Faire un dossier sur Alex Ross est toujours très intimidant. Plus on cherche la petite bête dans la carrière de ce Monsieur, plus on écrit sur lui, et plus on constate l’écrasante carrure de l’artiste dans le monde des comics. Une telle chronique sur un tel artiste ne pourra qu’être succincte et limitée ; à la seule prétention de vous donner envie de vous faire découvrir ou, très certainement, redécouvrir Alex Ross. Si votre intérêt pour l’artiste américain se porte un peu plus loin je ne peux que vous encourager à vous procurer l’ouvrage Mythology : The DC Comics Art of Alex Ross écrit et designé par Chip Kidd en 2004, et que Urban Comics sort précieusement ce vendredi 7 mars (1).
Alex Ross a remporté les suffrages sur le forum et ce choix n’est pas innocent. Coqueluche du comics en France ? Il est intéressant de constater la quasi unanimité de cet artiste auprès d’un public aussi large qu’amateur de comics de manière générale. L’exposition consacrée à Alex Ross à Paris au Mona Bismarck American Center for Art & Culture (2) – pour rappel du 5 mars au 8 juin 2014 – n’est pas anodine et témoigne d’autre part d’une reconnaissance un peu plus insistante en France de dessinateurs de comics en tant qu’artistes au sens large et « glorieux » du terme. Une juste récompense en France pour un artiste complet, aux influences et style marqués, auteur de séries maintenant cultes au ton si personnel, et déjà largement récompensé dans son pays avec un Will Eisner Award de 1997 pour Kingdom Come, le National Cartoonists Society Comic Book Award pour Superman : Peace on Earth en 1998 et 7 Comics Buyer’s Guide’s CBG Fan Award de suite (entraînant le retrait de la catégorie Favorite Painter), pour ne citer qu’eux.
Inspirations et style
Alex Ross est né à Portland dans l’Oregon en 1970, mais c’est à Lubbock au Texas qu’il grandit. (3) Son talent de dessinateur semble être une affaire de famille héritée de son grand-père et surtout de sa mère Lynett Ross (illustrations ci-dessous), une illustratrice talentueuse dans la jungle publicitaire des années 1940 et 1950. (4)
C’est vers l’âge de 13 ans qu’il inventa ses premières histoires avec ses super-héros préférés tel que Spider-Man qu’il admirait dans l’émission pour enfants The Electric Company. (5) Mais il ne limitait pas seulement à recopier les licences DC ou Marvel, Ross inventa très vite ses premières histoires avec ses propres super-héros. Pour la petite anecdote, il reprendra certains designs de ces inventions d’enfance dans Kingdom Come ; Nuculoid, Phébus (réalisé à 11 ans !), le Spartiate, ou encore son Starman VIII (inspiré du Star Boy des années 70 dans la Légion des Super-Héros) pour ne citer qu’eux.
En grandissant Alex Ross s’intéresse aux graphismes d’artistes de comics tels que John Romita Sr., Neal Adams, Berni Wrightson, Jack Kirby (le « Picasso des comics » selon Ross) et George Pérez. (6) Pour la petite anecdote, le costume de Wonder Woman en armure dans Kingdom Come est un hommage revendiqué de Ross à Pérez (courez lire la Wonder Woman de 1987 de Georges Pérez). Parti du cocon familiale à 17 ans, Alex Ross a étudié à l’American Academy of Art de Chicago (4) où il est fortement inspiré par les peintures hyperréalistes de Salvador Dali et par certains illustrateurs classiques américains, comme J.C.Leyendecker, Norman Rockwell (les couvertures mythiques du magazine Saturday Evening Post c’est lui) et Andrew Loomis. Ce dernier est souvent cité au travers d’une série d’ouvrage d’apprentissage du dessin dit « réaliste », dont des artistes de comics comme Alex Ross, Steve Lieber ou Steve Rude par exemple (ne vous étonnez pas de trouver dans la série Nexus de Steve Rude, un « General Loomis« ).
