Review VF – La Splendeur du Pingouin

COUVERTURE
Les points positifs:
  • Sacré Cobblepot…
  • Les dessins et la maîtrise de la lumière
  • Empathie et dégoût se mêlent
Les points négatifs:
  • Scènes d’action confuses
  • On devine d’où vient l’influence
  • Quelques clichés

« Ça fait longtemps que je ne suis pas sortie avec un gentleman. » – Cassandra


  • Scénario : Gregg Hurwitz & Jason Aaron Dessin : Szymon Kudranski & Jason Pearson

Deuxième tome de la collection DC Nemesis de chez Urban, collection dirigeant à chaque fois le projecteur sur un vilain célèbre pour en approfondir les origines. Seul Bane avait eu droit à cet honneur jusqu’alors, Oswald Chesterfield Cobblepot, alias le Pingouin, le rejoint maintenant avec un volume entièrement consacré à son auguste personne, redéfinissant au passage ses origines. Et comme pour Bane, Urban a profité d’une mini-série consacrée au terrible aristocrate (Penguin : Pain and Prejudice), dont les lecteurs VO se souviennent peut-être s’ils l’ont suivie de décembre 2011 à avril de 2012, le temps de cinq numéros. Cette édition collecte également un récit supplémentaire en guise d’épilogue, le numéro de Joker’s Aslyum sorti en septembre 2008 consacré au Pingouin, écrit par Jason Aaron et dessiné par Jason Pearson.

On se souvient tous de la fameuse scène d’ouverture du Batman Returns de Tim Burton. Cobblepot père, le cigare à la bouche, voit le docteur et la sage-femme sortir terrorisés de la salle d’accouchement. Des pleurs monstrueux les suivent. Oswald Chesterfield Cobblepot était né… mais était né différent. Aussi, bien qu’il s’agisse de leur aîné, Monsieur et Madame Cobblepot, soucieux de ne pas entamer leur réputation, se débarrassent de l’enfant difforme en le précipitant dans la rivière. Le veinard terminera sa course dans le zoo et sera recueilli par les pingouins résidents, qui se chargeront de son éducation.

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Ici, rien d’aussi farfelu. La réalité est plus dure. Moins ‘romantique’ que la vision burtonesque, peut-être davantage cliché, mais tout de même sympathique. Le pauvre Oswald n’est pas l’aîné, mais le benjamin du clan Cobblepot. À cause de ses malformations de naissance, son père le rejette, et manifestera toujours pour lui au mieux de la cruauté, tout en s’efforçant de réprimer les élans de tendresse que sa mère ne peut s’empêcher de nourrir pour son avorton dégénéré. La suite est prévisible : raillé à l’école, trouvant son réconfort auprès des placides bêtes que sont les oiseaux, souffrant de sa différence et d’un manque d’amour, le petiot n’aura que pu mal tourner.

Et d’ailleurs, on le sait, puisque ses origines se déroulent aux yeux du lecteur sous la forme de flashbacks, parallèlement à une intrigue principale occupant la première place de ce Pain & Prejudice. Au cours de celle-ci, le Pingouin est adulte. Teigneux. Aigri, laid, difforme, méchant, craint et raillé à la fois. Il est le seigneur du crime de Gotham, mi-homme de l’hombre, mi-personnalité publique. Mais ce qui fait la grande différence entre le Pingouin et M. Tout-le-monde, ce n’est pas seulement sa laideur, mais surtout sa richesse et le pouvoir qui en découle. Monsieur X a ri de lui ? Non ? Mais on aurait pu le comprendre ainsi ? Cela suffit pour que Monsieur X voie sa vie ruinée. Sa femme trouvera la mort dans un bizarre accident de voiture, ses enfants se feront peut-être rosser à l’école, son boss le virera dans le cadre d’une restructuration salariale, bref, l’argent achète tout, et le Pingouin le sait mieux que personne lorsqu’il s’agit d’évacuer toute sa rancœur.

