quand il parvient à faire naître la peur chez ses ennemis. Bref, vous l’aurez compris, le Batman de Lapham est loin du héros monolithique au caractère implacable et est plutôt représenté, ici, comme un être ambigu, torturé, parfois brutal et borderline et se confrontant à ses limites d’être humain. Ainsi, c’est quasiment une déconstruction du personnage que présente le scénariste durant une bonne partie de l’oeuvre avant de faire renaître le mythe dans le dernier acte du récit.

NOIR C’EST NOIR

En conséquence, l’ensemble est définitivement grim & gritty dans la lignée, encore une fois, de Stray Bullets. On retrouve aussi dans City of Crime une forte filiation avec le travail de Frank Miller sur le personnage. On pense évidemment à Dark Knight Returns pour l’aspect brutal et sans concession mais aussi à Batman : Year One puisqu’on voit, ici, un héros encore humain et capable d’erreurs alors que beaucoup d’auteurs ont tendance à le montrer sans failles. Il est donc bien évident que Lapham ne révolutionne pas le genre et choisit plutôt de créer un récit noir basé sur des archétypes bien définis et ancré dans une certaine tradition. C’est donc bien son travail sur la caractérisation des personnages et sur l’ambiance qui fait la différence. En transcendant ses archétypes à mesure que l’histoire avance, l’auteur permet une identification envers ses personnages, qui apparaissent plus complexes qu’il n’y paraît et, surtout, tous irrémédiablement humains.

Outre les codes largement identifiables des œuvres noires, Lapham inscrit aussi son récit dans un monde où l’horreur domine. Pas une horreur faite de monstres et de gore mais une horreur psychologique, l’horreur du quotidien dans la ville du crime, celle qui se trouve dans chaque ruelle mal fréquentée et dans chaque taudis autour de la ville. L’auteur ne cherche pas vraiment à provoquer le frisson ou la peur mais bien à laisser le lecteur avec un goût amer en bouche en refermant le livre, grâce à un travail sur l’ambiance assez remarquable.  Il faut donc aussi mettre l’accent sur le travail de Ramon Bachs qui livre une prestation à la hauteur du script puisque tout apparaît poisseux, malade, malsain dans les pages livrées par l’artiste. L’encrage chargé appuie définitivement sur l’aspect oppressant de l’histoire alors que sur certaines planches, le travail sur les détails donnent même l’impression que les rues de Gotham sortent tout droit de la caméra de Scorsese dans le New York crade de Taxi Driver. Finalement c’est lorsque que le récit se montre plus frontal et joue moins sur la suggestion qu’il perd en impact et en personnalité.

L’autre aspect intriguant de City of Crime se révèle être le traitement des personnages secondaires et en particuliers le cas Robin. Les auteurs ont tendance à montrer Tim Drake comme un petit génie, ce qu’il est indéniablement. Seulement beaucoup oublient que ce génie est aussi un adolescent. Ici Lapham s’en donne à cœur joie pour nous rappeler que Robin n’est pas encore un combattant du crime aussi définitif que son mentor. Ainsi la relation Batman / Robin dépeinte ici apporte un peu de fraîcheur au mythe, même si au détour de plusieurs pages la caractérisation de Drake, le montrant moins mature que d’habitude, risque de faire grincer quelques dents. En définitive, l’auteur essaie, et souvent avec succès, d’apporter sa vision et son style très appuyé à l’ensemble et même si cela  jure parfois avec le reste des œuvres Batman de l’époque. Néanmoins, la caractérisation des personnages fait sens dans la logique interne du récit alors que l’auteur s’approprie totalement cet univers.

UNE OEUVRE VICTIME DE LA CONCURRENCE ?

Alors si c’est si bien que ça, pourquoi est-ce que plus personne ne parle de City of Crime aujourd’hui, me direz-vous. D’abord parce que les années 2000, on était très chargé pour le Chevalier Noir et d’autres runs, devenus aujourd’hui des classiques, qui attirent sur eux tous les projecteurs. Les runs de Grant Morrison sur Batman et de Paul Dini sur Detective Comics ont débuté mois d’un an après la publication de City of Crime, alors que la première partie des années 2000 a été très chargée en termes de crossovers se déroulant à Gotham. Ainsi au milieu des War Games, No Man’s Land, Bruce Wayne Murderer et autres crossovers plus ou moins fréquentables, les douze petits numéros écrits par David Lapham apparaissent aujourd’hui comme une parenthèse peu importante pour les amoureux de continuité.

