Review VF/VO – Superman, Batman & Co… mics !

Critique de Superman Batman & Co... mics ! catalogue
Les points positifs :
  • Bilingue (français & anglais)
  • Qualité des images
  • Pertinence des introductions
Les points négatifs :
  • Préface de David Lloyd hors-sujet
  • Moins percutant qu’une visite effective
  • Un tiers de l’expo seulement immortalisé

« Ces personnages ne sont pas des super-hommes, ils sont bien trop ordinairement et humainement ennuyeux. » – David Lloyd


  • Scénario : CollectifArtistes : Gilles Barbier, Alexandre Nicolas, Audrey Piguet, Mathias Schmied, Adrian Tranquilli

Nous vous avions déjà parlé de l’expo Superman, Batman & co… mics ! à l’occasion d’un compte-rendu de l’expo ici et d’un interview de la photographe Audrey Piguet ici. Vous devez commencer à la connaître ! Mais nous récidivons une fois encore puisqu’un partenariat entre Urban Comics et la Maison d’Ailleurs, le musée qui accueille l’événement, a permis d’une part de proposer aux visiteurs une sélection de leur catalogue à l’achat à la fin de la visite, et d’une autre la parution d’un catalogue officiel, recueillant l’intégralité de la partie « art contemporain » de l’exposition, agrémentée de commentaires. À noter que le format de ce livre se distingue des autres publications d’Urban par un format légèrement plus imposant, permettant de mettre davantage en valeur les photographies collectées.

Le catalogue démarre sur un mot du directeur de la Maison d’Ailleurs, le jeune Marc Atallah. Commençant par présenter ses excuses au lecteur qui croirait retrouver, dans cet ouvrage, l’essence de son exposition, il poursuit en exprimant sa fierté vis-à-vis des divers commentateurs qui introduisent les artistes. David Lloyd, le célèbre dessinateur essentiellement connu pour son travail sur V pour Vendetta avec Alan Moore, lui emboîte le pas avec une préface intitulée ‘Pourquoi je déteste les super-héros ?’. Intéressante, non dénuée d’humour, elle se lit avec plaisir mais on peine à discerner quel lien elle entretient avec l’exposition, particulièrement lorsqu’il termine sur les mots ‘J’aurais simplement aimé qu’ils [les super-héros] aient fait davantage pour mériter ces applaudissements.‘ Comme vous le constaterez peut-être, il est difficile de parler d’applaudissements tant ces icônes sont désacralisées à travers le processus artistique qu’elles subissent ; abattues de leurs socles, leur ultime message ne s’adresse de fait pas aux super-héros, mais à l’homme lui-même, ainsi que s’évertue de l’expliquer Marc Atallah. Malgré ce caractère déplacé, les habitués du monde des comics seront ravis de trouver en David Lloyd un nom familier au milieu de la pléthore de personnalités qui ont mis de leur grain dans ce catalogue.

 

Vient enfin le moment que vous attendez tous : les artistes voyons ! Gilles Barbier ouvre le bal avec sept photographies. Des artistes exposés, c’est probablement celui qui pris le plus de distance avec le medium comics, seul L’Emmentaliste renvoie directement, et de manière odorante, à Spider-Man, travestissant l’Homme-Araignée pour traiter de la noyade de l’homme sous les produits de consommation. Le reste de ces œuvres est au mieux décontenançant, généralement dérangeant, à l’image de son tableau The Obese, le « sur-homme » au sens propre, à la fois plus impressionnant qu’un être humain et plus dégradant, renvoyant dans cette masse de chair débordante l’impression paradoxale d’une extrême fragilité. Les travaux de Gilles Barbier sont introduits par une contribution de la journaliste Sarah Dirren, qui après de brèves considérations biographiques sur le personnage, se lance dans une longue analyse des pièces de Gilles Barbier, multipliant les références historiques et artistiques. On apprécie le soin que met la journaliste à ne pas accomplir sa tâche mécaniquement, dotant son commentaire d’une poésie rafraîchissante et bienvenue.

 