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Cette bestialité côtoie son humanité, qui transparaît à travers l’affection qu’il porte à une femme de son âge, Cassandra, ainsi qu’une autre affection plus freudienne vouée à sa mère mourante. Deux femmes à qui, bizarrement, il tient à offrir des bijoux volés. Rajoutons kleptomane au tableau de ses défauts. Mais cette Cassandra a une particularité : elle est aveugle. Cette infirmité, source de raillerie pour les autres, l’empêche de se rendre compte de la laideur du Pingouin. Oswald Cobblepot, pour elle, passe pour un gentleman distingué, dont elle devine l’aura en entendant les réactions de ses sbires autour de lui. Celui-ci se garde bien de lui laisser tâter son visage, ce qui l’amène à imaginer son ami comme un homme beau, splendide.

Cette romance, qui n’aboutira à rien de bien on s’en doute, donne énormément de relief au personnage. En plus du récit de son enfance, cette affection qui naît entre ces deux erreurs de la nature insuffle au cœur du lecteur une pitié inouïe. On impute malgré soi les défauts du Pingouin au malheureux concours de circonstances par lequel il a dû passer pour arriver où il en est arrivé. L’amour qu’il porte pour Cassandra révèle sa faiblesse. Il n’est pas fier de son empire du crime, il le lui cache, et préférerait finir ses jours avec Cassandra, être aimé et reconnu comme un être humain. Malheureusement, toute la vilenie et la haine qu’il a cultivé depuis son enfance le perdra encore.

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Le Pingouin est en fait un personnage de contrastes. Petit mais envié comme un grand. Repoussant mais assez riche pour déguiser sa laideur. Haineux mais en manque d’amour. Raillé mais respecté pour son argent. Abject mais suscitant néanmoins la pitié. Quoi de mieux en conséquence que des couleurs travaillant beaucoup sur les contrastes et les jeux de lumière, prenant en affection les silhouettes dans l’ombre et les reflets aveugles. Les dessins du reste ne sont pas à la traîne, et tout en étant d’une modernité incontestable, ils ont réussi à garder une sobriété qui se montre plus efficace qu’une profusion excessive de détails dans le trait.  Szymon Kudranski révèle son penchant pour les mises en scène théâtrales et les multiplie pour le plus grand plaisir du lecteur. Un faisceau de lumière, le Pingouin en son centre, tenant en silence son chapeau dans ses mains maigres devant le cadavre de sa mère. Beaucoup d’ombre, beaucoup de théâtralité, c’est succulent. En revanche, alors que les mérites de l’artiste ne sont plus à prouver, les scènes d’action sont bizarrement confuses. On peine parfois à discerner ce que les cases mouvementées sont censées représenter, et si ça ne nuit pas à la narration puisque c’est justement des scènes d’action ; on finit par avoir à comparer un avant et un après si on veut pouvoir reconstituer ce qui s’est passé entre deux. Mais pour être honnête, c’est un détail, qu’on ne remarquera même pas si on bénéficie d’un œil plus exercé que celui de l’auteur de cette review.

Le scénario exploite beaucoup de clichés. L’enfance difficile. La miraculeuse relation amoureuse qui ne peut que mal finir. Le médiocre qui aspire à la noblesse. Du côté purement vilain, le plan machiavélique du Pingouin au cours de cette histoire manque d’ailleurs de panache, se fait invariablement contrer par Batman, et en refermant le bouquin on a déjà oublié de quoi il s’agissait. La force du récit de Gregg Hurwitz n’est donc pas l’originalité de son intrigue, mais l’empathie qu’il est capable de susciter pour son Pingouin, en dépit de toute la laideur morale du personnage. Son enfance explique sa méchanceté, l’histoire avec Cassandra donne du relief à son humanité, mais pour illustrer l’empathie que le lecteur sera capable de lui porter, une scène parlera mieux que toutes les autres. Un bijou a été volé. Batman fait irruption au milieu du Pingouin et de ses sous-fifres. Tous se taisent. Non pas par crainte de basses représailles, mais par une sorte de respect inné de cette incarnation de la justice qui apparaît devant eux. Plus tard, de retour dans sa chambre, le Pingouin s’observe dans un miroir. Dans le reflet, son corps prend l’apparence de celui de Batman. Il est musclé. Il est fort. Il est respecté, et ne gagne pas ce respect à travers une terreur, il la mérite. « Il met une salle sous son emprise par sa seule présence. La puissance émane de lui. À quoi peut ressembler le monde son point de vue ? Qu’est-ce que ça doit faire ? » On en laisserait échapper une larme. Et chaque apparition de Batman vient renforcer ce contraste qui souligne la faiblesse du Pingouin.