La carrière professionnelle de Ross débute dans une agence de publicité en tant qu’illustrateur de maquettes. (4) Il retrouve très vite le chemin de sa passion pour le comics, signant à 19 ans un premier contrat chez NOW Comics, une commande pour la réalisation de Terminator : The Burning Earth écrite par Ron Fortier. (7) Mais sa carrière décolle véritablement chez l’éditeur Marvel en 1994 avec la série Marvels. À noter furtivement le premier travail de Ross pour DC Comics, à savoir l’illustration de couverture du Superman : Doomsday & Beyond écrit par Louise Simonson et illustré par Dan Jurgens et José Luis García-López. (8)
Des séries tremplins
De Janvier à Mars 1994, Alex Ross réalise avec le scénariste Kurt Busiek une série en quatre numéros (auquel s’ajoute un #0) pour Marvel Comics, sobrement intitulée Marvels. La série est un tel succès commercial et critique (trois Eisner Award dont celui de la meilleure série limitée et cinq Harvey Award) qu’on a l’habitude de considérer Marvels comme la série tremplin pour Ross (tout autant que Busiek d’ailleurs). Marvels et de façon plus générale l’écriture « sociologique » de Kurt Busiek (Marvels, Astro City, Untold Tales Of Spider-Man, par exemple), n’est pas sans rappeler une autre œuvre d’Alex Ross, que le dessinateur commence d’ailleurs alors qu’il travaille toujours sur Marvels, à savoir Kingdom Come. En effet, Marvels raconte la vie d’un humain ordinaire au milieu des super-héros de l’Univers Marvel (9), partage avec Kingdom Come cette connaissance de l’histoire des super-héros dans leurs maisons d’éditions respectives, son attention portée à l’humanité, voire l’homme de la rue, et l’ambiance intimiste de l’histoire.
En 1995, Alex Ross retrouve Kurt Busiek, également accompagné par Brent Anderson, pour créer la série Astro City (10), initialement publiée par Image Comics, puis par Homage Comics, un label de Wildstorm Comics. Même si Astro City a subi les affres d’une publication anarchique, du fait notamment des problèmes de santé de Busiek, la série tient toujours bon, et Ross signe régulièrement les couvertures. Je ne vais pas m’étaler de façon pompeuse sur la bibliographie complète d’Alex Ross (Wikipédia est très bien pour ça), mais s’il y a bien une autre œuvre à commenter, c’est bien entendu Kingdom Come.
Alex Ross travaillait donc encore sur Marvels quand les premières ébauches (déjà colossales tout de même puisque l’artiste a estimé avoir esquissé une centaine de chara-design) de ce qui deviendrait Kingdom Come. C’est Peter Tomasi, déjà associate editor chez DC Comics (à qui il avait déjà eu affaire pour une couverture du Spectre) qui servit d’intermédiaire et le présenta à Dan Raspler, le responsable éditorial, et bien sûr Mark Waid. On peut également noter sur la période des deux années de création de Kingdom Come (11) avec ce quatuor de passionné, que Ross rencontra l’immense Todd Klein, l’un voire le meilleur lettreur du métier que j’aurais sans doute l’occasion de vous présenter dans un Hors-Sujet de la chronique.
Des Héritiers et des mythes
Parler de Kingdom Come est chose ardue ; tout autant finalement qu’une discussion à propos de la carrière de ses auteurs. Kingdom Come est un projet pharaonique, d’une ambition et d’une portée démesurée, soucieuse d’un passé aussi riche qu’universel. Nous sommes tous en tant que lecteurs de comics super-héroïques des héritiers d’un genre intergénérationnel au passif créatif immense.
