Dossier – La Sexualité dans les Comics

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Catwoman qui chevauche Batman dans un torride final embaumé de cuir, Starfire qui chauffe Arsenal pendant que Red Hood, sa dernière conquête en date, sirote un mojito au bar, mais qu’est-il donc arrivé à nos super-héros depuis ce reboot des New 52, pour qu’ils soient aussi assoiffés de galipettes nocturnes ? La levée de boucliers qu’ont provoquée ces deux premières issues des séries Catwoman et Red Hood & The Outlaws démontrent pourtant qu’il existe toujours un malaise autour du thème de la sexualité dans les comics. Or, malgré les ambitions commerciales de ces jeunes auteurs, ce n’est pas que depuis 2011 que les rapports intimes entre personnes de sexe opposé apparaissent dans les pages de nos super-héros préférés.

Parfois sous-entendue, parfois explicitée et subtilisée à la fois, la sexualité est aussi vieille que Wonder Woman. Petit saut dans le temps.

Âge d’or, âge d’innocence ?

C’est l’impression générale qui se dégage des années ’40 où les vendeurs comics prospéraient. Cette naïveté, cette innocence. Superman demandant à deux leaders de forces armées de faire la paix, Batman sur les traces du Renard, du Pingouin et du terrible Gang des Évasions, et … Wonder Woman. Si, outre le fait qu’elle soit une femme, le personnage en elle-même n’est pas plus ‘sexuel’ qu’un autre, à ses débuts on trouvait dans les pages de ses aventures toute une série de scènes qui prêtaient à une interprétation douteuse. Dans le documentaire Secret Origin : The Story of DC Comics, Mark Waid (Kingdome Come, Superman : Birthright) attirait l’attention sur l’omniprésence de scènes de ligotage dans les pages de Wonder Woman lorsque son créateur, le psychologue William Marston, tenait encore les rênes du scénario. Le fameux lasso de vérité, inspiré par le détecteur de mensonges que Marston avait conçu, est utilisé parfois à outrance pour entraver les mouvements des vilains qu’elle rencontre. Dans ce même documentaire, l’historien Gerard Jones souligne l’incroyable fréquence de telles situations. « Lorsque je dis ça, les gens pensent : oh sûrement quelque chose comme une fois par numéro. Mais en fait c’était presque à chaque page que Marston trouvait un moyen pour que ses artistes dessinent des personnages ligotés, menottés, les bras écartés. On voyait où il voulait en venir« .

Wonder Woman

Et c’est sans compter tous les coups de fouet, fessées, et autres pratiques douteuses qui achevaient de sexualiser un personnage qui se voulait l’icône du féminisme ! Mais qui était donc ce féministe qui avait mis Wonder Woman au monde ? William Marston vivait avec son épouse et sa maîtresse sous le même toit, ainsi qu’avec les enfants qu’il avait eu avec chacune d’elles. Pendant ce temps, son épouse travaillait pour assurer la subsistance de ce foyer avant-gardiste. Si à notre époque ça peut passer pour du machisme triomphant, Marston admirait en vérité sa femme pour sa force de caractère et reconnaît s’en être inspiré pour le personnage de Wonder Woman. Mais l’ambiguïté persiste, ainsi que l’explique l’historien Gerard Jones : « S’il croyait à la domination des femmes, il savait également les manipuler. » Sous certains aspects Wonder Woman est l’égale de Superman, aussi forte, aussi vaillante que l’Homme d’Acier. En revanche sous d’autres, elle véhicule des clichés de la femme qui s’opposent radicalement à son émancipation, à savoir sa sexualisation et son « instinct de soumission ». Concernant sa sexualisation, il est étonnant de voir que son créateur ait choisi de lui donner une jupe plutôt qu’un pantalon. Il y aura toujours des féministes pour dire qu’une femme devrait « porter le pantalon » (au sens figuré comme au sens propre), et d’autres pour dire qu’une femme doit s’affirmer en tant que femme et donc être fière des attributs qui lui sont propres, comme la jupe. Mais en cernant la personnalité de son créateur, est-ce plus pertinent de la voir comme une affirmation de la femme en tant que femme, dans lequel cas il est étrange que sa super-force et son attitude se rapprochent autant des super-héros masculins ? Ne serait-ce pas plus probable, au contraire, de la voir comme une transfiguration des fantasmes de son auteur lubrique, incarnant de manière parfois explicite ses vices nocturnes ?

