L’humeur du Lundi #27 – Justice League en deux opinions

Disclaimer : les avis émis dans cet édito’ sont éminemment personnels et n’engagent que chacun des deux rédacteurs qui y ont participé. Ils ne présagent pas de notre avis définitif sur le film, seulement sur la bande-annonce arrivée dans la journée de samedi, et ne sont pas à considérer comme un avis sur ceux qui n’ont ou n’ont pas apprécié, pour leurs propres raisons. N’hésitez d’ailleurs pas à continuer ce débat dans la partie commentaires, avec le respect et l’ouverture d’esprit dont vous avez fait preuve sur l’article de la bande-annonce (ps : on est assez fiers de vous). Enjoy !

Depuis Man of Steel, on attend de chaque film DC Comics qu’il soit le point de ralliement des pro et des anti, qu’un métrage apparaisse qui arrive, comme d’aucuns ont pu le faire par le passé, pour fédérer une communauté qui n’a eu de cesse de se déchirer, parfois jusqu’à aller trop loin. Là où certains signent des pétitions pour que Zack Snyder quitte la réalisation des films suivants, d’autres tentent de faire fermer Rotten Tomatoes dans une tentative désespérée de faire taire les avis négatifs, au détriment de deux libertés. Celle d’un réalisateur de faire ce qui lui plaît, et celle des gens de ne pas accrocher.

Pour cela, et pour le millier de débats qui ont lieu quotidiennement sur la toile à propos d’une série de films qui a encore tout à prouver, Justice League apparaissait comme un (dernier ?) espoir de voir enfin les fans, le lectorat, se rassembler autour d’un film comme ce fut autrefois le cas autour de Watchmen, ou à l’inverse de Green Lantern, sur deux polarités où chacun tombe à peu près d’accord pour dire si c’est vraiment bon ou vraiment mauvais. Après l’attente assez longue d’une première bande-annonce pour prendre la température, le premier constat que l’on peut objectivement tirer se résume à : vous n’avez pas fini de commenter.

C’est pourquoi, plutôt que de nourrir la parano’ de ceux qui crient à la hate, au mépris ou à l’acharnement (et aussi à ceux qui parlent de fanboyisme, d’amour aveugle qui supporte tout), profitons d’être sur un site où s’expriment différentes sensibilités jusqu’à l’équipe de rédaction pour un édito’ en deux temps, histoire de donner la parole à ces deux visions prétendues irréconciliables d’un cinéma qui fait le job ou ne le fait pas, en 2017 et chez DC Comics. Ce qui nous évitera de passer pour un site qui choisit son camp, parce que hé, vous savez bien qu’on est lâches et que twitter n’a pas toujours le dernier mot.

1. L’humeur de Corentin

Quand le DCEU s’est amorcé, on aurait été de mauvaise foi de ne pas parler de suivisme. Parce que Marvel et DC, en comics comme à l’écran, ne font que se concurrencer depuis que la BD est BD et que les auteurs passent d’une maison à l’autre, les studios Warner comme d’autres maisons de la colline Hollywoodienne, auraient eu tort de se priver. L’univers partagé, ça fonctionne. Les gens en demandent, accrochent à cette formule de gigantesque série TV où on peut aligner des sagas de héros solo’ dans une même cosmogonie, intéresser le public à un héros inconnu par le jeu des caméos, des scènes post-génériques et des crossovers occasionnels, et en définitive trouver un compromis entre le film entier qui remplit son rôle et la gigantesque bande-annonce à gros budget des films suivants.

Warner a les héros DC, qui ont peu ou prou inventé en comics ce mode de fonctionnement, à l’époque où les auteurs de la maison d’en face écrivaient encore des BD de cowboys et où le Flash portait un saladier sur sa masse de cheveux blonds. D’autres enseignes s’y mettent : le Roi des Singes va bientôt en découdre avec le Roi des monstres, les bestiaux de films d’horreur finiront bien par se la donner aussi et même la CW prouve à sa petite échelle que la promesse trouve son public. Mais, curieusement, cette petite chaîne fan de triangles amoureux et d’acteurs à têtes de mannequins est curieusement plus créative dans son procédé. Parce que bâtir son film comme un Avengers-wannabe, c’est gênant quand ça se voit, et au sortir de ce premier trailer on est en droit de le dire : ça se voit.

La Justice League a inventé le concept de l’équipe de héros, sous le blase de l’époque Society, mais pas au cinéma. Ces quelques extraits d’une formation d’équipe logique et évidente donnent à voir l’esprit d’un studio qui cherche manifestement à imiter une formule : depuis le choix d’un grand vilain cosmique aux airs de grand manitou cosmique jusqu’à l’hyper accélération vers le fun, un combat final qui s’annonce comme une baston de héros rassemblés contre une armée d’ennemis venus des tréfonds de la galaxie, un personnage d’une autre culture un poil bourrin en forme de running gag – l’esprit Vengeurs avec des vrais bouts de DC a l’intérieur n’est pas surjoué. Mais on va être honnêtes et mettre ça de côté, parce qu’en définitive c’est plutôt la formule qui pose problème.

