Off My Mind #48 – Superman contre le Ku Klux Klan

Au cours d’un récent podcast Courrier des Lecteurs, un lecteur nous a posé la question de pourquoi les super-héros ne traitent pas davantage de sujets de société, avec l’exemple de la foi religieuse, assez peu présente comparativement à d’autres combats. Quoi que je n’ai toujours pas de meilleure réponse à lui proposer, c’est en m’interrogeant moi aussi qu’après quelques recherches, je suis tombé sur quelques uns des combats qu’ont pu mener les personnages DC au fil de l’Histoire, parmi lesquels l’un d’eux m’a particulièrement plu. Une histoire presque anecdotique, qui à sa façon combat les mauvais élèves du christianisme Américain, les « chevaliers » de l’ordre du Ku Klux Klan, tristement célèbres fascistes fana’ de la race blanche et de capuches pointues.

C’est en 1946, après les années de Guerre, que Superman s’attaque au sujet par le biais d’une célèbre adaptation de radio de ses aventures. Il ne le fera pas tout seul, et les épisodes d’un arc (aujourd’hui célèbre) de sa série audiophonique seront en fait rendues possibles par les convictions et le travail d’un activiste Américain qui aura, après des années à lutter contre le Klan, trouvé un moyen ludique de tourner en ridicule les codes et pratiques de l’organisation. Une anecdote intéressante, qui me permet au passage de vous parler de cette version radio dont on garde étonnamment peu de souvenirs dans l’époque moderne – on commence donc avec un peu d’histoire.

Premier pas hors du medium

Parce que si les contemporains aiment à retenir les adaptations de Superman face caméra, qu’elles aient été réelles ou animées, c’est pourtant bel et bien sur les ondes radio que le personnage de Jerry Siegel et Joe Shuster fit sa première apparition en dehors des cases de bande-dessinée. A l’époque, le divertissement domestique ne passe pas encore par la télévision, qui n’occupe pratiquement aucun foyer dans le pays ou de par le monde, et il n’est pas rare que les personnages de pulp’ ou de super-héros voient leurs aventures adaptées au format sonore, ce qui sera également le cas de Flash Gordon (celui qui ne court pas vite) et du Blue Beetle.

En février 1940, une station de New-York auto-produit en interne la première itération « adaptée » du héros en bleu, dans un sérial radiophonique qui s’exportera ensuite vers Mutual Network, déjà propriétaires des aventures du Shadow et du Lone Ranger dans les années ‘1930. Diffusé plus tard sur la station ABC, le sérial sera sponsorisé par Kellog’s Pep, et revendiquera fin 1947 un audimat de près de 4,5 millions d’auditeurs, sept années après sa première diffusion.

L’émission de radio Superman est lancée dans la vague du succès du personnage, en parallèle de sa version comic-strip et en amont du cartoon commandé à Fleischer Studios par la Paramount. Diffusée jusqu’en 1951, soit une pérennité encore inédite pour la moindre adaptation du kryptonien, elle présentera pour la première fois au public le comédien Bud Collyer, première voix officielle de Clark qu’il suivra dans la version des Fleischers et le dessin animé Superman de 1966 par les studios Filmation. C’est aussi sur la même bande FM que Batman fera la rencontre du kryptonien pour la toute première fois en dehors des versions comics, en mars 1945. La série instaure dès ses débuts une trademark d’introduction qui fera date, entamée par le tout premier « Look ! Up in the Sky ! », et une scénographie narrative dont le personnage ne se départira plus.

On attribue également à la série d’avoir inventé la kryptonite et les personnages de Perry White et Jimmy Olsen. A une époque où les codes du comics sont en perpétuelle invention, celui-ci traversera la Seconde Guerre Mondiale avec toutes ses versions cumulées, l’inscrivant dans une approche trans-média’ inédite, forgé sur une même ligné éditoriale (en résumé, botter le cul des infâmes nazis).

La série donnera en de rares occasions une place prégnante à Batman ou au paysage annexe du Daily Planet pour compenser les éventuelles absences de Bud Collyer au micro. La fin de l’émission arrivera à faire la jonction avec l’adaptation visuelle de George Reeves en 1952, après que les deux films Superman de la Columbia aient déjà rendu leur hommage, signifiant dès leur sous-titre, « adapté de l’émission de radio de Mutual Network« . Bref, en revenant en arrière des années auparavant, nous sommes en 1946 quand l’activiste Stetson Kennedy pousse la porte des exécutifs de Mutual, pour proposer un challenge inédit à l’Homme d’Acier : boiter de l’ignoble raciste Américain, maintenant que les nazis ne sont plus disponibles.

Stetson Kennedy, activiste de terrain

C’est en 1915 que le métrage « The Birth of a Nation », un film polémique à l’impact ravageur, remet au goût du jour l’idée du Ku Klux Klan. La première itération de l’ordre, abolie quarante ans plus tôt, avait été fondé sur les idéaux de la Guerre de Sécession, et c’est sur les mêmes terres du vieux Sud gangrené par une pensée suprématiste latente que le groupe se reforme, adoptant de nouveaux codes et de nouvelles pratiques. Réformé autour de nouveaux idéaux suite à une vague massive d’immigration au début du XXème siècle, les membres sont désormais antisémites, avocats d’une morale puritaine exacerbée, contre le communisme, contre la libération sexuelle et pour la prohibition, et bien entendu, contre l’égalité de droits entre les gens de différentes couleurs. Bref, une bande de solides déconneurs qui se lance dès les années ’20 dans une série d’actes violents et meurtriers qui forgeront leur sinistre légende.

