Review VF – Human Target Tome 1

Human Target Volume 1
Critique de Human Target Volume 1 - Peter Milligan
Les points positifs :
  • Intelligent mais clair
  • Superbes dessins épurés
  • Nerveux
Les points négatifs :
  • Beaucoup de flingues
  • Portée ‘philo’ à relativiser
  • Ça restera trop perché pour certains

« À chaque fois le sentiment d’avoir un peu moins de consistance, comme si j’abandonnais sans cesse des petits morceaux de moi. » – Christopher Chance


  • Scénario : Peter Milligan, Len Wein Dessin : Edvin Biuković, Javier Pulido, Carmine Infantino – Couleur : Lee Roughridge, Dave Stewart, Javier Rodriguez

Human Target, la Cible Humaine, est un de ces personnages de DC secondaires qui ont eu droit à une nouvelle jeunesse à la fin du XXe siècle lorsque de brillants auteurs décidèrent de leur apposer une interprétation plus adulte. On a également Shade, the Changing Man par le même Peter Milligan, mais aussi  SandmanBlack Orchid voire encore Element Girl par Neil Gaiman,  le Soldat Inconnu par Garth Ennis puis Joshua DysartKid Eternity par Grant Morrison puis Ann Nocenti (oui, la même !), ou encore un peu plus tard la résurrection des Losers par Andy Diggle et Jock. Si certaines de ces reprises prenaient une grosse liberté par rapport au personnage d’origine, le travail de Milligan ne s’éloigne en fait pas tellement du concept original du personnage, à savoir un garde du corps passé maître dans l’art du déguisement, qui prend l’apparence d’un client en danger de mort pour être pris pour cible à sa place. Mais contrairement à ses clients gras et décadents, Christopher Chance, alias la Cible Humaine, a des réflexes de félin et bénéficie d’un entraînement rodé.

Ce volume contient une première mini-série de quatre numéros publiée en 1999 qui forme une histoire unie, liée toutefois par un de ses enjeux à la suite, un graphic novel, Human Target : Final Cut, publié en 2002, qui forme lui-aussi une histoire unie, mais qui sert en même temps de prélude à l’ongoing que lancera Milligan l’année d’après, dont les cinq premiers numéros sont collectés ici. Cette ongoing s’est achevée au bout de 21 numéros, la suite se trouvant dans le deuxième tome. En fait, à chacune de ses conclusions d’intrigue, Peter Milligan s’arrange pour garder une route ouverte qui fera le pont vers la suite, ce qui donne une cohérence à ces histoires tirées de trois formes de publication distinctes. Enfin, en bonus, on trouve dans cette édition le back-up de l’Action Comics #419 sorti en 1972, écrit par Len Wein et dessiné par Carmine Infantino. Il s’agit de la première apparition de Christopher Chance, la deuxième Cible Humaine, qu’utilise Peter Milligan. Cette courte histoire se détache, on s’en doute, de l’intrigue principale.

Dans la première mini-série, plusieurs intrigues se mêlent. Il y a d’un côté un job ordinaire pour Christopher Chance qui doit prendre la place d’un pasteur dans un ghetto glissant peu à peu sous le contrôle des caïds de la drogue, lesquels sont d’ailleurs dépeints avec un réalisme qui rappelle avec fort bon goût la série 100 Bullets. D’un autre côté, Christopher Chance est pourchassé par une tueuse à gages connue sous le sobriquet d’Emerald, et tout en essayant de rester en vie, il entreprend de remettre à flots son assistant Tom McFadden dont la vie familiale bat de l’aile, tant sa collaboration avec Christopher Chance le dévore.

Ficeler ces trois intrigues sans en négliger une seule sur seulement quatre numéros n’était pas gagné d’avance, et Milligan accomplit un travail bluffant à plusieurs niveaux. Tout d’abord le traitement du personnage de Tom McFadden est impressionnant. À la demande de Christopher Chance, il se met à exercer le même travail d’emprunteur d’identité, avec le même professionnalisme que son mentor, si on excepte les dégâts sur sa santé mentale. En effet, Peter Milligan lui fait vivre une descente dans la folie, où il perd de plus en plus de repères à chaque fois qu’il saute dans la peau d’un autre. C’est mis en scène avec une intelligence particulière, trompant par exemple le lecteur en lui faisant croire qu’il ne s’agit pas de Tom McFadden, mais de l’individu originel. Ainsi, et le lecteur, et Tom McFadden, ne savent plus qu’il est en réalité Tom McFadden persuadé d’être, par exemple, le pasteur Earl James.

