Bizarro Facts #X(Mas) : Batman Noel

DICKENS/BERMEJO : PEOPLE CAN CHANGE

 

Bizarro Fact n°X(Mas) : Moi ne souhaite pas un Mauvais Noël à personne.

Dans ce monde, qui peut échapper à Noël ? Il n’est même plus vraiment question d’obédience religieuse ; c’est une institution quasi universelle. Au bout du compte, Noël véhicule ses propres messages spirituels comme s’il était lui même une confession à part entière. Tel un monstre sacré auquel l’humanité rendrait hommage tous les ans, le même jour à la même heure. Beaucoup choisissent d’y voir un symbole de l’asservissement moderne en lui prêtant des mots aussi barbares que libéralisme, capitalisme, mercantilisme, etc. Bien sûr, il est extrêmement aisé d’appeler Noël une fête « commerciale », mais quelle fête ne l’est pas ? Détester Noël est tellement devenu « hype » dans certains milieux aimant à se rebeller contre ce dont il est à présent trop facile de se rebeller, que l’apprécier de nouveau sera probablement la prochaine mode.

Mais je m’égare. Il existe parmi tout le corpus d’œuvres relatives à la période de Noël des morceaux tout à fait remarquables. On y trouve de l’amour, de la joie, de la générosité, de la rédemption. En définitive, de bons gros sentiments bien coulants. Est-ce une raison valable pour décrédibiliser une œuvre ? Non, absolument pas. Et ça, il me parait primordial de le rappeler.

Batman Robin Noel

Soyons clairs dès le début, Noël n’a pas forcément le même sens en France qu’aux Etats-Unis (ou même qu’en Allemagne). Exception culturelle oblige. Par conséquent, les récits comme ceux du Dr. Seuss ou de Charles Dickens n’auront pas la même portée selon les contrées. C’est que nous, français, ne sommes plus vraiment ouverts à la féerie comme nos aïeux ont pu l’être par le passé. Les siècles d’histoire et de révolutions ont durci notre carapace, jusqu’à ce nous devenions de véritables Scrooge… Mais au temps pour moi, je commence par la fin.

Reprenons. Au milieu du XIXème siècle, Charles Dickens écrit A Christmas Carol (1) : ce classique de la littérature anglophone conte l’histoire d’Ebenezer Scrooge, un vieillard aigri et cupide, n’ayant plus rien d’autre à offrir au monde qu’une haine sans limite. Vous vous en doutez bien, qui dit classique dit adaptation. Au cinéma, on note évidemment l’excellente version animée de Robert Zemeckis (2), mais aussi la version modernisée de Richard Donner (3).
La bande dessinée ne passe pas à côté non plus. Plus généralement, rappelons que DC Comics aime célébrer Noël. Je ne vous citerai évidemment pas toutes les publications spéciales Christmas sorties jusqu’à présent – être exhaustif en comic book est de toute façon une douce chimère (4).
Non, nous sommes ici pour parler de Scrooge.
Et de Batman.
Et de l’homme qui les a réuni.

Fort de ses expériences avec l’auteur Brian Azzarello sur les impressionnants Luthor (2005) et Joker (2008), Lee Bermejo décide de se lancer dans l’écriture et de gérer son projet seul, pour la première fois de sa carrière. Ce projet, c’est Batman Noël (2011). Pour faire simple, une analogie parfaite entre A Christmas Carol de Dickens et les quelques 70 ans d’histoire de l’homme chauve-souris. Au premier abord, l’idée semble glissante. Scrooge a beau être le protagoniste chez Dickens, il n’en reste pas moins un salaud. Comment donc transposer une telle idée sur le personnage de Batman, dont les intentions premières sont tout de même censées être louables ?

BatmanNoel.page68&69.low

C’est là où le livre (5) aborde un troisième niveau de lecture qui le rend exceptionnel : dans sa façon d’amener une certaine réflexion sur l’évolution de Bruce Wayne au fil du temps. De l’époque insouciante et presque « fun » des premières décennies, jusqu’au revirement sombre et glauque des années 80. Batman était alors devenu le « Chevalier Noir », cette entité quasi mystique uniquement vouée à instiller la peur dans le cœur de ses ennemis. Bruce Wayne n’était plus un dandy ; il était à présent une âme torturée, plus solitaire que jamais. Un personnage conduit par ses obsessions, évoluant dans une ville à l’image de son héros. Noire.