Plutôt que de formuler des théories, laissons la parole au bonhomme en question. Or William Marston affirmait à ce sujet que « le seul espoir de paix est d’apprendre aux personnes pleines d’énergie et de force d’apprécier la soumission. Seulement lorsqu’être contrôlé par d’autres devient plus plaisant que l’insoumission il est possible d’aspirer à une société humaine stable et paisible. Donner aux autres, être contrôlé par eux, s’y soumettre, tout ça n’est pas envisageable sans un fort élément érotique. Donnez aux hommes une femme pleine de panache plus forte qu’eux et ils seront fiers de devenir ses esclaves ! »

Rappelons enfin que si les comics de l’Âge d’Or, avec leurs thèmes guerriers et héroïques, mettaient en scène des idéaux masculins pour faire rêver les gosses, à travers une perfection aussi bien physique (Superman) qu’intellectuelle avec des détectives hors-pair (BatmanSandman, …), les comics comportaient également des figures féminines charismatiques, permettant d’attirer un lectorat féminin non-négligeable fasciné par les personnalités fortes de Lois Lane et de la princesse Diana.

À la fin de la guerre, le rôle de Wonder Woman s’est transformé. « Les femmes ont dû renoncer à leur carrière pour retourner au foyer, car les soldats de retour, ils voulaient récupérer leurs postes », explique Louise Simonson, « la société avait changé, tout comme le rôle de Wonder Woman. D’une combattante, elle devenait plus inquiète à propos de son petit ami. » On observe que le personnage suit le rôle que veulent bien lui donner les hommes. Oh, la guerre fait rage et les hommes sont au front ? Que les femmes soient à l’image de Wonder Woman ! Qu’elles prennent des initiatives, qu’elles soient fortes et qu’elles bossent ! Ah, les hommes sont de retour ? Que Wonder Woman retourne donc à son rôle de femme au foyer ! « Son évolution reflétait le rôle que la société veut que la femme occupe à cette époque », explique encore Louise Simonson. Une société encore extrêmement patriarcale et dominée par les hommes. Toutes ces observations nous amènent à une conclusion : bien que décrite comme le héraut du féminisme, Wonder Woman est un personnage créé, dirigé et mis à sa place par des hommes, et c’est un fait à ne pas oublier.

Comics Code Authority

Arrive le Comics Code Authority. Sans nous étendre à ce sujet, il a eu une nette influence sur la présence, explicite ou implicite, de la violence, de la criminalité et bien sûr de la sexualité dans les comics. En décrétant que Batman et Robin était un couple d’homosexuels, ce qui amena des représentantes de la gente féminine comme Batgirl et Batwoman dans la Bat-Family, le psychiatre Fredric Wertham a rendu tout bonnement impensable la profusion des scènes de bondage dans les aventures de Wonder Woman, qui étaient déjà quasiment absentes à partir du numéro #12 de Wonder Woman paru en 1945, où on retrouvait Joyce Murchison aux commandes à la place de William Marston. Si le Comics Code Authority n’a pas amené à une refonte du costume de Wonder Woman pour quelque chose de moins provoquant, il a maintenu un statu quo de la sexualité dans les comics jusqu’à l’arrivée de l’Âge de Bronze.

L’Âge de Bronze et les hippies

L’âge de bronze a été marqué par l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs radicalement différente des précédentes. Ces nouveaux scénaristes et dessinateurs étaient, avant d’être des artistes, des fans de comics, qui en avaient dévoré des dizaines et des dizaines avant de tenter d’en faire leur métier. Ils arrivent aux commandes à la fin des années 60, en pleine période hippie, tandis que l’austérité puritaine des États-Unis se voyait ébranlée par des jeunes aux cheveux longs, adeptes de fumette, de LSD et de musique « bruyante ». Ce qui fut d’abord une commande du ministère de la santé pour mettre en garde les jeunes contre les dangers de la drogue sonna le glas du Comics Code Authority, qui se décrédibilisa en désapprouvant une représentation même préventive de la drogue dans les pages des comic books. Lentement, les pulsions des auteurs refirent surface, de manière discrète, mais néanmoins discernable. Les bureaux de DC Comics étaient toujours occupés par une écrasante majorité d’hommes, et si on peut compter quelques femmes parmi les scénaristes d’alors, elles ne sont pas passées à la postérité, à l’inverse de quelques grandes figures féminines de l’âge moderne.