Ces quiproquos ne sont pas rares, et le concept d’Human Target permet de nombreuses scènes mémorables, parfois très touchantes ou très troublantes, jouant sur cette incertitude d’identité, comme celle où Christopher Chance se glisse dans la peau de son assistant afin de faire vivre à son fils et sa femme – complice de la supercherie – une journée familiale idéale tandis que le véritable Tom McFadden erre, complètement paumé, dans les rues de Los Angeles. Et lorsque l’imposteur en vient à imiter tant et si bien l’homme remplacé que ses proches soient bernés, et que lui-même soit victime de l’illusion, si réussie qu’il en oublie qu’il est en réalité un imposteur, qu’est-ce qui le différencie de l’homme remplacé ? Qu’est-ce qui fait que je suis Jean et non Paul si je ressemble en tout point à Paul à tel point que la femme de Paul en vient à m’aimer telle qu’elle aime Paul ? Car si on peut tromper l’amour, que reste-t-il à tromper ?

Bon, ok, je vous ai peut-être perdus. Mais une autre réussite de ce tome, c’est qu’il perd difficilement le lecteur, et pourtant ça n’était pas gagné d’avance. Conserver un semblant de clarté lorsque Christopher Chance rencontre son double identique qui prétend être le vrai Christopher Chance… Le mal de crâne n’est jamais loin et à de nombreuses fois on ne peut s’empêcher de s’écrier : ‘Dieu merci ce n’est pas écrit par Grant Morrison !’ Parce qu’avec l’Écossais aux commandes (l’autre Écossais, car avec un nom comme Milligan, ça sent aussi le kilt et le whisky), ç’aurait été un imbroglio sans nom. Ici, heureusement, lorsque la confusion s’installe lors de retournements de situation proprement renversants, la vérité (ou l’apparente vérité !) est rapidement rétablie, Peter Milligan préférant ne pas s’attarder sur une situation incertaine pour conserver le rythme de sa série. C’est complexe par l’enchevêtrement des intrigues et par le traitement de ces usurpations professionnelles d’identité, mais ça n’est pas compliqué.

Si cette première mini-série se concentre d’une certaine manière davantage sur Tom McFadden que sur Christopher Chance, qu’on perçoit plus solide et plus sain d’esprit que son assistant, le graphic novel Human Target : Final Cut, ainsi que l’ongoing qui suit, développe davantage le personnage du mentor, dont les signes avant-coureurs de la folie apparaissent en fait déjà, discrètement, dans la mini-série, lorsqu’il avoue par exemple se faire suivre par un psychiatre chaque semaine. Dans Final CutChristopher Chance va baigner dans le milieu pourri du cinéma hollywoodien. Déjà sensible dans la mini-série précédente, l’élégance du style de Peter Milligan se confirme ici : ‘L’euphorie se dissipe vite tandis que j’efface Dai Thomas. Bientôt, je ne suis plus que moi. Avec chaque fois le sentiment d’avoir un peu moins de consistance… comme si j’abandonnais sans cesse des petits morceaux de moi.‘ Ces phrases soulignent la vanité de son existence, et Peter Milligan remarque avec intelligence que Christopher Chance ne parvient à vivre qu’à travers les vies qu’ils empruntent l’espace de quelques jours. Ainsi, sa seule manière d’aimer, c’est de voler l’amour d’un autre, tandis qu’il tombe amoureux de la femme d’un homme dont il emprunte l’identité. Parallèlement à un développement magistral de la psychologie de Christopher ChancePeter Milligan noue une intrigue qui tient beaucoup du polar, appuyée par un twist final assez inattendu, auquel s’ajoute à l’atmosphère de cet Hollywood sale et riche. Le cadre de Hollywood renvoie d’ailleurs à Christopher Chance un reflet de ce qu’il est, puisque le monde des comédiens est un paradis de l’imposture, où d’une certaine manière les acteurs exercent le même métier que la Cible Humaine. Le style en moins.

Restent encore deux histoires se déroulent à New YorkChristopher Chance y retrouve un peu de stabilité tandis que son chemin croise celui d’un comptable minable ayant décidé de se faire passer pour mort durant les attentats du 11 septembre afin de permettre à sa femme de toucher l’assurance-vie, et celui d’un joueur de base-ball sur le déclin qui enquête sur le suicide d’un de ses coéquipiers. On y retrouve la même intelligence, la même maîtrise des intrigues, tandis que les personnages semblent avoir une vie propre au-delà du comics, chacun ralenti par ses faiblesses, alourdi par ses erreurs passées, avec un réalisme qui rappelle, encore une fois, les portraits des Américains modernes qu’Azzarello dresse dans 100 Bullets. Plutôt que détailler ces deux dernières intrigues, soulignons la richesse des histoires racontées dans ce tome, car en évoquant chacune de ces sous-intrigues on subit la tentation de s’attarder sur les relations entre les personnages, sur leur profil psychologique. Peter Milligan arrive en très peu de temps à leur donner crédibilité et solidité, tout en abordant de nombreux thèmes comme la quête d’identité, la responsabilité, la lâcheté, la droiture, l’amour, etc. Il le fait avec une efficacité impressionnante, le lecteur saisit immédiatement quels sont les enjeux de l’intrigue et de son cadre, sans pour autant être préservé de quelques surprises amenées par les thrillers haletants qui occupent le premier rang.