Suivent les fameux fœtus d’Alexandre Nicolas. Le Joker, Catwoman, Batman, Captain America, Iron Man, Spider-Man, Venom, le Surfeur d’Argent, et Hulk, tous figés dans des cubes de cristal, recroquevillés sur eux-mêmes, les yeux fermés. Selon les sujets, ils sont repoussants, des monstres vers lesquelles notre curiosité avide d’anomalies nous pousse, ou ils sont attendrissants, promesses d’espoir, messies en devenir au stade encore embryonnaire. L’art d’Alexandre Nicolas se fait sans doute plus accessible que celui de Gilles Barbier, et nous ne cherchons pas ici à réduire le message qu’il y insère. Seulement là où Gilles Barbier jouait avec notre tolérance en assaillant notre regard et notre résistance de jets de fromage et de sur-abondance, les fœtus d’Alexandre Nicolas nous attire, nous magnétise viscéralement, agrippant le spectateur par les tripes avant de lancer un dialogue avec son intellect. Et, à l’image de l’artiste qu’elle présente, l’introduction d’Agathe Chevalier est également plus abordable pour un homme qui n’accorderait son attention à l’art contemporain qu’un dimanche par année (et encore c’est s’il pleut le jour en question). Après la traditionnelle présentation biographique, la collaboratrice scientifique au Triangle Azur (un réseau d’universités) fait un parallèle entre ces fœtus et la tendance qu’ont les auteurs de raconter encore et encore les origines des super-héros, de revenir invariablement sur leur genèse, comme si c’était dans leur naissance que résidait le mystère de leur existence, et par-là ‘donner de l’espoir à une humanité perdue où chaque être se demande quelles capacités surhumaines on attend de lui dès la naissance ?‘. En effet, à trois mois de grossesse, le fœtus humain a déjà un sexe, un nom, un avenir parfois, autant de directions au milieu desquelles sa liberté s’atrophiera, tandis que ses parents imprimeront sur lui les mêmes attentes qu’on éprouve pour un super-héros. En effet l’enfant EST un super-héros, le super-héros de ses parents possessifs, et loin d’être une bénédiction, cette responsabilité est un fardeau.

 

Très proches des comics, les portraits de super-héros d’Audrey Piguet en sont paradoxalement les plus éloignés dans le sens où il donne aux icônes représentées une réalité, à travers la photographie, qui crisse directement contre leur essence fictionnelle et imaginaire. À travers cette réalité, Wonder Woman, Catwoman, Wolverine, et les autres tirent évidemment par la même occasion une humanité, soulignée par une vulnérabilité appuyée qu’on retrouve dans chacun des clichés d’Audrey Piguet. Cette humanité trahit à la fois celle qu’on a partiellement projeté sur ces icônes pour leur donner vie, et inversement la part de super-héros tapie derrière le visage du spectateur, celle qui est salie et souillée par sa faiblesse, son cynisme, son dégoût, sa tristesse, son pessimisme. On le constate, les œuvres de Audrey Piguet sont tout en contrastes et en paradoxes, cette dimension est appuyée par le style de ses photographies qui usent allègrement des clair-obscurs pour faire trancher le visage de ses modèles avec le néant qui les entoure, symbole de la vacuité de nos existences tout à fait anti-superhéroïques ? Ces considérations nous laissent peu de place pour le commentaire de la chercheuse Deganit Perez, qui fera ici la joie des amateurs de comics, que vous êtes peut-être, puisque par rapport aux autres contributeurs, elle choisit de ne pas trop s’éloigner du support d’origine, évoquant des auteurs qui seront familiers aux oreilles des connaisseurs, n’hésitant pas à faire des parallèles avec les différentes versions d’origine des personnages immortalisés par l’appareil d’Audrey Piguet.

 

Puisqu’il faut bien nuancer ses reviews pour avoir l’air intelligent, Mathias Schmied se chargera d’équilibrer la balance. L’essentiel de ses œuvres consiste en une série de planches originales de comics, découpées et évidées pour n’en garder que des fragments en lambeaux, où, selon les mots de l’artiste, ‘la BD est à la fois source et déchet‘. Puisque l’artiste affirme avec une fierté agaçante ne travailler qu’avec du matériel original et non avec des photocopies, on serait tenté de fulminer à l’idée que les œuvres qu’il mutile portaient probablement davantage de sens que ses aquarelles de Batman dégoulinantes à peine bonnes à satisfaire la soif de ténèbres d’adolescents mal dans leur peau. On subirait de la sorte la même rage impuissante que les esclaves de Néron devant le spectacle éphémère de l’incendie de Rome, réduisant pour la beauté d’un instant une ville éternelle à un tas de cendres. Mais Néron n’était pas un artiste, Néron était un malade, et à tuer l’immortel on ne tire qu’une célébrité maudite. Ce blasphème évoque également l’incendie volontaire du temple d’Artémis à Éphèse, par un infâme personnage avide de gloire dont nous ne citerons pas le nom afin de ne pas perpétuer la mémoire. Mais toutes ces considérations mesquines n’ont pas lieu d’être car, comme Rome, l’immortalité des ‘grands’ comics dépasse la lubie de cet artiste, et Batman, Superman, et les autres, tous survivront dans la mémoire collective tandis qu’il y a fort à parier que personne ne citera le nom de Mathias Schmied dans deux générations. Eh, à quoi s’attendait-il le type, de la part des disciples du néo-christ Superman, à des éloges ? De toute manière, nous ne faisons guère d’illusions sur la capacité de cet ‘artiste’, qui fait des comics dégradés, des crânes (so dark !) et du porno la glaise de ses créations, à trouver son public dans une humanité à genoux, à l’image grinçante de l’art qu’il véhicule. Aussi n’avons-nous aucun scrupule à faire preuve de partialité tranchée dans notre condamnation de son travail.