Le personnage de Power Girl est particulièrement représentatif de la sexualisation des comics de cette période. Au fond, elle n’a rien de sexuel, sinon le fait qu’elle bénéficie d’une ÉNORME poitrine, mise en avant par un décolleté ahurissant. Pourquoi un tel décolleté ? L’explication officielle est qu’elle n’a pas de sigle pour couvrir cette partie de son costume, et ça l’attriste d’ailleurs terriblement. Franchement. Sérieusement. Cette explication paraît trop risible pour être prise au sérieux. La vérité est qu’elle a un décolleté pour montrer ses seins. Et les responsables de la taille de ce buste le reconnaissent. « Quand le personnage a été créé, Wally Wood, l’artiste en charge de Power Girl, était convaincu que les éditeurs se fichaient de tout ce qu’il produisait », explique Jimmy Palmiotti dans un interview accordé à Comics Bulletin, « alors son encreur lui a dit qu’il dessinerait ses seins plus gros jusqu’à ce qu’ils le remarquent. Et ça a pris sept ou huit numéros jusqu’à ce que quelqu’un remarque : hey, c’est quoi le problème avec ses seins ? Et ils ont alors arrêté de les grossir ». La sexualité dans les comics de cette époque se limitait d’une manière générale à la « sexytude » des héroïnes qui se faisaient de plus en plus nombreuses au cours de l’Âge de Bronze (Big Barda, Dawnstar, Katana, Little Mermaid, Madame Xanadu, Raven, Starfire, etc). Leurs costumes mettaient en avant leurs formes, leurs courbures. Les décolletés avaient la cote, et lorsque ce n’était pas les décolletés c’étaient les mini-jupes. En comparaison, les costumes des héros mâles étaient bien moins érotisés, bien moins bodybuildés que les Schwarzennegers actuels dessinés par Jim Lee.

Power Girl, Superman, Batman

Durant ces années, on pouvait également trouver çà et là quelques sous-entendus faisant référence à la sexualité. Starfire excitait déjà les foules d’ailleurs, on a tendance à l’oublier, même si c’était de manière plus romantique. « Oh Dick, sur mon monde nous autorisons à aimer de nombreuses personnes. Toujours émotionnellement, et parfois physiquement », de la bouche de Starfire adressé à Dick Grayson. Mais en plus d’être discrets, la présence de ces propos un tantinet scabreux n’est pas à imputer à la lubricité des artistes mais davantage à un souci de réalisme. En effet, de nombreux thèmes auparavant écartés du monde imaginaire des comics s’y immisçaient : racisme, drogue, et… sexe. Il faut ici distinguer le thème de la sexualité abordé comme un élément de notre réalité s’insérant dans les comics, un procédé totalement novateur, et l’érotisation des héros féminins qui s’apparente à un petit plaisir (pas bien méchant au fond) offert aux lecteurs masculins de la part d’auteurs masculins, érotisation qui remonte à la conception de Wonder Woman, comme nous l’avons expliqué plus haut.

L’Âge moderne et l’apogée de Vertigo

Dans les années 80, il y eut plusieurs bouleversements chez DC Comics. Il y eut Alan Moore et Watchmen, il y eut Frank Miller et son Chevalier Noir, et il y eut Crisis on Infinite Earths. Cet immense event fit table rase sur toute la continuité passée et, peut-être de manière imperceptible d’abord, contribua à faire un trait sur le ton jovial et naïf qui habitait les comics d’antan. The Dark Knight Returns, le premier, fit passer le message, tout en faisant exploser les ventes : les comics sont aussi destinés aux adultes. Et puisque ça s’adresse à des adultes, pourquoi se limiter à des sous-entendus ? Pourquoi se limiter à « érotiser », « sexyser » ses personnages ? Dénudons-les ! L’apparition de la vraie nudité prit plus de temps, et ne se fit uniquement qu’au sein de Vertigo. Cependant, à la suite de cette prise de maturité, on vit apparaître des scènes explicites dans des séries étiquetées DC Comics, comme dans V Pour Vendetta (aujourd’hui rangé sous le label de Vertigo mais à l’époque sous le sigle de DC).