L’ampleur d’une œuvre comme Kingdom Come demeure justement dans la conscience de ses auteurs pour un tel héritage et d’y rendre hommage, aussi bien par la démarche générale de la saga que de façon plus ponctuelle dans le contenu, confirmant les propos tenus par Alex Ross dans une rétrospective de son travail : « Pour avoir grandi dans l’ère des grandes sagas super-héroïques de DC, couronnée par Crisis on Infinite Earths, The Dark Knight Returns ou Watchmen, j’ai toujours voulu me mesurer à l’excellence et à l’envergure de ces récits dans tout ce que je fais. Travailler dans leur ombre triomphante est un défi motivant. »
Parce que si l’histoire de Kingdom Come se déroule dans un futur alternatif de DC, il est avant tout question de passé, d’héritage. Un personnage central de l’œuvre illustre parfaitement à mon sens la position adoptée par Mark Waid et Alex Ross, à savoir Norman Mc Cay, le vieux prêtre et accessoirement narrateur de la saga. Il est issu de la combinaison lourde de sens de deux entités passées, l’une personnelle, à savoir Clark Norman Ross (le père d’Alex Ross), et l’autre beaucoup plus générale, à savoir Windsor Mc Cay, créateur de l’un des premiers chefs-d’œuvre de la bande dessinée américaine (Little Nemo in Slumberland (12) entre 1905 et 1911 par exemple).
Comme Alex Ross l’affirme, la présence d’un tel personnage au milieu d’une horde de super-héros tous plus mythiques les uns que les autres « confère au récit une dimension humaine qui permet de comprendre l’état de l’univers DC et d’avoir une vue globale ». Mark Waid et Alex Ross ont créé Kingdom Come au travers de Norman Mc Cay, accordant une grande humilité à leur travail, le point de vue d’une humanité pleine de vertus face aux super-héros, un ton paternaliste sur les icônes super-héroïques créés et entretenue par cette même humanité. L’homme a besoin de mythe pour se construire, Kingdom Come en est une énième représentation.
Encore une fois je le précise, cette chronique n’a pas pour vocation d’être exhaustive, surtout face à des artistes tels qu’Alex Ross, mais de vous donner envie de lire et relire les œuvres d’artistes précis ou encore de piquer votre curiosité avec certaines références et anecdotes. Je remercie la communauté DC Planet, particulièrement active sur le forum, pour ses nombreux votes. Continuez de donner vos précieux avis dans les commentaires de la chronique, sur le forum ou sur les réseaux sociaux avec le hashtag #TheArtOf.
Notes :
(1) MYTHOLOGY d’Alex Ross par Urban Comics (2) Super-Héros : l’Art d’Alex Ross du 5 mars au 15 juin 2014 (3) « Once Upon A Time The Super Heroes » sur YouTube (6 décembre 2007) (4) Alex Ross Biography (5) Comics Buyer’s Guide #1485 (3 mai 2002) (6) Alex Ross Interview by George Khoury from Jack Kirby Collector #27 (7) Terminator : The Burning Earth sur Wikipédia (8) Superman : Doomsday & Beyond sur Wikipédia (9) Marvels sur Wikipédia (10) Astro City sur Wikipédia (11) Kingdom Come sur Wikipédia (12) Little Nemo sur Wikipédia
Tip top, instructif et agréable à lire. Je me réjouis qu’on ait passé les grands pour se pencher sur des artistes plus secondaires!
Je te le fais pas dire! J’ai vraiment aucune pression avec des petits artistes comme Ross!
Très intéressant à lire ! Je ne savais pas que sa mère travaillant dans la publicité et on comprend mieux certains choix graphiques au vue des « œuvres » de sa mère !
Merci. Oh oui, ça transpire les années 50. Le côté « vintage » de Ross vient pas de nul part.