 

Enfin, vient celui qui, aux côtés d’Audrey Piguet, s’est un peu fait le porte-étendard de l’exposition avec ses sculptures en polystyrène. À juste titre : à peine a-t-on aperçu une des créations d’Adrian Tranquilli, que ce soit le Christ-Superman, le Batman à genoux, ou le Spider-Man emmuré, qu’elles restent imprimées dans notre mémoire, l’empreignant d’une noblesse et d’une tristesse mystérieuse qu’on ressent avant de comprendre. Introduit avec beaucoup d’humour par le critique d’art contemporain Laurent Delaloye, ses quatre pièces exposées à la Maison d’Ailleurs sont mises en avant par plusieurs clichés, sous divers angles, tentant, évidemment sans succès, de restituer au lecteur la solennité de ces sculptures à l’échelle humaine. Même si le parallèle Christ-Superman n’est pas neuf, cette représentation dépasse la simple référence. En l’emprisonnant du mur les bras en croix, en donnant à son regard vide cette résignation paisible et triste, et surtout en marquant son flanc d’une blessure en or, Adrian Tranquilli semble faire le constat muet d’un sacrifice dont la vanité vibre à travers notre imperfection. Comme le signifie Laurent Delaloye avec beaucoup de pertinence en accordant quelques lignes au lecteur pour y mettre sa propre interprétation, les œuvres d’Adrian Tranquilli sont, peut-être plus que celles de ses voisins de galerie, sujets à une interprétation personnelle, qui naîtra du  respect humble face à ces fragments déchus de noblesse que la divinité a elle-même inspiré à Adrian Tranquilli, en songe probablement.

En guise de dessert, on sert au lecteur un texte du célèbre Jean-Marc Lainé, à qui l’on doit de nombreuses traductions de comics (Justice League : La Tour de Babel, La Mort de Superman, Kindgom Come, etc), une poignée de bandes-dessinées (Omnopolis, Grands Anciens), et des livres sur les comics (Frank Miller : Urbaine Tragédie, Super-héros ! La puissance des masques, ou le célèbre Nos Années Strange avec Sébastien Carletti). Celui qu’on peut certainement qualifier d’expert en comics conclut le catalogue en revenant sur les balbutiements du genre, passant allègrement du pop-art au comics, multipliant les parallèles en mentionnant des dessinateurs de légende, terminant sur les artistes qui sont mis à l’honneur dans l’exposition de la Maison d’Ailleurs. Enfin l’équipe d’Urban Comics elle-même achève l’ouvrage, expliquant pourquoi, à leurs yeux, ce type d’expositions fait sens chez les amateurs de comics en révélant ‘l’insoupçonné chez ces héros tout de couleurs vêtus‘, saluant l’initiative de la Maison d’Ailleurs de rapprocher le comic book de l’art contemporain.

S’il n’égalera pas, et de loin, une visite en chair et en os à la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains, ce catalogue propose un ersatz respectable d’une contemplation directe des œuvres. Il se fait même un complément à un parcours effectif de l’exposition à travers la sélection de commentaires qu’il propose et les pistes d’analyse et de réflexions que ceux-ci engendrent. Malgré la présence trompeuse du nom de David Lloyd, l’ouvrage ne s’adresse certainement pas aux mordus de comics exclusivement, mais davantage aux curieux, qui auraient envie de regarder ce qu’il se passe si, d’aventure, on extrayait leurs icônes de leur média pour parler de l’Homme, et plus généralement aux amateurs d’art contemporain. Il est peut-être dommage que le catalogue occulte toute la partie réalisée par les étudiants de l’École d’Arts Appliqués d’Yverdon, tout comme la partie consacrée aux comics sous ses formes originelles, cinématographiques et auditives qui occupe le visiteur au début de l’exposition, surtout lorsque la pagination l’aurait largement permise. Mais d’un autre côté, cela met encore davantage en valeur les artistes qui font le plat de résistance de Superman, Batman & Co… mics ! Et lorsqu’on a contemplé et subit la perfection saisissante des sculptures d’Adrian Tranquilli, on ne peut plus avoir de regret, juste lâcher une larme, sans trop savoir pourquoi.

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CaptainMasked
10 années il y a

Ah mais il y a du Marvel dedans… En tout cas de très belles images composent ce livre.

Vittorini
10 années il y a

Pas forcément un must pour les fans de comics mais un formidable outil pour ceux qui réfléchissent à la place du comic-book dans les arts contemporains, sur ses procédés esthétiques, sur son sens d’un point de vue socio-littéraire (qui, du coup, donne totalement sa légitimité au texte de Lloyd), etc… Y a pas à chi**, on a vraiment de la chance d’avoir Urban sur le marché et j’espère franchement qu’ils vont renouveler ce type d’opération afin de donner véritablement ses lettres de noblesses au comic-book en francophonie. A quand une traduction de l’essai de Momo ? Ou une nouvelle édition des réflexions d’Eco ?
Oh et excellente review, tes commentaires (que ce soit dans ce type d’articles ou en podcast) sont toujours incroyablement biens foutus et c’est toujours un plaisir de te lire/écouter.

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