Starfire

À partir de 1990, les thèmes se mêlent et il est important de les distinguer. Commençons par l’érotisation « standarde » des personnages féminins initiée à l’âge d’or, popularisée durant l’âge de bronze, et illustrée par l’apparition de Power Girl et de ses seins pamelandersoniens. Cette érotisation a continué, tout en évoluant pour s’adapter aux canons esthétiques de son époque. Starfire avait dans les années 80 les cheveux bouclés et une frange qui fait ringard en 2013. C’est pourquoi, en la dessinant dans Red Hood & The Outlaws, Kenneth Rocafort décide de lui prêter une chevelure lisse, une taille ultra fine à la limite de l’anorexie, doublée bizarrement d’une poitrine aussi grosse que les cases le permettent. Le style de Jim Lee est aussi évocateur de cette tendance à sexyser les personnages, à l’image de Wonder Woman qui gagne en bonnets de soutien-gorge sous son crayon huileux. On pourrait relever comme contre-exemple le style d’Alex Ross, sous le pinceau de qui Wonder Woman attrape une poitrine nettement plus réaliste, légèrement tombante, un peu moins sexy, mais il compense ce réalisme par la beauté perturbante de son visage d’une noblesse jamais égalée par d’autres dessinateurs. Mais Alex Ross est un cas à part dans la grande famille des artistes actuels. Le mot d’ordre général est : « Faites-nous des canons. Plus vos seins seront gros, plus nous vendrons de numéros ». L’exemple le plus frappant est la refonte récente du personnage d’Amanda Waller. Ce serait hypocrite de la part des lecteurs de se plaindre de toutes ces super-bimbos, puisque c’est à cause d’eux que les poitrines frôlent le ridicule pour faire monter les ventes. On remarque d’ailleurs que le physique idéal de ces Catwoman, Supergirl et autres super-nanas ne fut pas l’objet de la récente controverse à propos de Catwoman et Red Hood & The Outlaws, mais plutôt l’attitude libérée que les auteurs prêtèrent à ces sex-symbols.

Outre cette érotisation galopante, l’acte sexuel en tant que tel cessa d’être un tabou. Dans Watchmen, les scènes intimes sont nombreuses. Il y a celle où Manatthan se dédouble pour satisfaire sa partenaire le Spectre Soyeux, il y a celle où le Hibou s’abandonne à la fornication dans son vaisseau avec le Spectre Soyeux (encore elle !) ; bref, Alan Moore n’hésite pas à montrer qu’untel et untel font l’amour, parce que dans la réalité, ils feraient l’amour. Et étonnamment, la trame de Watchmen ne se déroule pas dans le monde habituel des comics, mais dans notre monde actuel, en témoigne la menace planante de la bombe atomique dans un climat de Guerre Froide. Mais si Alan Moore n’hésite pas à appeler un chat un chat, il n’éprouve pas le besoin d’exhiber les détails aux yeux avides du lecteur. Il fera pareil dans V Pour Vendetta, où la première scène intime entre Evey et Gordon ne franchit pas les limites de la pudeur et de la tendresse, tandis que la deuxième, animée par la rancœur et le désir charnel, se déroule hors-champ. Beaucoup d’auteurs suivront ce modèle, n’hésitant pas à décrire des scènes de sexe par souci de réalisme, mais ne ressentant pas le besoin de les dépeindre crûment.

Pourtant, dans de nombreux titres Vertigo, il est arrivé de voir des scènes explicites vraiment osées. Le label « Vertigo », créé par Karen Berger en 1993, a effectivement permis aux auteurs de se « lâcher », sachant que leur travail serait destiné à un public adulte. Dès lors, l’érotisme ne s’est plus limité à des petites tenues et à des commentaires affriolants, et des dizaines de nuits torrides se sont consumées devant les yeux des lecteurs du XXIe siècle. À noter que le souci de réalisme ne suffit plus à les justifier, puisque le fait de savoir ce qui se passe sur le lit aurait suffit au lecteur adulte pour ancrer la scène dans son quotidien. Si dorénavant on détaille de pareils instants, c’est dans un but esthético-érotique assumé. Les étreintes dans la sulfureuse série American Vampire de Scott Snyder en sont un bon exemple, dépassant la nécessité d’expliquer au lecteur ce qui se passe pour lui offrir un spectacle cru de bras entrelacés et de corps fusionnés. À ce stade, l’érotisme ne s’adresse probablement plus au seul public masculin, puisque si un décolleté avantageux n’excite que le mâle observateur, une nuit d’amour saura séduire les représentants adultes des deux sexes.

