Review VF – Batman : Cataclysme

Les points positifs : Des sauvetages pleins de tension Multiplicité des points de vue Impressionnant Les points négatifs : Too much, le séisme ? Une intrigue secondaire pas passionnante Et pas vraiment d’intrigue hormis celle-ci

« Votre cité n’a plus besoin de protection. Gotham est tombée. » – Ra’s al Ghul

• Scénario : Chuck Dixon, Alan Grant, Dennis O’Neil, Doug Moench, etc. – Dessin : Marcos Martin, Stewart Johnson, Jim Aparo, Klaus Janson, etc.

• DC CLASSIQUES – Batman : Cataclysme – 21 mars 2014 – 496 pages – 35€

Prologue au méga-cross-over No Man’s Land qui affecta significativement toutes les séries de l’univers de Batman, Cataclysme est un cross-over qui raconte le tremblement de terre qui a ravagé Gotham avant le fameux event. Troquant la galerie de vilains habituelle de Batman contre une force de la nature irrésistible, Cataclysme met la ville du Chevalier Noir à genoux, la couvre de désolation, entraînant dans sa chute les différents membres de la Bat-family, qui auront fort à faire pour lutter lorsqu’autour d’eux brûlent la mort et la ruine. Et là où l’équivalent VO de ce recueil comptait 320 pages, Urban nous en offre 176 de plus ! La composition de la version anglaise était la suivante : Batman #553-554, Detective Comics #719-721, Batman Shadow of the Bat #73-74, Nightwing #19-20, Catwoman #56, Robin #53, Batman Chronicles #12, Batman Blackgate Isle of Men #1, et Batman Huntress Spoiler. Les ajouts par rapport à cette dernière sont Azrael #40, Catwoman #57, Robin #52, Batman Arkham Asylum – Tales of Madness #1. Une preuve qu’Urban ne se contente pas toujours de s’aligner bêtement sur ses équivalents outre-atlantiques !

L’intrigue est probablement connue de tous : un énorme tremblement de terre s’abat sur Gotham, rasant quasiment tous les bâtiments. Seuls se dressent encore quelques immeubles que Bruce Wayne a eu la présence d’esprit de doter d’équipements antisismiques, les préservant par chance de la désolation qui a recouvert la métropole. Hélas le manoir Wayne lui-même, trop vieux, n’a pas tenu le coup, tout comme la batcave dans laquelle sont enfermés Bruce Wayne et son majordome. C’est donc entourés de gravats que les flics du GCPD, menés d’une main ferme par Oracle en attendant qu’on retrouve Gordon, entreprennent de sauver les vies qui peuvent encore l’être. Une entreprise dans laquelle ils seront bientôt rejoints par Batman, Nightwing, Robin et même Catwoman, ainsi que d’autres inattendus qui, bon gré mal gré, se serreront les coudes pour encaisser le terrible coup.

L’essentiel du tome se concentre sur les conséquences directes de cette tragédie sur les habitants de Gotham, des plus éminents comme Bruce Wayne, à de simples citoyens prisonniers des décombres. Si la partie Bruce Wayne, d’abord consacrée à son évasion de la batcave effondrée, est un peu convenue, Nightwing recèle des moments mémorables, à travers l’empressement dont fait preuve Dick Grayson, pourtant en sécurité à Blüdhaven, pour gagner Gotham et s’enquérir du bien-être de ses proches, à commencer par Barbara. Les numéros de Catwoman surprennent également, soulignant avec justesse l’individualisme et la bienveillance qui se mêlent, parfois avec heurts, dans la personnalité de Selina Kyle. Toutes les numéros ne rivalisent pas de qualité, l’unique numéro d’Azrael à titre d’exemple n’est pas indispensable, et se retrouve de surcroît plutôt déconnecté des autres. Mais considérées réunies, les différents séries satisfont largement et, surtout, offrent une vision d’ensemble des répercussions du séisme, ne s’arrêtant de loin pas à Batman qu’on suit à peine plus qu’un autre dans cet enfer de décombres, et s’étendant jusqu’aux vilains et aux malfrats de Gotham. D’ailleurs Batman n’hésitera pas à en approcher certains pour les inciter à venir en aide aux survivants coincés, rappelant que devant un désastre d’une telle ampleur, il vaut mieux faire preuve de solidarité.