On a reproché à Marvel de faire du blockbuster pop-corn pendant des années, là où Warner a essayé de trouver un ton plus authentique. Man of Steel était recherché (à sa manière), et même Batman V Superman se posait deux trois questions sur le pourquoi dans sa première heure très gritty (on a même gardé le poncif du vilain machiavélique assez fou et très présent en toile de fond). Et puis, patatra, le public n’est pas suffisamment au rendez-vous, un film qui devait faire un milliard ne frôle que les 900 millions – ciel ! – et tout est à refaire chez des éxec’ trop frileux. Vous êtes nombreux à l’avoir fait remarquer : c’est parce qu’on a reproché à BvS d’être trop sombre que Suicide Squad s’est produit. Mais ce n’était pas là l’enseignement à tirer.

Parce qu’ici, tout pue le fric et la commande de studios. Enchaîné à un Zack Snyder en roue libre totale qui multiplie des décors concrets effroyablement vides, où des cadrages peu travaillés rappellent les plus mauvaises heures de sa carrière (sur Suckerpunch, première fois où on avait ôté au réalisateur son cran de sécurité). Une mise en scène où il abuse de ses propres codes : filtres à quatre nuances de couleurs, ralentis suivis d’accélérations hérités de 300, une physique générale qui contrevient à la moindre envie de faire vrai, et de la baston, un peu partout, où ce qui est laissé à voir dans cette bande-annonce révèle plus d’un film chorale explosif que de sa retenue globale sur Man of Steel. Si on regarde ce-dernier, le compromis action/dialogues ou intimisme était globalement bien dosé. Même Batman V Superman mettait un certain temps à défoncer du malfrat à la bagnole blindée, et quoi que rien ne présage ici du rythme du film (c’est une bande-annonce, donc à prendre avec des pincettes, d’autant qu’on peut tabler sur une formation d’équipe d’une bonne heure et quelques), le fait que le studio mette ça en avant démontre d’un public ciblé, et d’une orientation choisie.

Sur le cas du réalisateur, on peut se demander si Snyder est un bon choix pour adapter un truc globalement bourrin. Watchmen est le comics intelligent par essence, et sa dose visuelle et punchy de d’habitude était un intéressant contrepied. Même 300 avait cette qualité de peplum grotesque, où l’exagération générale n’empêchait pas un discours de sous-main sur la grandeur des guerriers et l’acceptation de la mort pour la liberté. Justice League, de son côté, se présente comme « une équipe de super-héros qui botte le cul des aliens », et ça se ressent, généralement. Avec un mauvais goût dans l’utilisation des effets spéciaux (criards), un ton presque auto-parodique de ses propres codes, et une gamme de défauts qu’on hésite à ne pas voir comme l’héritage douloureux de Suicide Squad, depuis la patine de couleurs aux décors tocs et vides, les quelques blagues (dont certaines assez réussies, même si un peu galvaudées) et le choix de la musique de fond.

Snyder aime les montagnes (mais si, souvenez vous de ce moment où le fantôme de Jonathan Kent parle de sa grange inondée), il aime aussi l’ambiance industrielle, les trucs qui explosent et les plans ralentis. Justice League est son film, à n’en pas douter, et on peut laisser ça au studio : laisser le bonhomme appliquer sa patte de réalisateur. Est-elle encore pertinente aujourd’hui ? Est ce qu’on a envie de ce plan où un Aquaman déjà vendu comme le colosse badass du film saute de la Batmobile sur un Paradémon ? D’un film où la grandeur de chaque personnage apparaît comme tronquée, comme si Curry était un biker déconneur, que Diana était la caution femme forte et que Flash était le geek attachant ? Où sont les enjeux, où est l’épique, la majesté ? La force de ces statues grecques que sont les héros DC au naturel, dans ce gloubiboulga façon Michael Bay où se glisse même un ralenti de joueur de football Américain que le réal’ de Transformers n’aurait sans doute pas renié ?

Tout ça a l’air trop neuneu, premier degré et attendu pour ne pas être décevants chez ceux (et pardon pour eux) qui espéraient réellement que le studio ou le réalisateur écouterait les déçus de la formule DCEU jusqu’ici. Un meilleur travail de post-production (sur Cyborg, on peut franchement se foutre de la mouille des concept-artists), un film qui teaserait d’emblée la destruction de la Terre – comme cette scène coupée franchement réussie avec Steppenwolf dans BvS ! – un trailer plus « black and blue, day versus night » et moins « I thought she was with you », des enjeux, les plans les plus aventureux de la caméra d’un réal’ qui, on l’espère, saura se montrer plus créatif, et sérieux, des couleurs, un feeling autre que ce « random Zack Snyder movie » d’où on n’a pas l’impression que l’artiste se soit plié au ton de ce qu’il essayait d’adapter.

