Review VF – Enigma

Preview Enigma
Critique de Enigma
Les points positifs :
  • Nihilisme psychédélique
  • La British Invasion à son meilleur
  • Une mise en abyme des comics
  • La narration perchée de Peter Milligan
  • Le message, qui se développe naturellement
Les points négatifs :
  • Difficile d’accès au début
  • Des dessins parfois confus

« Ce soir, Michael fera l’amour à sa petite amie Sandra. Il le sait, parce qu’on est mardi aujourd’hui » – Narrateur (?)


  • Scénario : Peter Milligan – Dessin : Duncan Fegredo
  • Enigma – 12 jun 2015 – 224 pages – 19 €  – Urban Comics

En 1993, l’imprint Vertigo, récemment fondé sur la base de séries antérieurement rattachées au DC Comics classique, inaugure un nouveau type de publications. Traditionnellement ancrées dans l’idée de séries en ongoing pouvant passer d’auteurs en auteurs, les premiers personnages qui formeront ce nouvel élan éditorial (Animal Man, Swamp Thing, Sandman, etc) demeureront la propriété de DC, et seront traités avec la même politique que les super-héros classiques tels que Superman ou Batman – un jour, rattachés au DCU classique pour les besoins d’un relaunch. A l’inverse, Enigma marque le début du Vertigo dit « creator owned », attaché à éditer et publier les séries d’auteurs dans un esprit indépendant, ceux-ci demeurant leur oeuvre et leur création. Seconde série à voir le jour sous l’imprint Vertigo, après Death : The High Cost of Living, dérivée du Sandman de Gaiman, Enigma est à ce titre une série historique, produit d’un des transfuges de la British Invasion, Peter Milligan. Après avoir travaillé sur la série Shade the Changing Man, où l’auteur avait pu démontrer son talent pour les récits complexes et psychédéliques, il s’associe à Duncan Fegredo pour cette mini en huit numéros, qui passera d’un éditeur à l’autre avant de trouver sa place chez Vertigo, et d’en devenir l’un des plus vivants représentants.

Enigma raconte l’histoire de Michael Smith, cis mâle hétérosexuel blanc avec un boulot, une copine et une vie bien rangée, routinière. Le produit d’une civilisation, un alpha anti-héros qui n’a, dans son quotidien, qu’une seule originalité : il rêve. Il rêve d’un homme masqué, d’un lointain souvenir de son enfance, issu d’un mauvais comics de super-héros annulé après trois numéros. Cet homme est son ami, il le protège et, il ignore pourquoi, lui évoque quelque chose de très familier. Au hasard d’une journée comme les autres, Michel Smith croisera la route d’un tueur en série monstrueux à l’aspect difforme, et sera sauvé in extremis par ce qui semble être cet homme de ses rêves, un super-héros énigmatique. Ce tueur semble lui aussi sortir du comics Enigma de son enfance, et Michael Smith ne mettra pas longtemps à réaliser que tous les personnages de la BD semblent se matérialiser autour de lui, tous prenant la forme de meurtriers auquel le héros Enigma semble seul pouvoir s’opposer. Accompagné par l’auteur du comics original, Michael Smith part en quête d’une explication à ce mystérieux phénomène, au cours de laquelle il accomplit un voyage initiatique destiné à comprendre qui il est.

FUCKKKKKKK

On peut dès lors mettre les choses à plat : Enigma n’est pas un récit tous publics. Complexe dans sa narration et sa façon de brouiller les pistes, le récit se charge en plus de pas mal de concepts qui pourraient échapper aux lecteurs hermétiques à certaines techniques d’écriture.  Dès les débuts de son récit, Milligan distille une sorte d’hésitation entre réalité et fiction. Perpétuellement remis en question, le statut des personnages semble hésiter entre la tradition classique du super-héros et une forme de parodie horrifique, où beaucoup d’éléments empruntent au polar et aux récits mystiques d’autres grandes œuvres de Vertigo pour tisser une toile énigmatique au cœur de laquelle le héros ressemble au lecteur, complètement paumé. L’écriture se fait à plusieurs niveaux, et reste, comme la fin de l’histoire, suffisamment ouverte pour être interprétée de plusieurs manières. L’auteur ne semble pas vouloir trancher dans toutes les possibilités données par ses personnages et son récit : est-ce un comics sur la tolérance ? Sur l’enfance ? Le rêve ? Le surhomme et les super-héros ? Une critique sociale à plusieurs niveaux ? Ou bien juste un gros délire sous LSD, comme le laisse à penser Milligan, qui évoque à travers la voix du scénariste Titus Bird l’idée que tout ça ne soit qu’un trip sous acides couché sur papier.