Beaucoup d’épisodes se penchent sur des sauvetages de citoyens, et la mise en scène de ceux-ci est souvent réussie, apportant un gros lot d’émotion, à fortiori lorsque leurs issues ne se révèlent pas heureuses. Les scénaristes ne cèdent pas à la tentation du happy end, et bien qu’inconfortables à la lecture, les agonies d’infortunés qui meurent malgré les efforts de la Bat-Family pour les tirer de là donnent une touche noire et éprouvante au récit. Elles soulignent le soin avec lequel les auteurs ont voulu faire sentir la portée de cette destruction, et c’est probablement une des réussites de Cataclysme. Là où l’arc le moins violent de la Justice League est susceptible de raser des quartiers entiers sans qu’on voie un seul quidam mourir (le fameux syndrome Man of Steel), ici on prend le contre-pied et on choisit volontairement de zoomer sur les habitants blessés et affamés, qui tremblent de peur dans l’attente d’un miracle hypothétique.

Ce qui est étonnant, c’est qu’en dépit d’un propos grosso modo identique d’un numéro à l’autre, on s’ennuie assez peu, puisqu’on varie chaque fois les points de vue, passant de Stéphanie Brown à Oracle, avec un saut sur un groupe de survivants, puis un passage à Arkham avec le déchaînement des prisonniers qui voient en la catastrophe l’occasion de prendre la poudre d’escampette. Les personnalités et les caractéristiques des différents intervenants sont intelligemment exploités : l’individualisme de Catwoman, le radicalisme de Huntress, l’infirmité de Oracle conjuguée à sa force intérieure exceptionnelle. Tous ces traits sont soulignés par leur éveil lorsque les circonstances exceptionnelles l’exigent. Le nombre conséquent d’auteurs aurait pu faire craindre une qualité inégale, mais on s’en sort avec honneur. Pour faire le parallèle avec un autre event « cataclysmique », La Mort de Superman avait un rythme beaucoup moins agréable dans sa partie Un Monde sans Superman, qui passait également d’un point de vue à l’autre pour observer comment les proches de Superman et Clark Kent subissaient son départ, mais de manière plus machinale et pour un rendu moins sincère. Cette différence s’explique peut-être par le caractère authentique de la catastrophe, puisque le décès de Superman n’étais que temporaire.

Parce que le tremblement de terre ne constituait peut-être pas un scénario en soi, aux alentours du tiers ou de la moitié du récit une autre intrigue démarre, partagée sur les titres Batman et Detective Comics, et met aux prises Batman avec un mystérieux criminel se faisant appeler le Maître-Secousses. On pourrait souligner le caractère superflu de cette sous-intrigue qui prétend servir de fil directeur à la seconde partie du récit, mais puisqu’elle est courte et, surtout, noyée dans les ties-ins, on a pas vraiment le temps de s’en dégoûter. De plus elle permet une révélation finale un peu décevante, mais qui a le mérite de diriger les projecteurs sur un personnage connu qu’on a rarement l’occasion de voir au premier plan.

Pour l’histoire, c’était encore faisable de l’aborder dans son ensemble malgré la profusion des scénaristes grâce à la cohérence générale des numéros, mais pour les dessins, on est quasiment contraints d’y aller au cas par cas. Les surprises étaient toutefois nombreuses, dans un sens comme dans l’autre. Par exemple, le nom de Mark Buckingham (titulaire d’un Eisner Award en 2007 pour son travail sur Fables) avait de quoi faire saliver, mais ses portraits de Bruce Wayne, avec ou sans le costume, sont au mieux déstabilisants. On parlerait d’une déception. À l’inverse, des dessinateurs plus discrets comme Marcos Martins ou Jim Balent (LE dessinateur de Catwoman durant les années ’90) se sont révélés d’agréables surprises. D’autres pinceaux ont mal vieilli, comme le style de Scott McDaniel sur les numéros de Nightwing. En prenant du recul, peu importe l’artiste, les nombreux panoramas de désolation qui parsèment l’ouvrage réjouissent systématiquement le regard du lecteur. Dernier mot en vitesse sur des erreurs d’impression bizarres dans l’édition qui a servi pour cette review, en effet sur deux pages de séparation de numéro (celles où on affiche la référence, les artistes et la couverture du numéro qu’on s’apprête à lire), le texte a souffert du passage à l’imprimeur, avec une gestion chaotique des majuscules et des espaces. Rien de dramatique, ça n’entache pas le plaisir de la lecture, mais c’est tout de même dommage.

Bon avant-goût du monstrueux No Man’s Land, Cataclysme est une mine de scènes fortes et mémorables, misant sur la variété de la Bat-family pour faire tourner les points de vue et éviter ainsi de tomber dans une répétition lourde. Scénaristes et artistes parviennent à donner au désastre l’ampleur qu’il devait avoir. Malgré quelques points noirs, comme la sous-intrigue dispensable et un ou deux numéros peut-être trop hors-sujet, qui le privent des étiquettes « chef-d’oeuvre » ou « incontournable »on en ressort lessivé, mais ravi.