En parallèle, par simple honnêteté intellectuelle on ne peut cependant pas dire que tout est à jeter : Ezra Miller, Ben Affleck ou l’apparition timide de ce brave J.K. Simmons sont autant de points positifs à la tenue « humaine » du film, qu’on espère juste pas trop étouffée par l’action et les doublures en CG. Le plan d’entrée dans le cockpit de Batman est prometteur si Snyder trouve l’intelligence de suivre son héros de cette façon pendant les scènes d’action (et de donner ainsi ce sentiment plus grounded d’un Batman soldat sur un champ de bataille, moins mobile que les autres héros), on peut observer une certaine générosité à l’égard du DC Proper dans la vision de Themyscira et d’Atlantis – nul doute que ceux qui espèrent depuis toujours de voir leurs héros à l’écran seront séduits – en plus de tout ce qu’on n’a pas encore vu. Gageons d’ailleurs que la musique n’est là que pour la bande-annonce, comme les Beastie sur BvS, et que le film pourra se sauver par une ambiance sonore plus travaillée avec moins de guitare rock et plus de notes de piano.

Mais, et ce sera la conclusion de cette parti « anti » (qui, j’espère, suffira à vous persuader de ma hate désormais célèbre), personnellement, je n’avais pas envie de voir ça. Là où Avengers et Marvel en général ne me vendent pas du « grand » cinéma, je n’ai que faire d’avoir la moindre attente sur ces films dont j’apprécie les héros d’assez loin – il ne me semble d’ailleurs pas pouvoir vous citer la moindre série vengeresse que j’aurais lue en entier, à l’exception d’Ultimates – et me contente donc de cette formule blockbuster pour caler un creux de popcorn occasionnel entre deux films plus artistiques ou travaillés. Était-ce idiot d’attendre mieux de DC ? Peut-être, mais il était en tout cas impossible de faire autrement. Parce que DC en comics ne m’a jamais séduit sous l’angle de la déconne et du blockbuster. A plus forte raison quand ce film en sera le premier vrai représentant, par un réalisateur qui commence, comme un autre Snyder, à abuser ses propres codes à force de les répéter.

Qu’on soit clair, personne n’est contre l’idée de voir Affleck glisser quelques blagues bien senties en souplesse, d’un film arborescent qui aura pour lui de poser les premières pierres d’un Aquaman que je continue d’attendre (dans une veine plus sérieuse, et d’ailleurs oui, Mera me vend du rêve), d’un Teen Titans éventuel et d’un Batman par Reeves (remarquez l’ironie patronymique) que je pense être en droit d’espérer bon. Mais, voir Zack Snyder se tripoter derrière sa caméra, utiliser ce qui devient avec le temps des poncifs de réalisateur obtus dans des décors tantôt vides, tantôt faux, toujours bleus, souvent gris et avec des scènes d’action à la physique d’une grande cinématique de jeu triple A, ce n’est pas ce que j’attends de l’équipe de héros la plus cool de tous les temps.

Compte tenue du fait que j’aimais Suicide Squad en comics, et de ce que le film m’a vendu, cet avis non-définitif ne demande qu’à s’éclairer de nouvelles lueurs, et d’une BA qui soit plus celle d’un Man of Steel ou d’un « God Vs Man » que d’un remake de Tortues Ninjas avec des Paradémons et de la « méthode Warner« , qui ferait sans doute mieux de potasser les vrais grands comics dont tout ça est tiré que de regarder ce qui marche en 2017 au cinéma. Si un bouquin se vend moins que 50 Shades, un éditeur ne va pas demander à un écrivain de copier le style d’E.L. James pour le volume suivant, si un album ne se vend pas autant que le dernier Wiz Khalifa on ne va pas demander à Sellah Sue de se mettre à la marie-jeanne alors pourquoi, quand Man of Steel frôle les 700 millions et que BvS frappe près des 900, on se dit « il faut plus de fun, plus d’action, c’est ça que les gens veulent ».

Bref, rendez moi un DC intelligent et stylisé, et dites moi que tout ça n’est qu’un trailer mensonger pour le public ‘ricain, que le film sera différent et que personne ne foutra Come Together au générique défilant. C’est tout pour moi, je laisse la parole à un converti qui, je l’espère, saura me convaincre moi aussi que je ne suis qu’un immonde hater sans jugement.