Dans le même vieux Sud, Stetson Kennedy vient au monde une année après The Birth of a Nation. L’homme est blanc, riche, et issu d’une longue lignée de propriétaires de plantations et de soldats confédérés. C’est pourtant contre le Klan et ses idéaux que le jeune homme s’engagera à la fin des années 1930, après avoir déjà participé à des actions caritatives en faveur des victimes de la Guerre civile espagnole, et fait un road-trip dans l’Amérique profonde afin d’en étudier le folklore dans un grand projet de conservation culturelle. Il en ressortira avec une blessure au dos, et quand la Guerre éclate, il est jugé inapte au service.

C’est donc vers un autre foyer de fascisme que Kennedy se tourne pour mener son propre combat. Le jeune homme déteste le KKK depuis son enfance dans les régions arriérées de Floride, où il avait déjà fait la rencontre des pratiques de l’ordre quand la femme de chambre noire de sa famille avait été battue et violée par les porteurs de capuches. « Quelqu’un devrait leur pourrir la vie » sera son leitmotiv. Il adoptera le patronyme d’un parent décédé (anciennement membre du Klan), et, se faisant passer pour un vendeur d’encyclopédies, s’infiltrera dans leurs rangs pour apprendre de leurs pratiques et pouvoir les traduire au grand jour sous l’oeil de l’opinion.

Dès le début, Kennedy part de cette idée : le KKK se nourrit du secret et de son image de marque. La dramaturgie des noms, des codes, des croix de feu et de la tenue réglementaire, un argument de campagne pour recruter et impressionner par la peur. Le but du jeune activiste était de démonter ces pratiques : il découvre très vite que le Klan est bardé de codes idiots (commencer chaque mot par « Kl », comme « Klaverne », pour densifier une sorte d’idée secrète), de poignées de mains rituelles et de titres honorifiques sans queue ni tête, que chaque membre doit payer une somme de 15 dollars pour obtenir sa fameuse toge, et de pratiques condensées dans le livre rituel de l’ordre, le « Kloran ».

Kennedy cherchera ainsi à avertir des actes de violences planifiées, il parviendra également à faire payer au Klan une facture de 650 000 dollars à l’état en dénonçant les magouilles fiscales du Grand Dragon Samuel Green, et publiera en 1946 un premier ouvrage sur leurs pratiques, Southern Exposure. L’idée lui vient alors de trouver un écho plus large auprès du grand public, et c’est la même année qu’il se rend à New-York pour rencontrer les exécutifs du sérial radio Superman, avec un projet. Les décideurs approuvent, et c’est à destination des millions d’enfants que va se dessiner en un arc de seize épisodes la promesse : et si Superman bottait le cul du KKK ?

Clan of the Fiery Cross

Un terrain de base-ball, une dispute de gamins : Jimmy Olsen, à ses heures perdues hors des bureaux du Daily Planet, manage dans son coin une petite équipe locale de gosses de Metropolis. Deux de ses joueurs se battent :  Chuck, un blanc, et Tommy, un noir. Alors que Jimmy tente de calmer le jeu, Chuck refuse de s’excuser ou de serrer la main de son camarade. Il est viré de l’équipe, et quand il rentre chez lui, son oncle constate les traces de bagarre. Le petit lui explique que ce n’était qu’une dispute sans importance, que c’était de sa faute et qu’il n’a pas été fair play, mais le tonton en apprenant l’identité de l’autre garçon décide d’en profiter.

Selon lui, Tommy est un danger, il a frappé volontairement son neveu, et recommencera dès qu’il en aura l’occasion. C’est pourquoi il faut empêcher « les gens comme lui » de nuire. Cet oncle est un membre du Klan, et décidant de s’attaquer à Tommy et à sa famille, il met aussi en cause Jimmy qui n’a pas pris le parti d’un « authentique » Américain. C’est ainsi que s’ouvre The Clan of the Fiery Cross, un arc dans lequel Stetson Kennedy et les auteurs de Superman vont ridiculiser le KKK aux yeux de toute la nation étoilée.

Un historien de la question du Klan décrira plus tard Superman comme « l’anti-fasciste absolu », et, se souvenant après des années de cet épisode, expliquera qu’il n’y avait pas de meilleur adversaire à opposer à l’ordre. Bon, pacifique, porteur des vraies valeurs Américaines d’accueil et de tolérance, le héros en bleu est en plus l’inspiration de toute une jeunesse dans l’Après Guerre, fertile à recevoir ses bons enseignements. Lorsque l’arc est diffusé, le Klan entre dans une colère noire (joke), et tente de faire pression auprès du sponsor Kellog’s pour faire annuler la diffusion de la série. Le céréalier va cependant soutenir l’action de l’émission de radio, qui détaille au travers des différents épisodes les codes, pratiques et rituels de la secte sur un ton moqueur, qui devient tout à coup ridicule auprès des familles d’Amérique. Certains décriront plus tard avoir vu leurs gosses se courir après, l’un déguisé en fantôme, l’autre une serviette rouge autour des épaules, comme l’image d’un combat mené en fiction contre d’authentiques fascistes mal intentionnés.