Voilà donc ce que le fantôme du passé dévoile à Bruce Wayne : un temps révolu, dans lequel les conflits ressemblaient plus à des jeux qu’à des mises à mort. Et qui mieux que Catwoman pour faire revivre à Batman sa jeunesse, ses amours et ses échecs ? Car chez DC, Selina Kyle c’est le symbole même de l’amour impossible.

Mais une fois de plus, je commence par la fin. Trois niveaux de lecture ? Aurais-je omis de mentionner les deux premiers tiers de ma problématique ? Oui, parce que l’une des forces du récit, c’est justement de ne pas traiter le sujet comme un Elseworld (6) : en gros, Batman n’est pas explicitement assimilé à Scrooge. Il est le héros que l’on connaît, et non l’amalgame fictionnel d’une Terre parallèle. C’est en fait l’intrigue même qui fait écho aux mots du narrateur, lui même contant le livre de Dickens en ignorant totalement les faits qui se déroulent sous les yeux du lecteur. C’est clair, non ?
Les deux récits (celui de Batman décrit par les images ; celui de Scrooge raconté par un narrateur inconnu) ne se rejoignent finalement qu’à travers l’esprit du lecteur, qui ne choisit de voir que ce qu’il a envie de voir. Impossible de ne pas ressentir l’inspiration Azzarello dans la narration : beaucoup de texte, mais rien d’inutile. Quant au graphisme, il semble exprimer l’essence même du talent de Bermejo : des détails à la limite du prodige, un trait simplement unique, une fluidité parfaite. Et puis des couleurs… Parler de Batman Noel sans mentionner le travail de l’italienne Barbara Ciardo constituerait une irréparable erreur.

Sa palette, nuancée, sombre et moderne à la fois (je reprends plus ou moins les mots de Jim Lee) dépeint un Gotham City enneigé plus riche et inquiétant que jamais. Mais là où les couleurs collent définitivement à votre rétine, c’est dans cette représentation quasi divine de Superman (le fantôme du présent), probablement la plus belle jamais réalisée jusqu’à présent.

Superman Noel

Mais je prends conscience à mesure que j’écris que ma démarche est superflue. Il y a des œuvres comme ça, qu’il est préférable de taire sous peine de les altérer.

Bien entendu, j’aurais aimé vous parler un peu plus du fond de Batman Noel. Evoquer la rédemption. La conviction profonde qu’un homme peut changer. Le fait que le monde dépend avant tout de la façon dont chacun le perçoit. J’aurais aimé rappeler qu’il est parfois bon d’abandonner nos griefs pour un temps, de réévaluer les racines de nos rancœurs afin de mieux les arracher.

Peu importe que le message soit simple, voire naïf, du moment qu’il vous touche.
Mais tout ça, vous le savez déjà, puisque c’est Noël.

Joyeuses Fêtes à tous.


Notes :
(1) Un chant de Noël en français.
(2) A Christmas Carol (Le drôle de Noël de Scrooge en vf), sorti en 2009. Avec, il est intéressant de le noter, 2 acteurs ayant joué dans 2 Batman différents.
(3) Scrooged (Fantômes en fête en vf), sorti en 1988. Réalisé, vous l’aviez remarqué, par le père cinématographique de Superman.
(4) Pour rebondir sur le Bizarro Facts #3, il existe un Green Lantern – Larfleeze Christmas Special écrit en 2010 par Geoff Johns, plutôt gentil et très second degré.
(5) Il a été publié en tant que roman graphique, c’est-à-dire en une seule partie et non en plusieurs publications comme c’est l’usage. Il est par conséquent totalement indépendant des intrigues de l’époque.
(6) Lire le Bizarro Facts #1 pour les retardataires. Une chronique entièrement dédiée aux Elseworlds est de toute façon prévue. 

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JUN-Thunder
JUN-Thunder
11 années il y a

Un chef d’oeuvre ! Un plaisir des yeux et de lecture. Jamais Batman n’a été aussi bien nuancé !

Bathom-04
10 années il y a

Vraiment génial ! Je trouve que les dessins de Bermejo sont beaucoup mieux mis en valeur grâce à la coloriste ! Par exemple dans batman : deathblow , tout est trop sombre, dans les mêmes ton. Une de mes histoires de batman préférées !

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