Relevons l’omniprésence du terme « adulte », car Vertigo, qui avait évoqué l’été dernier le lancement d’une série très érotique dénommée The Discipline, s’adresse à un public adulte, capable de saisir le sens, l’intérêt, les visées, d’une scène intime explicite. Visées qui ne servent pas forcément des buts narratifs, ni n’espèrent ancrer plus profondément encore l’histoire dans une réalité, mais servent parfois seulement des buts esthético-érotiques, où l’auteur s’adresse directement à la conscience du lecteur. Le problème arrive lorsque de tels buts s’immiscent dans le monde de la franchise DC Comics, d’où la levée de boucliers lors de la sortie de Catwoman #1 et de Red Hood & The Outlaws #1. Un an plus tôt sortaient les premiers numéros d’American Vampire avec leurs lots de scènes hot, et ils n’avaient pas suscité de telles réactions.

American Vampire

Le problème, c’est que dans la tête de nombreux lecteurs, le spectre puritain du Comics Code Authority sommeille encore. Comme expliqué précédemment, son autorité avait largement diminué depuis le vent libertaire qui avait soufflé sur le monde à la fin des années ’60. Mais malgré la perte de crédibilité qu’il avait subi à cette époque, le fameux logo n’a pas cessé d’être imprimé sur les comics de DC jusqu’en… Janvier 2011 ! Étonnant, surtout lorsqu’on sait que les éditeurs ne prenaient alors même plus la peine d’envoyer leurs produits pour vérification avant d’y appliquer le tampon ‘Approved by the Comics Code Authority‘, il leur suffisait de payer une redevance à la Comics Magazine Association of America pour avoir ce droit. On se rend compte du peu de pertinence d’un tel sceau si l’organe chargé de vérifier le contenu des ouvrages ne prend même plus la peine de le faire. DC Comics décide dès lors en 2011 de recourir à son propre système de notation, jugeant du caractère plus ou moins adulte du contenu en question grâce aux sigles suivants :

  • E pour Everyone, autrement dit accessible pour tout le monde et contenant au pire de la violence dite ‘cartoon’.
  • T pour Teen, s’adressant à des lecteurs de 12 ans et plus, et susceptible de contenir de la violence retenue et des thèmes suggestifs.
  • T+ pour Teen Plus, s’adressant à des lecteurs de 15 ans et plus, et susceptible de contenir de la violence, et des images suggestives
  • M pour Mature, s’adressant à des lecteurs de 17 ans et plus, et susceptible de contenir de la violence extrême, de la nudité et de la sexualité explicite.

Le relaunch des New 52 est peut-être pour DC l’occasion de tester son nouveau système de classification et de le mettre à l’épreuve avec un catalogue diversifié visant des publics divers. Face aux critiques visant les premiers numéros de Catwoman et Starfire, la morne réponse de DC fut un simple : « Pensez à regarder le système d’évaluation ». Une réponse décriée par les uns, mais qui trouve un sens à partir du moment où l’idée selon laquelle les comics s’adressent à un public de tout âge a la vie dure. Et c’est une idée qui fut probablement ancrée profondément dans les esprits par le Comics Code Authority il y a plus de cinquante ans. En reluquant les couvertures des premiers numéros de Catwoman et Red Hood & The Outlaws, on constate que le Catwoman arbore la mention T+, tandis que Red Hood se contente d’un petit T (mais il est moins hot alors ça se comprend).

Signalons également que les attitudes de Starfire et Catwoman ont été justifiées, parfois maladroitement, par leurs auteurs. Lobdell défend corps et âme les répliques qu’il a prêtées à son personnage, insistant sur sa nature extra-terrestre qui l’écarte des coutumes humaines. Une justification qu’il n’a pas tirée de nulle part rappelons-le, puisque Wolfman lui-même évoquait cet aspect lorsqu’il a lancé le personnage en 1980, notamment dans une scène où la Tamarranienne ne saisit pas pourquoi elle devrait mettre un bikini avant de se jeter à l’eau, tandis que Wonder Girl essaie de lui expliquer que les autres garçons de la team risquent d’être mis dans l’embarras.  Mais en dépit des explications de fond formulées par Lobdell, la double-page où Starfire se secoue dans l’eau, se déhanche pour mettre en valeur ses formes et explique à Arsenal sa vision de l’acte sexuel, tout ça s’adresse dans la forme aux mâles, de la même manière qu’un décolleté de Power Girl. Pour Catwoman, depuis que Miller avait dépeinte Selina Kyle comme une prostituée dégoûtée de sa ville et des mâles qui y pullulent, on aurait pu se douter qu’elle ne passait pas tout son temps à voler des bijoux mais qu’elle devait s’accorder une pause pour faire grincer les ressorts de son lit entre deux rapts. Mettre en avant sa sexualité comme le fait Judd Winick ne trahit donc pas le personnage tel qu’il était vu avant les New 52. Mais auprès des jeunes, et en particulier des jeunes filles, Catwoman continuait d’incarner peut-être, malgré ce background sous-entendu, une voleuse, espiègle, jouant souvent au chat et à la souris avec son Roméo, le Batman. La Catwoman de la série animée ainsi que celle de Jeph Loeb (The Long Halloween, Hush) sont particulièrement réussies à ce titre. Depuis le reboot, exit la Catwoman soft, la nouvelle ne séduira que les générations plus vieilles.