Le dernier point, mais non pas des moindres, réside dans les dessins. Que ce soit Edvin Biuković, sur la mini-série d’ouverture, ou Javier Pulido, sur le reste du tome, le style est assez épuré, rappelant, particulièrement chez Javier Pulido, le trait apprécié de Darwyn Cooke. Sauf les yeux, qui troquent l’élégance dont Darwyn Cooke pare ses personnages pour un regard plus terne, évoquant un peu la manière dont Steve Dillon dessine la même partie du visage. Pour les amateurs, sachez qu’on retrouvera bientôt Javier Pulido en français sur Robin : Année Un. Chez Edvin Biuković, on reconnaîtra un petit air d’Eduardo Risso en moins sauvage. Le Croate s’était fait remarqué par son travail sur Grendel, qui lui avait valu un Eisner Award dans la catégorie newcomer en 1995. Sa mort en 2000 a sans aucun doute privé prématurément l’industrie d’un talent prometteur. Pour ceux que les styles épurés et peu chargés ne refroidissent pas, Human Target offre un régal pour les yeux de son ouverture à sa fin, renforcé par une colorisation phénoménale, rendue possible par l’intervention de l’incomparable Dave Stewart oui, mais les autres coloristes, Lee Loughridge et Javier Rodriguez, tiennent admirablement la comparaison et le niveau est exceptionnel tout au long du tome. À la seule exception peut-être du back-up des années ’70 inséré en guise de dessert, où les années n’ont pas été à l’avantage de la colorisation ‘pointillée’. Le style de Carmine Infantino est fort appréciable, l’artiste y est au sommet de son art, mais hélas la qualité des scans laisse à désirer et le contraste avec l’excellence visuelle qui précède cet épilogue est douloureux.

Pour faire le parallèle avec d’autres sorties Vertigo d’Urban, on peut dire qu’on pourra trouver dans Human Target la poésie de Daytripper et le réalisme de 100 Bullets, amplifiés par une écriture dont l’intelligence est comparable à celle de Grant Morrison, mais avec le mérite de le dépasser en clarté et en accessibilité. D’une richesse mémorable, capable d’émouvoir et de pousser à la réflexion, Human Target séduira aussi les lecteurs moins allumés car, malgré ses qualités, il ne faut pas perdre de vue ce qu’il est à la base : un thriller haletant où chaque nouvelle identité qu’emprunte Christopher Chance le place en danger de mort.

En passant par les liens affiliés BDfugue/FNAC/autres présents sur le site, DCPlanet.fr reçoit une faible commission. Qu’importe le montant de votre panier, vous nous aidez ainsi gratuitement à payer l’hébergement, modules, et autres investissements pour ce projet.

TheRiddler

TheRiddler

DC Comics : L'Encyclopédie (mise à jour et augmentée) / Edition augmentée

DC Comics : L'Encyclopédie (mise à jour et augmentée) / Edition augmentée

amazon
Voir l'offre
Patientez... Nous cherchons le prix de ce produit sur d'autres sites

À lire aussi

Shazam : La Rage des Dieux [DVD]

Shazam : La Rage des Dieux [DVD]

amazon
Voir l'offre
Patientez... Nous cherchons le prix de ce produit sur d'autres sites

Rejoignez la discussion

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

3 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
CaptainMasked
9 années il y a

Sympa la review. Merci.
Je ne savais pas du tout ce que c’était avant cette critique et je t’avoue que ça me donne envie. Les dessins sont sympa, ils me font un peu penser à du Samnee pour les connaisseurs.
J’aurais juste une petite question si tu veux bien me répondre. ^^
Tu dis dans les points faibles qu’il y a beaucoup de flingues, ça signifie que c’est sanglant et glauque, voir même malsain à la Preacher (oui la référence n’a rien à voir) ou que c’est bourrin et des fois abusé tellement il y a de flingues à la Losers ?

CaptainMasked
9 années il y a
Répondre à  TheRiddler

J’aurais noté « Irrégularité sur certaines cases. » personnellement.
J’aime bien ce côté minimaliste mais après l’avoir feuilleté on remarque quand même que certaines cases sont limite vides.

DC Universe FRA

Rejoignez la première et la plus grande communauté non officielle DC Comics Francophone et participez aux discussions Comics, Films, Séries TV, Jeux Vidéos de l’Univers DC sur notre Forum et serveur Discord.

superman
3
0
Rejoignez la discussion!x