Bien sûr l’abondance de publications autour du personnage n’est pas l’unique raison du manque de reconnaissance de cette oeuvre. Malgré toutes ses qualités, le récit de Lapham n’est pas une lecture facile. L’auteur met volontairement en place un récit tortueux, avec beaucoup de personnages mais aussi beaucoup de digressions qui permettent d’établir l’ambiance sombre du titre mais qui, en contre-partie, rendent l’histoire plutôt labyrinthique. Dans l’ensemble, City of Crime ne s’offre donc pas facilement, en prenant beaucoup de temps pour poser ses enjeux et semble vouloir placer le lecteur dans un état de confusion proche de celui du personnage principal. Le procédé, intéressant sur le papier, a ses limites et le récit souffre en conséquence de quelques longueurs et se montre, surtout, plutôt hermétique. Difficile alors dans ces conditions de faire de l’œil au très grand public puisque cette histoire, très adulte, semble réservée aux amateurs du genre.

De plus la conclusion, bien qu’elle fasse sens par rapport aux thèmes abordés ici et au développement du récit, a de forte chance de laisser une bonne partie des lecteurs sur leur faim. Le final de David Lapham est, en effet, extrêmement noir et désenchanté. Ce ne sont, encore une fois, pas les héros ni les vilains qui sont victimes de la folie du monde décrit par l’auteur mais bien les Monsieur et Madame Tout le monde, qui se retrouvent totalement aliénés par l’environnement toxique qui les entourent. Cette conclusion finit d’ailleurs d’imposer ce récit comme l’une des aventures les plus sombres jamais écrite dans l’univers de Batman, même d’après les standards post-Frank Miller. Nul doute donc que ce jusqu’au boutisme dans le sordide joue aussi un rôle dans la réputation de cette histoire qui n’a pas fini de diviser ceux qui s’y attaquent.

Évidemment, pour découvrir City of Crime, les choix sont aujourd’hui limités puisque, pour la VO, deux voies s’offrent à vous pour lire l’intégralité des douze numéros écrit par David Lapham. D’abord une édition collectée, parue courant 2006, mais qui n’a jamais été rééditée depuis. Le marché de l’occasion peut donc être un bon moyen de se procurer l’œuvre mais attention à l’explosion des prix chez certains vendeurs. Le plus simple finalement reste de se procurer tous les numéros séparément puisqu’ils sont disponibles sur Comixology, si vous n’êtes pas allergiques à la lecture en numérique évidemment. Pour les amateurs de la langue de Molière, les choses se corsent encore puisque vous ne trouverez ces numéros de « La Ville du Crime » que dans le magazine Batman (#11 à #23) publié par Panini entre 2006 et 2007.

En définitive, ce Batman : City of Crime ne fait pas figure d’intrus dans la légende du Chevalier Noir. Les influences et références qui nourrissent l’oeuvre de David Lapham sont même facilement identifiables. Malgré cela, en insufflant ses propres obsessions dans le récit, l’auteur est parvenu à créer une oeuvre qui fait sens au sein de sa bibliographie mais qui conserve surtout un réel intérêt, même dix ans plus tard. Il est d’ailleurs peut-être encore plus facile d’y trouver son compte aujourd’hui, tant cet arc apparaît comme une parenthèse au milieu de la continuité de l’époque et ne nécessite donc pas de s’encombrer de lectures en tout genre pour l’aborder. Noire comme le charbon, cette histoire doit par contre s’attaquer avec précaution puisque, comme pour les personnages qui apparaissent ici, rien ne vous sera épargné si vous vous investissez émotionnellement dans cette saga. Dans la lignée des grands récits sombres sur le personnage mais avec la forte personnalité de l’auteur imprimée sur chaque page, ce City of Crime, bien qu’imparfait, s’affirme néanmoins comme une jolie réussite et un bon moyen de revisiter le mythe du Batman par le versant rugueux de son histoire. 


En bonus, et pour la petite histoire, sachez que c’est le grand Bill Sienkiewicz qui devait, à l’origine, illustrer le script de David Lapham. L’artiste avait d’ailleurs réalisé le premier numéro du run avant que Ramon Bachs ne le remplace et ne refasse, même, ce premier épisode. Les raisons de ce changement sont encore aujourd’hui très floues et les traces du passage de l’artiste sur la série sont limitées. Il se dit même que ni l’artiste, ni DC ne disposent encore des pages originales en haute définition. Malgré tout, quelques planches traînent encore ici et là dans le vaste monde qu’est Internet. Voici donc deux petits exemples de ce qu’aurait pu devenir City of Crime sous le coup de crayon de Sienkiewicz.

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Vibe
Vibe
8 années il y a

Cool cette nouvelle chronique

The Bat
8 années il y a

Je les ai trouvés sur internet en attendant de trouver tout ça à un prix raisonnable

Freytaw
8 années il y a

Très bonne chronique ! Merci d’avoir fouillé les tréfonds de ta base de données pour nous sortir ça n00dle.

crazy-el
crazy-el
8 années il y a

Merci n00dle, des chroniques comme j’aime où on prend au sérieux son matériel lol, dans le sens du respect. Bien écrit, de bons qualificatifs, bien fouillé dans un bon condensé.

Paras
Invité
Paras
3 années il y a

Sympa la chronique, cette série m’avait bcp marqué quand elle était sortie chez Panini à l’époque, j’en garde un excellent souvenir

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