Peut-être qu’il conviendrait mieux d’utiliser le terme ‘canons’ que celui de ‘clichés’, car pour susciter de l’empathie, il est nécessaire de fournir au lecteur une explication extérieure à sa méchanceté. Un procédé utilisé et réutilisé dans la littérature des hommes, d’où l’aspect cliché. Le Pingouin a été frappé par une difformité, il a été rejeté par les autres. Ces coups du sort répétés tendent à déresponsabiliser inconsciemment le Pingouin aux yeux des lecteurs, qui, faute de pardonner complètement ses mauvaises actions, les comprendront au moins. Le film Batman Returns opposait de manière tout aussi efficace la monstruosité du Pingouin à son désir de retrouver ses parents, d’être reconnu comme un homme, etc. Cassandra survient ici comme une chance de rédemption, mais son destin funeste est déjà écrit et pour lui il n’y aura plus de rédemption. Il a été condamné par la Providence ou s’est condamné lui-même, mais dans tous les cas Cassandra, cette créature pure, belle, morale, ne sert qu’à mettre le Paradis à côté de l’Enfer qui réside dans le cœur noir du Pingouin. Et de reprendre les phrases du Sandman : « Quel pouvoir aurait l’Enfer si ceux qui sont captifs ici ne peuvent pas rêver du Paradis ? » Ce rêve du Paradis s’incarne dans le personnage de Cassandra.

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Difficile finalement de ne pas glisser un mot sur l’histoire glissée en guise de dessert. Une histoire racontée par le Joker, donc une histoire pas forcément véridique on en conviendra. Elle met en scène le temps d’une vingtaine de pages le Pingouin, alternant des épisodes de son enfance et sa romance avec une femme qu’il a tirée des griffes d’un marchand d’esclaves moderne. Comme Cassandra dans le récit principal, elle offrira au Pingouin une voie de rédemption. Cobblepot se désintéresse du crime, reprend goût à la vie, retrouve une estime de soi aux côtés de cette femme qui va au-delà des apparences et voit en son sauveur les qualités morales qu’il faisait végéter auparavant derrière ses élans criminels. On devine que l’issue de cette romance n’a rien d’un happy ending. Le ton est plus léger que dans la trame principale, les dessins plus caricaturés, mais en guise de digestif ces quelques pages se font réellement apprécier. Leur seul défaut est peut-être les très nombreuses similitudes que présentent les deux scénarios. Mais il aurait été étonnant que ce Joker’Asylum : Penguin n’influence pas Penguin : Pain & Prejudice en tant que premier vrai récit centré sur le personnage d’Oswald Chesterfield Cobblepot. Et vu la qualité, difficile d’en tenir rigueur au scénariste.

Si vous voulez de l’action, un Batman au centre de l’intrigue, des méchants pleins les yeux et des couleurs par milliers, passez votre chemin. La Splendeur du Pingouin se fixe un objectif plus introspectif, permettant au lecteur de redécouvrir les origines d’Oswald Chesterfield Cobblepot et de faire une réflexion sur les différentes facettes du personnage. C’est un récit intimiste chargé d’émotions, sombre, glauque, pessimiste, mais aussi touchant et capable de faire naître de la pitié pour un des vilains les plus repoussants de la mythologie de Batman. Si ça vous tente à première vue, ça vous plaira à tous les coups.

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7 Commentaires
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mavhoc
10 années il y a

Excellente review qui me donne très envie.
Ce tome semble avoir tout ce que je désir dans un comics.

SwampThing
SwampThing
10 années il y a

Je viens de finir et je valide. Je me suis surpris à avoir de la pitié pour Cobb’ face au Chevalier Noir fort et beau^^ Les bonus sont sympas à noter.

valas84
valas84
9 années il y a

Une œuvre résistante avec une multitude de niveaux de lecture qui a de grande chance de vous faire passer par une kyrielle d’émotions. Que ce soit au premier degré ou avec un regard plus introspectif, ce comics est assurément une réussite !

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