La première lecture, la plus accessible, reste finalement celle d’un bon polar teinté d’horreur et de super-héros, qui ouvre sur un beau message sur l’acceptation de l’homosexualité. Ce propos se développe naturellement au fil de l’oeuvre, à travers des dialogues et situations qui semblent à chaque fois naturels, et bien amenés. Le récit gagne en sincérité en ne faisant pas de ce thème son sujet principal, mais juste un des éléments du récit, amené avec assez de subtilité pour ne pas en faire un pamphlet peu subtil. En définitive, Enigma est ce que serait une association de John Waters et David Cronenberg, qui voudraient adapter Alan Moore dans sa tradition de déconstruction du super-héros.

Enigma_02_p21 (newcomic.org)

Le comics garde d’ailleurs la tradition de l’auteur britannique de détruire pour recréer des mythes plus humains. Avec son Enigma, super-héros inhumain sans conscience de bien et de mal, Milligan crée un héros qui s’inspire des comic books cheesy du silver age pour le déconstruire et le ranimer dans une philosophie à mi-chemin entre le héros du dark age et le surhomme Nietzschéen. Vertigo oblige, la plupart des auteurs de la British Invasion ont opéré selon le modèle défini par Moore avec ses Swamp Thing, Captain Britain et Miracleman : opérer une rupture entre des décennies de super-héros codifié pour insérer de nouveaux concepts et une écriture beaucoup plus mature à ces mêmes personnages. Si Enigma est une oeuvre d’auteur, elle accompagne une tradition propre au DC Comics de la fin des années ’80 : réinventer les comic books, pour en faire un média adulte. Le comics ne cesse de s’interpréter lui même et de réfléchir à son propre format : par la voix du narrateur, qui s’amuse de n’être qu’une voix off dans un récit ou son public – réel comme fictif – ne captera sûrement rien avant la seconde lecture, par l’insertion d’un sous-texte passionnant sur le rapport auteur, lecteur et fiction, chaque rôle changeant de main au fil des numéros entre Michael Smith, Titus bird et Enigma, et la parodie de toute la mythologie des comic books, via les vilains, qui sont autant de micro-critiques de la société que de petits clins d’œils à la diversité de l’âge d’argent et de son grand n’importe quoi d’antagonistes bariolés. Enigma lui même est le propre d’une déconstruction, vouant sa vie à n’être qu’un héros de fiction en perpétuelle auto-création.

Bref, pour faire des phrases plus courtes, on va résumer : Enigma, c’est bien. Une narration complètement perchée, qui accompagne l’histoire avec humour (d’autant plus avec la fin du bouquin), de beaux dessins de Duncan Fegredo, aussi tortueux et dérangeants que le récit lui même, et pour son écriture unique en son genre. Enigma ajoute à l’école Vertigo un peu de la folie psychédélique et l’humour acide de Peter Milligan, un scénariste aussi fou que ses personnages et aussi halluciné que ses résolutions scénaristiques. Un ovni, pour les fans de littérature, d’underground, d’auteurs anglais et de super-héros. Bon, si vous aimez la drogue et les théories Nietzschéennes, c’est pas plus mal non plus.

Au moment de publier The Names, dernier apport en date de Peter Milligan à l’étendard Vertigo, Urban Comics vous propose un autre de ses travaux, peut-être l’un des plus représentatifs du style de l’auteur anglais. Enigma, premier comics creator-owned d’un imprint légendaire, est un témoin de toute une époque des comic books, en transition, et portée par une somme de grands noms venus d’Europe qui offriront au média certaines de ses plus belles pages. Saluons l’effort de l’éditeur français pour proposer aux nouveaux lecteurs un peu de cette époque, avec Enigma ou Kid Eternity, et autres chefs-d’œuvres undergrounds à l’ombre d’autres récits, ceux des super-héros classiques, qui n’ont laissé aux années ’90 qu’un souvenir à moitié intéressant. 

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4 Commentaires
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pikul
pikul
8 années il y a

Chef d’oeuvre, point.

DJekkil
DJekkil
8 années il y a

Euh, si personne n’a remarqué, sur le résumé au dos du livre « existance », pas évident comme faute de frappe… ;)

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