Après quatre semaines d’un combat triomphant, le peuple des USA découvre la réalité d’une secte dont le seul grand plan machiavélique aura été de faire de l’argent en vendant 15 dollars des robes à des gogos arriérés. Samuel Green, leader de l’organisation, va même jusqu’à mettre une prime sur la tête de Kennedy, qui sera plus tard cité comme « la plus grosse contribution au déclin du KKK ». Après la diffusion du Clan of Fiery Cross, les recrutements du KKK sont réduits à peau de chagrin, tandis que le sérial Superman sera salué par l’American Newspaper Guild et le Calvin Newspaper Service, une revue destinée aux lecteurs Afro-Américains. Les exécutifs de Mutual s’amuseront plus tard d’avoir présenté un contenu engagé à des enfants fertiles, se demandant si c’est vraiment ça, le rôle du divertissement.

Truth, Justice & the American Way

La diffusion du Clan of the Fiery Cross fait date aux Etats-Unis, et sera maintes fois citée comme un des derniers événements à avoir précipité la chute active du KKK dans l’Après-Guerre. Les idéaux nazis, très mal vus après Pearl Harbor, et la popularité grandissante de super-héros engagés contre les Forces de l’Axe, ont achevé pour les générations suivantes de ranger à l’ombre les porteurs de capuches, par le passé soutenus par de nombreux politiciens et institutions religieuses. Tandis que Cap en collait une sévère à Hitler, Superman pourfendait du Grand Dragon, et dans l’incertitude de la censure auto-imposée qui s’annonçait, ce message là paraissait radieux.

Puisque, malgré ses bons et loyaux services à l’équilibre moral du pays, le héros en bleu fut tout de même accusé de n’être qu’une apologie du fascisme en 1954, quand le psychiatre Fredric Wertham publiera La Séduction des Innocents. La balance du bien fut rétablie deux ans plus tard, lorsque Kennedy en 1956, après avoir déjà témoigné dans de nombreux procès contre les leaders du Klan, publie I Rode with the Klan (renommé plus tard The Klan Unmasked) où il reviendra sur ses années d’infiltration, et sur sa collaboration avec Mutual pour enseigner aux gamins de son pays les dangers de porter une toge blanche et de croire aux mauvais idéaux.

Cette histoire donnera même lieu à un ouvrage romancé, Superman Versus the Ku Klux Klan : The True Story of How the Iconic Superhero Battled the Men of Hate, dans lequel l’auteur Rick Bowers détaille avec un brin de lyrisme la création d’un personnage bon sous tous les angles par deux enfants juifs fans de justice sociale, jusqu’aux impacts délétères de sa prestation audiophonique sur d’autres types de mecs masqués. L’anecdote rentrera dans l’Histoire, et quoi que Superman ait participé à des tonnes de combat à son niveau, celui-ci fait partie des plus concrets et des plus frontaux à avoir trouvé une résonance dans le quotidien d’un American Way en quête de justice et de vérité.

Pour ceux que ça intéresse, l’ensemble des épisodes du sérial Superman sont tombés dans le domaine public, vous pouvez les retrouver sur Archive ou dans les collections des nostalgiques de cette bonne vieille époque où l’aventure se vivait à l’audio, mais sans images.

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Corentin

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Dr Osterman
Dr Osterman
6 années il y a

C’est incroyable de constater qu’un personnage fictif ai pu avoir une telle influence au point de participer à la chute du KKK.
J’aimerai avoir une aventure de notre héros pour tourner en ridicule, avec la meme efficacité, les idées d’une certaine candidate à la présidentielle,

erik 5
erik 5
6 années il y a

Merci, Corentin, pour cet article génial et très instructif, j’ai été véritablement touché par ce  »off my mind », je ne connaissais pas cette part importante de l’histoire de Superman, quel plaisir de savoir qu’à cette époque il combattait, concrètement, pour les idéaux qu’il a toujours représenté, surtout en prenant pour cible cette bande de tarés fanatiques. Apprendre que Superman à permis la décrédibilisation de cette  »tache » américaine est tous simplement jouissif, de plus, tu m’a donné une grande envie d’en apprendre plus sur Stetson Kennedy, encore un grand merci !

knightwing
6 années il y a

Super intéressant ce off my mind, merci Corentin

mavhoc
6 années il y a

Très bon article instructif au possible ! Merci Corentin :)

td1801
td1801
6 années il y a

C’est incroyable !

djbone
djbone
6 années il y a

Pour ceux qui aiment ces vieillles émissions de radio je conseille aussi « Suspense » qu’on peut trouver aussi légalement. A noter que c’est une bonne façon d’apprendre l’anglais surtout avec Superman qui est jouée de façon claire

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