Catwoman

Ceci dit, la nouvelle direction de la série a su convaincre son public et Judd Winick a maintenu les premiers numéros au-dessus de la fatidique barre des cinquante comics les plus vendus (puis vint Ann Nocenti…). Si certains voyaient du fan-service dans les postures cambrées de la Femme-Chat, pour le dessinateur Guillem March, ça s’inscrivait dans la logique du titre, comme il l’a rappelé tout récemment dans un post de son blog. « Dans cette scène, l’action dépeignait Selina comme une femme qui tirait un avantage de sa sexualité pour obtenir quelque chose d’un homme. Ça avait du sens dans la manière avec laquelle on approchait le personnage au début des New 52. » Peut-être vous demandez-vous de quelle scène l’artiste parle, eh bien il s’agit d’une scène inédite que son éditeur, désapprobateur, lui avait demandé de refondre totalement, jugeant certainement qu’elle était trop osée et sujette à scandales. Les puritains peuvent souffler : ils l’ont échappé belle. Pour la petite histoire, la requête de DC ne provoquera pas de troubles avec Guillem March, lui-même insatisfait de son travail sur ces planches restées dans l’ombre jusqu’à ce jour. Mais l’incident révèle que chez les pontes de DC encore la sexualité dans les comics grand public reste encore un thème sensible, qui aura toujours été d’une certaine manière révélateur des mœurs de son époque. Voici les planches en question révélées par March très récemment.

En regardant en arrière sur toutes ces années de publication, il apparaît que la politique de DC sur le contenu de ses séries s’est peu-à-peu transformée, parallèlement à la tombée en décrépitude du Comics Code Authority. Les générations d’auteurs se sont peut-être succédées plus vite que les habitudes de la société.

L’arrivée de la sexualité dans les pages de nos comics préférés était probablement inéluctable, mais l’Amérique actuelle, à la fois terriblement libérée et archaïquement puritaine, était-elle prête à affronter cette réalité ? C’est là une question qui mérite réflexion. En attendant la sexualité suit son petit bout de chemin avec DC, promettant aux lecteurs de nombreuses nuits chaudes à savourer. Et pour conclure, citons un autre signe d’une évolution des mentalités : l’apparition dans le DC Universe de personnages issus de minorités. De John Stewart à Batwoman en passant par Mia Dearden, on en teaserait presque un dossier !

Remerciements à Katchoo, DarkChap, Edge, Freytaw, ArnoKikoo et HarleyHuntress pour leurs remarques et leurs conseils.

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TheRiddler

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ro0quin
ro0quin
10 années il y a

A mois que j’ai loupé un truc il y a pas mal de scènes dans le même genre dans Green Arrow (surtout le vol 2) et aussi dan The Wedding Album où Ollie à l’air d’apprécier la cuisine :D.

ro0quin
ro0quin
10 années il y a
Répondre à  TheRiddler

Ah je suis d’accord qu’on peut pas toute les mentionner, je disais ça car c’était quand même assez récurrent de ce que j’ai lu su Green Arrow

Harley
Éditeur
10 années il y a

Bon dossier ! Merci Riddler !
Je suis vraiment curieuse de voir ce que va proposer Vertigo avec The Discipline si le projet voit le jour. En parlant de olé olé chez Vertigo, il y en a eu aussi dans Coffin Hill ;)

ArnoKikoo
10 années il y a
Répondre à  Harley

Ha parce que tu crois encore que The Discipline verra le jour ?
*retourne dans sa grotte en grognant*