J’ai toujours trouvé une ressemblance entre le graphisme de Ross et les peintures d’Edward Hopper mais je n’ai jamais songé aux Mad Men =D
C’est Wiki qui le dit lol: « Une grande partie de l’œuvre de Hopper exprime la nostalgie d’une Amérique passée, ainsi que le conflit entre nature et monde moderne. Ses personnages sont le plus souvent esseulés et mélancoliques. » Si t’as pas le Sup’ du début de Kingdom Come dans sa ferme du Middle West en tête avec ça ;)
Un petit détail non négligeable, si vous regardez bien quand Alex Ross illustre Superman il lui fait toujours ses propres yeux, ça se voit bien sur ce type de dessin:
Ouais! Pour le Superman de Kingdom Come Ross avait pour modèle son ami Frank Kasy http://hpics.li/5acf565
Je crois qu’aucun comic ne m’a autant autant marqué, inspiré et fait aimer superman que Kingdome Come. C’est une œuvre culturel majeurdans l’histoire de DC, et ce en grande partie grâce a Alex Ross. Respect au mec.
ps: superbe travail DC planet.
Merci. Marvels est très important aussi, mais c’est clair que Kingdom Come reste une référence absolue.
J’ai adoré !! Merci pour toutes ses informations !!
Perso je trouve ses dessins tellement beau, mais j’ai un gros blocage à la lecture avec ce style de dessin que je nai jamais pu profiter vraiment de Kingdom Come
Je crois qu’il fait des couvertures de temps en temps pour marvel aussi.
Merci. Oui c’est un gros artist cover le Ross (4 Best Cover Artist aux Eisner d’ailleurs). Il a surtout fait des covers pour DC, un peu pour Marvel et aussi pas mal de Dynamite Entertainment notamment (j’aurais voulu parler de ses covers sur The Green Hornet par exemple, mais je devais limiter).
J’aurais aimé l’avoir comme ami celui-là, j’aurais l’impression qui comprendrait mes »yeux humides », sans je dise mot lol lol La dernière image reflète bien cette fameuse »Table Ronde » de la Justice League avec ses principaux protagonistes, les 5 premiers en avant. Selon moi il représente pour notre temps l’artiste principal de cette humanité dans l’Art, au même titre que les fresques de nos ancêtres laissées dans les cavernes, jusqu’à un Rembrand dans un musée.
Si chacun de nous cherche sa place dans ce grand univers, Ross a une certaine idée de la tienne.
Merci Bacca lol
Haha merci Crazy. Teeeellement la pression pour Kirby si tu savais!
lol lol je te comprend mon cher. Au fond, Kirby se présente de la même façon que Ross, c’est-à-dire qui a des artistes qui font carrière, il en a d’autres, comme Kirby, c’est leur destinée.
Très intéressant. Bravo Baccano.
Magnifique !
Merci @CaptainMasked et @Mandalorwarrior. Hésitez pas à proposer des artistes pour le prochain sondage et voter!
Très bon dossier (comme d’habitude cela dit)
C’est seulement des dessinateurs concerné par cette rubrique?
Merci. A partir du moment que c’est graphique, l’artiste peut avoir son numéro. Après qu’il soit dessinateur, juste encreur, cover artist, qu’il fasse les colorisations ou le lettrages, ça dépend… c’est vous qui décidez sur le forum ou sur #TheArtOf.
Pour les profils d’artistes plus « atypiques » je me réserve le droit de les évoquer en hors-séries.
Je proposerai bien Ivan Reis dans ce cas là
C’est noté! ;)
J’ai lu Kingdom Come il y a peu. C’est clairement un chef d’oeuvre parmi les comics. D’ailleurs, la version d’Urban Comics rend très bien hommage à l’énorme travail de Ross, avec tous ses bonus.
Et des bonus pour Kingdom Come c’est pas ce qui manque! ;)
Oui ça a l’air en effet. On pourrait facilement faire un livre complet avec seulement les recherches de design.
Merci Bacca pour ce dossier! Bravo.
Super dossier Bacca!
Merci tous les deux! Dédicace Jim Lee à venir Biggy ;)
Tellement doué se ross….