Ryez
10 années il y a

Désolé j’ai pas encore lu tout le dossier (très intéressant), je le lirais dès que j’aurai un moment, il y a aussi pas mal de scènes dans les comics qui ont parfois une double lecture (autant le texte ou les dialogues que parfois les images), et il y en a certaines qui sont ma foi très explicites comme la scène entre le Joker et Wonder Woman dans Wonder Woman #97, je pense qu’il faut pas avoir fait math Sup (juste un peu de biologie lol) pour comprendre ce que sous entend cette scène (hardcore): http://2.bp.blogspot.com/-HmcgglTdihI/UCWgy6aG6nI/AAAAAAAAR1M/n0uCqfBQsuU/s1600/Joker+059.jpg et http://1.bp.blogspot.com/-S0NKysWwfTQ/UCWgz4XBt2I/AAAAAAAAR1U/2CO67qo59ug/s1600/Joker+060.jpg

Daemon80
Daemon80
10 années il y a
Répondre à  Ryez

Ah ouais, à ce niveau là c’est du porno……

Ryez
10 années il y a
Répondre à  Daemon80

C’est toute la « subtilité » (si ont peut appeler ça subtile), ça n’en est pas, pourtant l’allégorie est bien dans ce sens. C’est un procédé souvent utilisé pour passer outre la censure, je suis d’ailleurs étonné que ce soit passé à l’époque, c’est tellement équivoque que ça parait trop gros. Par exemple dans le manga, les mangaka ont énormément recours a ce type de détournement pour faire passer autre chose, dans les comics moins (car le censure relève en général la moindre connotation trop prononcée), mais parfois certains auteurs tentent quand même des choses.

KidBoya
KidBoya
10 années il y a

Tres bon dossier, j’ai vraiment pris plaisir à le lire !! Merci !!
Sinon le sexe, et tout autres « tabous » ne me dérangent, dans la mesure où cela reste justifié, cohérent et sans trop tomber dans le voyeurisme. Peut être que tu aurais du plus parler de vertigo, et ll manque aussi un passage sur les orientations sexuelles, mais c’est juste des détails !!
Tu mas donner envie de (re)regarder le docu sur les origines de Dc

KidBoya
KidBoya
10 années il y a
Répondre à  TheRiddler

Cool !! Merci et bon courage !!

Ryez
10 années il y a
Répondre à  TheRiddler

Ah par exemple un Green Lantern écureuil (Ch’p) avec un Red Lantern chat (Dex-starr) ? Ça promet :-p

Jocks
Jocks
10 années il y a

Le côté « ultra sexy » de Catwoman colle totalement avec le personnage effectivement, le dessinateur formule la chose tellement bien. Mais c’est vrai que ça m’avait bizarre de voir une telle scène avec Batman, c’est agréable. La sexualité fait partie de la vie, pourquoi la cachée. Pis bon même les gosses d’aujourd’hui ils savent bien que les bébés naissent pas dans les choux et les roses

BRISAK
10 années il y a

Très bon dossier!

Republ33k
Republ33k
10 années il y a

Pas mal du tout ce dossier :) Néanmoins je trouve qu’on évoque ici deux grands thèmes différents, car pour moi, la sexualisation (des personnages notamment) et les scènes de sexe sont deux éléments distincts. Du reste, on a ici un bon résumé de l’histoire de ces thèmes à travers les âges des comics, et on en ressort cultivé ! Personnellement, j’ai toujours interprété la sursexualisation de Starfire comme une critique, puisqu’après tout, le personnage semble passer de la bimbo un peu brainless à l’héroïne tout à fait stylé en quelques numéros. Mais ce n’est qu’une théorie. En revanche, je suis juste dégoûté par le traitement de Catwoman dans les New 52, qui met à mon sens fin à un flirt (juste un flirt, c’était ça l’idée) mythique de l’histoire des comics de la manière la plus voyeuriste qui soit. A croire que la seule idée créative de la série était de mettre les deux pieds dans le plat…

Jocks
Jocks
10 années il y a
Répondre à  Republ33k

Depuis toujours Catwoman fait + que flirter avec notre croisée à la cape, ils auront quand même un gosse ensemble, Catwoman c’est pas tellement la vierge Marie ^^

Sanasaki
Sanasaki
10 années il y a

Beau travail Riddler, c’est vrai qu’on peut faire un grand et long débat sur ce thème.

spectra
spectra
10 années il y a

Voilà il fallait s’y attendre, après le nombre fulgurant de commentaires sur les boobs de wonder-woman, dcplanet balance du sexe, quelle décadence

ArnoKikoo
10 années il y a
Répondre à  spectra

Faut bien faire des cliques, voyons !

spectra
spectra
10 années il y a
Répondre à  Ryez

et ça marche il y a du clique^^ Bon Ryez cela ferait une belle illustration pour un dossier « des boobs et des comics »^^

crazy-el
crazy-el
10 années il y a

Et ben dis donc fallait un jour en parler lol Super dossier TheRiddler. Je me souviens enfant, je n’avais jamais vu ces subtilités concernant Wonder Woman vs les fantasmes personnels de l’auteur. Encore aujourd’hui je comprend que les Super-Héros du Golden Age n’avaient pas le temps de faire fleurette, ils avaient à sauver le monde, d’ailleur le seul je crois qui aurait encore cette destinée est Superman. On essaye encore de trouver une manière de le  »désincarner » du reste des autres S-H, qui amène une question générale: les super-héros doivent-ils être des personnages désincarnés?

DarkChap
DarkChap
10 années il y a

Bon dossier je dois dire.
Un petit coté arlésienne, tu me l’avais montré il y a plus de six mois. Pourquoi un tel délai?

Julien
Administrateur
10 années il y a
Répondre à  DarkChap

On prépare et planifie la publication de ce genre de dossier bien à l’avance. L’article récent de Guillem March tombait à pic !

AllStarDK
Invité
AllStarDK
10 années il y a

Bon dossier comme d’hab.
C’est vrai que la sexualié dans les comics a longtemps été un sujet tabou, il me semble même qu’a un époque il était interdit de représenter un homme et une femme dans un lit, ou alors si la porte est ouverte…
Il faut arrêter, la sexualité existe bel et bien, et le monde des comics est hyper-sexualisés alors autant l’assumés (même si c’est vrai que ça en devient énervant de voir toutes ces super-héroïnes avec des poitrines énorme, bon Power Girl c’est mythique mais bon, après on peut comprendre le coté top-model car pour être un super-héros il faut avoir la forme physiquement, mais c’est vrai que le cas Waller est vraiment dommage. Elle avait beaucoup plus de charismes avant et cela changeait dans ce monde ou tout les physiques sont parfaits.-

MFW
MFW
10 années il y a

Encore un très bon dossier, chapeau bas. C’est assez drôle car pour avoir lu pas mal de bouquins et artbook sur le golden age j’avais totalement omis ce côté bondage chez Wonder Woman.

En parlant de fétichisme Joe Shuster, co-créateur de Superman tout de même dessina pour une revue obscure interdite à la vente. Au programme des clones de ses personnages (Clark, Lois…) en mode SM. Il existe un bouquin préfacé par Stan Lee d’ailleurs assez incroyable : The fetish art of Joe Shuster.

mavhoc
10 années il y a

Très bon dossier comme toujours, même si le fait de se limiter à DC nuit un peu à la donne, ça reste « tolérable » (dans le sens où il n’y a pas non plus eu un écart si massif entre Images/Marvel/DC sur la question du sexe).
Pour la question des minorités, j’ai hâte de voir ça :) Ca sera passionnant (même si là, ça me paraît dur de faire un dossier sans évoquer Marvel … Sur un site DC :p )

Brutal Destr0y333r
Brutal Destr0y333r
10 années il y a

Bon dossier et ça fait plaisir de savoir que je suis pas le seul à trouver scandaleux la transformation d’amanda waller ! Je l’ai vu j’ai fait « whaaaat ?! » pour qu’un personnage féminin soit légitime il faut encore aujourd’hui la transformer en bimbo ?!
Enfin bref dossier bien écrit.

Ryez
10 années il y a
Répondre à  Brutal Destr0y333r

Je rejoins la plupart des avis concernant Amanda Waller, par contre je veux pas faire l’avocat du diable, mais il faut aussi prendre en compte que depuis sa création il y a une trentaine d’années, Amanda Waller a toujours été différente des canons de femmes de comics (ne serait-ce que parce qu’elle est Professeur). Du coup après des décennies et après avoir fait le tour de cette caractérisation de ce personnage, je vois pas ou est le mal de vouloir traiter justement le personnage différemment. Justement le physique qu’elle avait avant était quelque part un peu cliché de par sa position de professeur. Il est vrai que c’était un des rares personnages féminins n’ayant pas un physique de Mannequin, mais il est intéressant de voir ce qu’ils pourront en faire à la longue, c’est toujours pareil c’est surtout la qualité de l’écriture et des idées qui doivent primer.

AllStarDK
Invité
AllStarDK
10 années il y a
Répondre à  Ryez

Ou sinon en faire un personnages mannequins dans ces premières années un « bimbo » comme on dit, et avec le temps retrouver son physique d’antan

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